Lutte contre l'épidémie de covid-19
Question de :
M. Christian Jacob
Seine-et-Marne (4e circonscription) - Les Républicains
Question posée en séance, et publiée le 6 mai 2020
LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19
M. le président. La parole est à M. Christian Jacob.
M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, à quelques jours du processus de déconfinement, le doute est plus fort que jamais. Il s’est installé dès les premiers jours de la crise sanitaire, parce que très vite les Français ont compris que nous n’étions pas prêts, et aussi parce que vous avez changé souvent d’avis sur de nombreux sujets : les masques, les tests, l’ouverture des écoles, les mesures de quarantaine pour les ressortissants de l’Union européenne, la date du déconfinement…
Le doute est compréhensible et légitime lorsqu’il précède la décision, mais les approximations, les ordres et les contrordres des ministres, les controverses entre eux, parfois même vous concernant, sont de plus en plus insupportables. À votre décharge, le Président de la République ne vous aide pas. (Sourire de M. Sébastien Jumel.)
Mme Valérie Rabault. Ça c'est sûr !
M. Christian Jacob. Au contraire, par ses prises de position pour le moins évolutives,…
M. Marc Le Fur. C'est bien vrai !
M. Christian Jacob. …il vous affaiblit à chacune de ses interventions.
Tout au long de cette période, l’opposition parlementaire s’est voulue force de proposition et a agi avec responsabilité. Quant aux élus locaux, ils ont cherché en permanence à combler les failles et les faiblesses de l’État.
M. Sébastien Jumel. C'est vrai.
M. Christian Jacob. Où en est la France aujourd’hui ? Nous pleurons à ce jour trois fois plus de morts que l’Allemagne pour un nombre de malades similaire. Notre produit intérieur brut chute beaucoup plus vite et beaucoup plus fortement que chez la plupart de nos voisins. Et lorsque l’on demande aux peuples d’Europe s’ils sont satisfaits de leurs dirigeants, le constat est cruel : Angela Merkel, Giuseppe Conte, Sebastian Kurz, Boris Johnson, tous font mieux que les dirigeants français. (Murmures sur les bancs du groupe LaREM.)
Monsieur le Premier ministre, pourquoi ces mauvais résultats ? Quels enseignements en tirez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous évoquez de nombreux sujets dans votre question, monsieur Jacob, qu'il me sera difficile d'aborder tous. Elle a toutefois l’immense mérite de nous imposer un exercice aujourd’hui délicat mais nécessaire, qui requiert humilité et prudence : celui de la comparaison internationale.
On ne peut évidemment pas comparer ce qui n’est pas comparable, mais il est en effet utile de comparer les réactions des différents pays d’Europe à une menace identique – même si les taux de prévalence pouvaient être un peu différents. Comment leurs systèmes de soins se sont-ils adaptés ? Comment les décisions ont-elles été prises ?
Vous notez – en critiquant du même coup le gouvernement français, ce qui est parfaitement votre droit – que l’Allemagne a enregistré un nombre de décès très largement inférieur au nôtre et qu’elle mérite à ce titre d'être considérée comme un exemple. Elle l’est à bien des égards, je partage tout à fait votre avis sur ce point.
Vous ne dites pas, en revanche, que la comparaison avec les autres pays comparables à la France n’est pas sur tous les points à son désavantage s’agissant de la gestion de l’épidémie – je m'exprime ici avec une prudence infinie.
La population britannique, dites-vous,…
M. Christian Jacob. J'ai parlé de l'opinion publique.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Soit. Elle estimerait que son premier ministre a bien mieux géré la situation que les dirigeants français. Peut-être. Sans doute. C'est un point de vue.
Quand nous pourrons analyser la situation dans le détail, avec la sagesse du regard rétrospectif et en disposant de l’ensemble des données, nous verrons comment notre système de soins s’est adapté à la crise et comment les systèmes de pays comparables au nôtre, soumis aux mêmes pressions, l’ont fait.
