Report des programmes
Question de :
M. Stéphane Peu
Seine-Saint-Denis (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Stéphane Peu interroge M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur le report des programmes non effectués à compter de mars 2020.
Réponse en séance, et publiée le 9 décembre 2020
RATTRAPAGE DES COURS NON DISPENSÉS PENDANT LE CONFINEMENT
M. le président. La parole est à M. Stéphane Peu, pour exposer sa question, n° 1024, relative au rattrapage des cours non dispensés pendant le confinement.
M. Stéphane Peu. Monsieur le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, depuis le 16 mars, 12 millions d'élèves ont quitté leurs classes et leurs enseignants. Où en sommes-nous dix semaines plus tard ? À l'évidence, le confinement des élèves a accentué les fractures sociale, scolaire et numérique. Il ne pouvait pas en être autrement, car on sait que l'accès au savoir n'est pas le même d'une famille à une autre, que les conditions de vie, notamment d'habitat, diffèrent considérablement d'une famille, d'un département ou d'une catégorie sociale à l'autre et que le décrochage numérique est une réalité pour bon nombre de familles. Certaines zones rurales comportent des zones blanches et certaines familles ne possèdent qu'un seul ordinateur, voire un seul téléphone portable. En outre, il n'y a pas eu, durant cette période, la dynamique pédagogique de la classe, à laquelle se sont souvent substituées des disputes dans la fratrie pour savoir qui disposerait du seul lien numérique de la famille. On ne peut donc pas considérer qu'il y ait eu continuité pédagogique pendant le confinement : il y a ceux pour qui les liens ont été totalement rompus, ceux pour qui ils ont été maintenus par les efforts des parents et des enseignants, mais pour qui l'enseignement s'est fait en pointillé – des pointillés parfois très espacés –, et aussi, fort heureusement, ceux qui ont pu continuer l'apprentissage.
Notre système éducatif ne peut pas fonctionner sans l'école, sans les classes, sans les enseignants, sans les dynamiques de groupe. Comme vous l'avez fait à plusieurs reprises, je tiens à saluer l'implication et le courage dont ont fait preuve les enseignants pour maintenir coûte que coûte le lien pédagogique pendant cette période, à force d'innovation, de mobilisation et, parfois, d'engagement personnel très fort.
Depuis le 11 mai, la reprise est engagée. Elle est, on le sait, très partielle et se fait sur la base du volontariat, dans des conditions qui peuvent être très différentes d'un endroit à un autre selon la configuration des villes et des classes et selon la sociologie des communes ou des quartiers, mais s'il ne s'agit plus du confinement, ce n'est pas non plus la reprise de l'école. De fait, ce n'est pas de la garderie, mais pas vraiment non plus de l'école. Dans ma ville, un enseignant me parlait d'« accueil pédagogique ».
La question du rattrapage des semaines de confinement est donc posée et j'imagine que vous-même et votre ministère y réfléchissez. Comment faire pour ne pas pérenniser ce trou noir de trois mois, quels que soient les moyens mis en œuvre ? Est-il envisagé, comme le proposent certains universitaires et enseignants, d'opérer au cours des années prochaines un lissage des trois mois de programme qui n'auront pas pu être étudiés, afin que ce retard ne soit d'aucune manière entériné, ce qui creuserait un peu plus les inégalités ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Je partage en grande partie votre déception – mais en grande partie seulement. Je souscris aisément à l'épine dorsale de votre argumentation, qui consiste à dire que l'école est fondamentale – en d'autres termes, qu'on ne peut pas se passer de l'école. Pour ceux qui n'en auraient pas été convaincus avant le confinement, ce dernier a malheureusement démontré qu'on a besoin de l'école, et c'est bien pour cela que le déconfinement est aujourd'hui nécessaire. L'école est la clé de l'unité de la République, de l'égalité des chances et de la compensation des inégalités familiales – vous l'avez très bien dit et nous allons évidemment être d'accord sur ce point.
Il ne faut cependant pas noircir le tableau. Il y a eu, en effet, continuité pédagogique. Certains y ont, hélas, échappé : c'est le cas des fameux 4 % de décrocheurs. Ce chiffre est, au demeurant, une moyenne : il est, en certains endroits, beaucoup plus élevé, et en d'autres beaucoup moins. Il faut aussi compter avec des imperfections générales. Toutefois, ne minimisons ni les problèmes ni les forces.
Minimiser les problèmes, ce serait ne pas voir que l'Europe en son entier – le continent qui a été le plus touché dans le monde –, que les sociétés européennes sont en quelque sorte affectées dans leur lien avec l'école. C'est pourquoi il faut non seulement restituer ce lien mais encore, compte tenu des difficultés que nous avons eues, nous efforcer de le renforcer.
Ne minimisons pas non plus les forces. Vous l'avez dit, les professeurs se sont engagés. La France a probablement été l'un des pays les meilleurs en matière d'enseignement à distance, ne serait-ce que parce que nous avions préparé depuis deux ans ce système de la classe à la maison et parce que les professeurs se sont magnifiquement engagés.
Je me trouvais hier dans un collège de Pacy-sur-Eure qui reprenait le travail. Les élèves que j'y ai vus avaient connu la continuité pédagogique et ce qui leur était proposé n'était pas un « accueil pédagogique » – je suis en cela en désaccord avec vous. Il ne faut surtout pas dénigrer ce qui se passe. Si j'ai demandé que la rentrée se fasse d'abord par niveau, en même temps que par public prioritaire, c'est bien pour assurer la charpente de l'éducation nationale : il s'agit vraiment de faire classe en mai et juin, même si cela se fait d'une manière différente. L'école ne doit pas être une garderie. Elle est le lieu de la transmission des savoirs, et c'est le cas actuellement, même si, je vous l'accorde, c'est encore imparfait.
Pour répondre directement à votre question, il est certain qu'un rattrapage scolaire est nécessaire. Tout au long du mois de juin, je procéderai à des concertations afin de réfléchir à l'année 2020-2021. Ce rattrapage passera surtout par des modules de soutien scolaire gratuit. La réflexion que je mène sur ce point englobe les vacances d'été et l'année 2020-2021.
Auteur : M. Stéphane Peu
Type de question : Question orale
Rubrique : Enseignement
Ministère interrogé : Éducation nationale et jeunesse
Ministère répondant : Éducation nationale et jeunesse
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mai 2020