Grève des avocats
Question de :
Mme George Pau-Langevin
Paris (15e circonscription) - Socialistes et apparentés
Question posée en séance, et publiée le 12 février 2020
GRÈVE DES AVOCATS
M. le président. La parole est à Mme George Pau-Langevin.
Mme George Pau-Langevin. La grève des avocats dure depuis maintenant sept semaines,…
M. Christian Hutin. Très bien !
Mme George Pau-Langevin. …avec des répercussions significatives sur le déroulement des audiences et le jugement des affaires, notamment pénales. Les avocats sont en grève pour défendre leur profession, parce que vous lui faites courir un grand danger.
La coupe était déjà presque pleine après le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, qui a chamboulé les règles applicables – avec effet immédiat dès janvier 2020, ce qui traduit bien peu de considération pour les professionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Christian Hutin. Bravo !
Mme George Pau-Langevin. Vous avez décidé de vous attaquer au régime de retraite des avocats pour les intégrer dans votre prétendu régime universel. Pourquoi changer ce système de retraite, alors qu’il est à l’équilibre et qu’il garantit une retraite décente à ceux qui y contribuent, sans qu’il n'en coûte rien à quiconque ?
M. Claude Goasguen. Exactement : pourquoi ?
Mme George Pau-Langevin. Vous affirmez que les avocats sortiront gagnants de ce nouveau système. Il n’en est rien. Vous affirmez qu'ils ne subiront pas de baisse de pension. Il n’en est rien : ce que vous leur donnez d’une main, vous le reprenez de l’autre, car ce sont les avocats qui financeront ce prétendu maintien de pension, par un doublement de leurs cotisations ! Vous leur assurez que vous diminuerez les autres cotisations, mais quelles garanties ont-ils qu’un autre Gouvernement, par le biais d'une prochaine loi de finances, ne reviendra pas sur ces avantages que vous vous dites prête à leur accorder ? Vous évoquez un chiffre de 30 %, ce qui ne signifie absolument rien. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Augmenter leurs cotisations, c’est affaiblir les avocats les plus modestes et les plus précaires. Or les petits cabinets d’avocats sont ceux qui défendent les particuliers et, le plus souvent, les plus démunis.
M. Christian Hutin. C'est la fin de la justice des pauvres !
Mme George Pau-Langevin. Nous ne voulons pas que le droit de se défendre soit réservé à une élite privilégiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Emmanuelle Anthoine et M. Sébastien Chenu applaudissent également.) Une justice qui fonctionne est la garantie d’une démocratie en bonne santé. Pourquoi donc s’acharner sur ces professions ?
Votre gouvernement semble sourd. Il n’écoute ni la détresse des grévistes ni la mobilisation historique des avocats. Pourtant, il serait temps, aujourd'hui, que vous répondiez aux nombreuses questions laissées sans réponses. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, sur quelques bancs du groupe LR, et parmi quelques députés non inscrits.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je prolongerai, madame la députée, la réponse que j'ai apportée à votre collègue Pierre Vatin. Vous prétendez – pour reprendre vos termes exacts – que nous faisons courir « un grand danger » aux avocats.
Vous citez l'exemple du décret de procédure civile qui est l'application – ou, du moins, le corollaire – de la loi de réforme de la justice que vous avez adoptée…
M. Christian Hutin. On ne l'a pas votée ! C'est la fin de la justice de proximité !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . …que le Parlement a adoptée en mars dernier. Ce décret est entré en application au 1er janvier, mais, pour une grande partie, ne le sera qu'au 1er septembre prochain, car cela nous a semblé plus correct et plus conforme à l'état d'avancement des projets portés par les avocats et par le Gouvernement.
Par ailleurs, vous évoquez à nouveau la question de la retraite. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous ne procédons pas à un doublement des cotisations. D'une part, en effet, la diminution de l'assiette, et d'autre part, les autres possibilités offertes, à savoir un mécanisme de solidarité qui existe actuellement et que les avocats pourraient redéployer, ou la prolongation jusqu'en 2054 d'une augmentation de cotisations…
M. Christian Hutin. Ce n'est pas dans la loi ! Ça n'a rien à voir avec la loi ! (Protestations sur les bancs du groupe MODEM.)
M. Raphaël Schellenberger. C'est une usine à gaz !
Un député du groupe LR . Ce n'est pas constitutionnel !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . …de la CNB, la Caisse nationale des barreaux, qui pourrait ainsi se prolonger.
Pour toutes ces raisons, cette hausse des cotisations bénéficiera d'un régime transitoire très long.
En revanche, madame la députée, je souscris à vos propos relatifs à la difficulté que connaissent aujourd'hui les juridictions. La grève des avocats met réellement en difficulté les juridictions… et, évidemment, les justiciables, qui sont les premiers bénéficiaires de l'activité de notre service public.
M. Christian Hutin. Les avocats sont des gens abominables qui font grève ! C'est lamentable ! Évidemment, c'est la faute des avocats !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Je suis infiniment ouverte au dialogue. J'ai reçu à de très nombreuses reprises les avocats et je continuerai à le faire, comme je l'ai dit hier à Mme la présidente du Conseil national des barreaux.
M. Patrick Hetzel. C'est votre réforme qui met en danger la justice !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . Le Premier ministre et moi-même avons même proposé d'élargir notre réflexion à l'avenir de la profession d'avocat, car c'est très important et c'est ce vers quoi nous voulons aller. J'en appelle au sens des responsabilités partagées. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Auteur : Mme George Pau-Langevin
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Professions judiciaires et juridiques
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 février 2020