Sachez, monsieur le président Jacob, que j’attends ce jour avec sérénité. Sans bravoure, sans enthousiasme, mais avec sérénité.
Le système italien a souvent été décrié, à tort. La Lombardie, la région italienne la plus touchée par l’épidémie, est une région riche et remarquablement équipée, y compris en matière de services publics sanitaires. Face à l'épidémie, elle a pourtant été conduite à trier les malades admis en réanimation – ce fameux et terrible tri dont on a beaucoup parlé. Cela n’a pas été nécessaire en France : notre système a tenu – probablement parce qu’il a eu un peu plus de temps que le système italien pour s’adapter. Je ne cherche absolument pas à dénigrer nos amis italiens : tout le monde est dans une situation difficile, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni – des pays comparables au nôtre par la taille, l’histoire et l’organisation – autant que la France.
Je le dis donc avec tranquillité et humilité, car je sais que l’on peut toujours trouver un exemple d’un fonctionnement plus réussi. Nous verrons à la fin, lorsque l’ensemble des données seront disponibles, comment les Allemands auront franchi cette étape. S’ils l’ont fait mieux que nous, je commencerai par m’en réjouir, car ce sont nos amis ; puis, comme vous, comme nous tous ici, je tâcherai d’en tirer les leçons et de voir ce que nous pouvons apprendre de leur système, non seulement en matière de gestion de crise mais dans bien d’autres domaines.
Vous avez raison, ce temps viendra. Mais nous en sommes encore à la gestion de la crise sanitaire, dont des étapes très complexes nous attendent. Certains le savent parfaitement, la préparation du déconfinement est bien plus difficile que la décision du confinement, du point de vue tant logistique que juridique, politique, humain et technique. Or c’est le travail que nous sommes en train de mener – ce « nous » n’a rien d’un « nous » de majesté : il inclut les préfets, les élus locaux, les chefs d’entreprise, l’ensemble des acteurs du système de soins, qui s’efforcent de mettre en œuvre le plus intelligemment possible des éléments de doctrine sanitaire ou d’organisation collective qui ne sont pas faciles à appliquer. Car il n’est pas facile de contrôler une épidémie sans traitement efficace, sans vaccin ni immunité collective.
Dans cet exercice difficile, j’essaie, dans toute la mesure du possible, bien que ce ne soit pas simple non plus – vous le savez, vous l’avez même dit –, d’apporter aux acteurs les éléments dont ils doivent disposer au moment de prendre les décisions. Pour éviter la propagation de l’épidémie, j’essaie de faire en sorte que les chaînes de contamination que les dispositifs départementaux permettront de remonter puissent être cassées et que l’approvisionnement en tests soit suffisant – il le sera techniquement.
Voilà ce que fait le gouvernement français, comme les gouvernements britannique, espagnol ou italien, chacun dans des conditions politiques spécifiques. Certains de ces gouvernements sont très critiqués en interne – à ce sujet, vous avez cité les bons chiffres ; c'est le cas dans les pays amis de la France que sont le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et la Belgique, parce que tout le monde a peur et sait bien que ce que nous vivons est redoutablement complexe.
Je rencontre beaucoup et j’entends beaucoup parler de nos concitoyens qui sont très en colère contre le Gouvernement. J’en entends aussi beaucoup d’autres qui nous disent : « Ce que vous êtes en train de faire – et ce qu’est en train de faire le ou la maire – est horriblement difficile, nous le savons tous ; alors allez-y, courage, tenez bon. » Il y a des pays où l’on dit ces choses-là plus publiquement que chez nous. C’est ainsi ; nous vivons en France. Nous aurons des leçons à tirer de l’expérience que nous vivons, des difficultés que nous traversons ; cela demandera beaucoup de lucidité et de travail en commun. J’y suis évidemment prêt. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Christian Jacob
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Gouvernement
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 6 mai 2020