Conseil européen du 19 juin
Question de :
M. Jean-Louis Bourlanges
Hauts-de-Seine (12e circonscription) - Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés
Question posée en séance, et publiée le 17 juin 2020
CONSEIL EUROPÉEN DU 19 JUIN
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges.
M. Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le Premier ministre, l’initiative franco-allemande appelant à un transfert budgétaire massif de l’Union en direction des États frappés par la pandémie couronne les efforts de notre pays pour corriger la principale anomalie du traité de Maastricht : la dissociation entre une intégration monétaire ambitieuse et une absence de vraie solidarité budgétaire.
M. Christian Hutin. C’est maintenant que vous vous en rendez compte ! Incroyable !
M. Jean-Louis Bourlanges. Elle atteste de surcroît la vitalité de la relation franco-allemande. Nos partenaires, prétendus rigides, auront en dix ans accepté à notre appel trois choses qui n’avaient pas initialement leur faveur : la politique de rachat par la Banque centrale européenne – BCE – des dettes souscrites par les États fragiles ; la reconnaissance par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – du lien nécessaire entre le niveau de rigueur budgétaire et l’état de la conjoncture économique ; et désormais les transferts budgétaires massifs de solidarité.
Le Conseil européen doit maintenant répondre à deux questions essentielles. Côté dépenses, le Gouvernement peut-il nous faire part des critères sur lesquels, à ses yeux, devrait s'opérer la répartition entre les prêts et les transferts ? Côté ressources, peut-il nous dire si, et dans quelle mesure, le plan doit être financé par une contribution des États proportionnelle à leur richesse ou – solution que nous préférons – par le recours à une nouvelle ressource propre ? Et dans ce dernier cas, laquelle ?
Cette initiative est cependant guettée par l’enlisement dans le marécage procédural des décisions à l’unanimité et des ratifications obligatoires. Ne pensez-vous pas qu’elle devra impérativement déboucher sur un saut qualitatif d’ordre institutionnel : l’extension à certains aspects du domaine budgétaire et fiscal du vote à la majorité qualifiée et de la codécision du Conseil et du Parlement ? Le moment n’est-il pas venu pour la France d’inviter les Européens à revisiter, sur un point essentiel, le pacte institutionnel qui les unit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM. – MM. Jean-Christophe Lagarde et Olivier Becht applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il y a quelques semaines, pendant le confinement, j'avais exprimé devant le Sénat ce que, je crois, beaucoup de nos concitoyens ressentaient, au début de la crise sanitaire, à propos de la réponse qui lui a été apportée : l'Union européenne n'avait alors pas été là où nous l'espérions et l'attendions. Ce sentiment, partagé en France, en Italie et en Espagne par de nombreux partisans convaincus de l'Europe, nous désolait et nous inquiétait. Depuis, il s'est passé beaucoup de choses, car les fervents partisans de l'Europe – ceux qui savent que l'avenir de notre continent passe par sa structuration politique et économique – se sont ressaisis. Ils y sont parvenus, vous l'avez souligné, grâce au couple franco-allemand. Les dirigeants français – le Président de la République comme l'ensemble des membres du Gouvernement mobilisés sur le sujet – et allemands – au premier chef, la chancelière Merkel – ont réussi à s'entendre, rappelant que l'Europe n'avançait jamais aussi bien que lorsque son moteur franco-allemand – formulation qui n'est pas toujours bien acceptée par nos partenaires ! – affichait une entente et faisait des propositions permettant d'entraîner l'ensemble de l'Union et de franchir une étape.
La proposition de la Commission européenne en matière de budget et de plan de relance, dont nous devrons débattre, s'inspire, vous le savez, du travail franco-allemand qui a été rendu public. Elle mobilise un peu plus de 1 800 milliards d'euros. Cette somme considérable – un montant qu'on a du mal à se représenter – constitue une réponse à la hauteur des enjeux. Une partie est destinée à la relance et une autre, plus classiquement, au budget de l'Union pour la période 2021-2027. Les négociations autour de ce plan vont s'engager lors du Conseil européen de vendredi.
S'agissant des ressources, la France est favorable au fait de financer le budget européen par de nouvelles ressources propres.
M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Certaines ont fait l'objet de propositions opérationnelles de la part de la Commission et devraient être collectées dès 2021 : c'est le cas de la taxe sur les déchets plastiques et des ressources dites ETS – Emission Trading Scheme – qui proviennent de taxes sur l'émission de gaz à effet de serre. D'autres vont faire l'objet de discussions, notre espoir étant de les voir valider au plus vite : la taxe sur les services numériques, pour laquelle nous nous sommes beaucoup battus ; la taxe carbone aux frontières, essentielle pour remettre un peu d'équité dans le commerce international et prendre en compte les objectifs de l'accord de Paris ; la taxe sur les transactions financières qui ne peut, nous semble-t-il, être utile qu'à l'échelle européenne et non État par État.
Côté dépenses, la Commission, vous le savez, a proposé la création d'un instrument financier fort de 750 milliards d'euros – 500 milliards de dépenses et 250 milliards de prêts –, destiné à rehausser pendant trois ans les programmes de l'Union, autour de trois piliers : la facilité de relance et de résilience – 560 milliards ; une aide destinée à faire redémarrer l'économie, en particulier en favorisant l'investissement privé – 90 milliards ; le renforcement de certaines actions, avec notamment la création d'un programme pour la santé permettant l'ouverture à de nouveaux champs indispensables à l'échelle européenne si nous voulons tenir compte de ce qui s'est passé.
La répartition entre les prêts et les dons est surtout fonction de la finalité de la dépense. Un soutien à la solvabilité d'une entreprise sera généralement un prêt. Les rehaussements du Fonds européen agricole pour le développement rural – FEADER – ou du Fonds social européen – FSE – pourront beaucoup plus facilement relever de transferts budgétaires ; tout cela est logique.
Vous avez évoqué le risque des marécages – ou étaient-ce des méandres ? – décisionnels européens et la difficulté de construire, sur un terrain qui n'est pas solide, un déficit (Sourires)… pardon, un édifice durable.
M. Pierre Cordier. Lapsus révélateur !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je me permets de vous faire remarquer, monsieur Bourlanges, que la France avait soutenu la proposition du commissaire européen Pierre Moscovici tendant à utiliser la clause passerelle pour passer, en matière fiscale, des décisions à l'unanimité aux décisions à la majorité qualifiée. Cette position me semble devoir être maintenue. Si nous voulons avancer, il faut changer de registre : nous devons conserver notre ambition, mais nous en donner les moyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Jean-Louis Bourlanges
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 juin 2020