Recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution
Question de :
M. Adrien Quatennens
Nord (1re circonscription) - La France insoumise
Question posée en séance, et publiée le 4 mars 2020
RECOURS À L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION
Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Quatennens.
M. Adrien Quatennens. « Le 49.3, ça n'a jamais été une arme destinée à museler l'opposition. C'est une arme destinée à museler la majorité. C'est quand le Gouvernement n'a pas de majorité à l'Assemblée, quand il n'est pas sûr de faire adopter un texte par l'Assemblée, qu'il utilise le 49.3. » (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Ces mots, monsieur le Premier ministre, ne sont pas les miens : ce sont les vôtres, prononcés en 2016 !
M. Pierre Cordier. Pris les doigts dans le pot de confiture !
M. Adrien Quatennens. Vous parlez d'une « arme ». Or aujourd'hui, ce LBD parlementaire - lanceur de balles de défense - d'une Ve République à bout de souffle, c'est vous qui le dégainez ! (Protestations sur les bancs des groupe LaREM et MODEM.)
Vous êtes seul contre tous : contre la représentation nationale, contre la majorité de Français opposée à votre texte, contre les grévistes et les manifestants, contre les engagements pris devant les Français par le candidat devenu Président. Et vous voudriez nous faire porter le chapeau ! (« Oui ! » sur de nombreux bancs du groupe LaREM.)
Nous aurions empêché le débat de fond ?
M. Rémy Rebeyrotte. Votre obstruction l'a empêché !
M. Adrien Quatennens. Peut-être auriez-vous pu, entre deux allers-retours au Havre, jeter un œil à nos discussions : le débat de fond, c'est nous qui l'avons permis ! (Applaudissements du groupe FI. – Protestations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Vous prétendez que nous aurions débattu pendant des heures pour savoir s'il fallait par exemple remplacer les mots « tous les ans » par « chaque année ». Vous mentez et vous le savez ! (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Car si nous avons en effet déposé ce type d'amendements, c'était pour disposer d'autant d'occasions de prendre la parole pour animer le débat de fond, sous la menace permanente de votre recours à l'article 49, alinéa 3.
Notre bilan est plutôt bon : en quinze jours de débat, nous vous avons fait avouer que votre système n'est pas universel, que les agriculteurs ne verront pas la couleur des 1 000 euros que vous leur promettiez ou encore que la valeur du point sera indexée sur un indice qui n'existe pas – on comprend mieux pourquoi vous avez souhaité interrompre la discussion ! (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Reste une autre hypothèse : on assiste depuis le début de l'année à des démissions en cascade de parlementaires du groupe de La République en Marche. Ne sont-ce pas plutôt ces départs qui vous ont poussé à utiliser l'article 49, alinéa 3 de la Constitution ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez commencé votre question en citant les bons auteurs – pardonnez-moi cette immodestie. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe LaREM) Il est vrai qu'il m'arrivait, sous la législature précédente, de commenter le choix du gouvernement d'alors d'avoir recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution. Cette situation se présentait d'ailleurs régulièrement, puisque le gouvernement précédent avait décidé d'utiliser cet article à plusieurs reprises,…
M. Pierre Cordier. Votre ami Valls, notamment !
M. Patrick Hetzel. Sur le texte Macron, d'ailleurs !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . …conduisant les observateurs et les acteurs de la vie politique à se prononcer fréquemment sur cet usage.
L'article 49, alinéa 3 de la Constitution est parfois utilisé, c'est vrai, comme un instrument permettant à un gouvernement de faire passer un texte lorsque sa propre majorité paraît relative ou fragile.
Lors des quatre-vingt-huit précédents recours à l'article 49, alinéa 3, depuis 1958 – quatre vingt-huit ! –, il est en effet arrivé que cet instrument soit utilisé pour résoudre une difficulté causée par sa propre majorité.
M. Pierre Cordier. Il a révisé ses statistiques !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mais il est également arrivé – et vous le savez car vous êtes un observateur attentif de la vie politique française – que des Premiers ministres utilisent cet instrument mis à leur disposition par la Constitution de 1958 pour s'extraire d'une stratégie d'obstruction – assumée d'ailleurs par les oppositions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Je me permets de vous renvoyer à ce Premier ministre qui eut recours à l'article 49, alinéa 3 avant même que ne débute l'examen du texte à l'Assemblée nationale – c'est arrivé ! – ainsi qu'à ce qui s'est passé en 2003 à l'occasion de la discussion sur le mode de scrutin pour les élections régionales. Autrement dit, pour employer le vocabulaire des juristes, il y a des précédents. C'est tout à fait dans cette optique que nous nous situons.
M. Michel Herbillon. Cet instrument n'a jamais été utilisé pour les retraites !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous pouvez prétendre – et après tout, je ne peux vous en vouloir pour cela – qu'il est important de discuter pour savoir si le mot « analogue » doit être remplacé par « similaire » et inversement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous pouvez débattre pour savoir s'il est plus intelligent de dire « chaque année » plutôt qu'« annuellement » lorsqu'on évoque la retraite des Français. Vous en avez le droit, c'est vrai. Il me semble personnellement – et j'ai aussi le droit de le penser – qu'il s'agit d'un débat d'obstruction. Et, puisque vous avez voulu commencer votre question en mettant l'accent sur d'éventuelles différences entre ce qui a été dit hier et ce qui est assumé aujourd'hui, permettez-moi de vous renvoyer au président de votre propre groupe qui, non pas il y a trois ans, non pas il y a deux ans mais il y a deux semaines, expliquait que l'objectif de votre groupe était littéralement de procéder à de l'obstruction et qui, aujourd'hui, dit l'inverse. (De nombreux députés des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir se lèvent et applaudissent.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Non !
Auteur : M. Adrien Quatennens
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Parlement
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 mars 2020