Relations avec la Turquie
Question de :
Mme Marine Le Pen
Pas-de-Calais (11e circonscription) - Non inscrit
Mme Marine Le Pen attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les relations de la France avec la Turquie. Aujourd'hui, du fait de son appartenance pleine et entière à l'OTAN, la France est factuellement alliée de la Turquie. Or, depuis plusieurs années et notamment depuis l'arrivée au pouvoir du régime actuel, ce pays bafoue les principes et règles du droit international aussi bien à l'intérieur de ses frontières (les arrestations en masse par exemple) qu'à l'extérieur et c'est beaucoup plus grave car sur le plan international la France est, à travers l'OTAN, alliée de la Turquie. Que ce soit en Syrie, où son soutien à des organisations islamistes a déstabilisé l'État syrien, à Chypre où la Turquie envisage d'installer des forages pétroliers de façon illégale, ou encore en Lybie où l'envoi de troupes turques fragilise un pays très instable et fait peser un risque sécuritaire à l'Europe et à la France en particulier avec un chantage à l'immigration, la Turquie n'est aujourd'hui pas un pays fiable. Le récent acte hostile, selon les mots du ministère des armées, à l'encontre d'une des frégates françaises en est la plus récente illustration. Sa présence dans la même alliance que la France tout comme sa candidature à l'entrée dans l'Union européenne posent clairement un problème majeur. Elle souhaite savoir si le Gouvernement entend réévaluer la relation avec la Turquie afin de protéger les intérêts de la France.
Réponse en séance, et publiée le 1er juillet 2020
RELATIONS AVEC LA TURQUIE
M. le président. La parole est à Mme Marine Le Pen, pour exposer sa question, n° 1118, relative aux relations avec la Turquie.
Mme Marine Le Pen. Depuis plusieurs années, et singulièrement depuis quelques mois, la Turquie bafoue les règles du droit international, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières.
Or, par notre appartenance pleine et entière à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, l'OTAN, nous sommes de facto les alliés de la Turquie. Il ne faudrait pas que nous devenions les complices passifs de ses agissements.
Que ce soit en Syrie où son soutien à des organisations islamistes a déstabilisé l'État syrien, à Chypre où elle envisage d'installer des forages pétroliers de façon illégale, ou encore en Libye où l'envoi de troupes turques fragilise un pays très instable, sans oublier son régulier chantage à l'immigration, la Turquie n'est actuellement pas un pays fiable pour la France.
Le récent acte hostile, selon les mots du ministère des armées, à l'encontre d'une de nos frégates, en est une parfaite illustration. Il semblerait que, lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN, malgré la gravité de l'incident, on ait pu constater une solidarité a minima de la part de nos alliés, le secrétaire général de l'organisation semblant même renvoyer dos à dos notre plainte et les dénégations turques.
Devant la détermination de la France, l'OTAN a certes fini par ouvrir une enquête, mais cette posture est, de fait, favorable à l'agresseur, c'est-à-dire à la Turquie.
De même, l'Union européenne en général et l'Allemagne en particulier n'ont pas manifesté un soutien très clair à la France. Faut-il trouver une explication dans la lecture du rapport sur les exportations allemandes d'armement en 2019 ? On y découvre, en effet, un chiffre particulièrement gênant dans le contexte actuel : 41,8 % des exportations de matériels de guerre allemands sont à destination des armées turques. L'Allemagne arme donc massivement la Turquie.
La présence de la France au sein de la même alliance que la Turquie comme la candidature turque à l'entrée dans l'Union européenne posent clairement à nouveau un problème majeur.
Quelles règles d'engagement le Gouvernement a-t-il donné à nos armées en cas de nouvel acte hostile vis-à-vis d'un bâtiment de notre marine ? Plus généralement, comment le Gouvernement entend-il réévaluer notre relation avec la Turquie, afin de protéger les intérêts de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes. Le Président de la République l'a de nouveau souligné lors de la récente visite du président tunisien à Paris : la Turquie joue un jeu dangereux. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, évoque régulièrement le sujet lors de ses échanges avec les différentes commissions parlementaires. Et je le redis aujourd'hui solennellement : le Gouvernement estime indispensable que l'Union européenne défende sans tabou et sans naïveté ses propres intérêts ; nous en avons les moyens.
Vous avez évoqué l'affaire de la frégate Courbet, cette frégate française qui, alors qu'elle agissait pour le compte de l'OTAN, a fait l'objet d'un acte extrêmement agressif de la part d'une frégate turque qui couvrait une violation de l'embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies à la Libye.
Ces agissements sont indignes d'un pays allié, et inacceptables, ce que le Président de la République a redit hier lors de sa rencontre avec Angela Merkel au château de Meseberg. Ils viennent renforcer le besoin d'une clarification des positions d'Ankara sur plusieurs sujets essentiels : les relations de la Turquie avec ses alliés au sein de l'OTAN, ses relations avec l'Union européenne, son action dans les crises régionales.
Vous l'avez souligné, madame la députée, une réunion ministérielle de l'OTAN a en effet eu lieu la semaine dernière. Florence Parly, la ministre des armées, et Jean-Yves Le Drian ont rappelé à cette occasion à quel point les agissements de la Turquie favorisaient une crise de solidarité au sein de l'Alliance. La France a reçu le soutien de très nombreux partenaires et le secrétaire général de l'OTAN a décidé l'ouverture d'une enquête.
L'engagement militaire de la Turquie en Libye alimente le conflit et le risque d'escalade. Les interférences turques contreviennent aux engagements pris en janvier dans le cadre du processus de Berlin en faveur d'une solution politique en Libye, seule solution possible pour mettre fin au conflit. Elles justifient donc la mobilisation de l'Union européenne dans la recherche d'une désescalade des tensions et plaident pour l'entrée en vigueur pleine et entière de l'opération européenne Irini, lancée en avril et visant à faire respecter, à travers des moyens navals, aériens et satellitaires, l'embargo sur les armes imposé à la Libye. Nous voulons que cette opération se déploie et s'amplifie.
Nous sommes en outre très inquiets, comme vous, des initiatives unilatérales d'Ankara en Méditerranée orientale et, en particulier, des récentes annonces concernant des forages au large de la Crète. Ces initiatives renforcent le constat que la Turquie ne souhaite pas s'engager dans la voie du dialogue, pourtant plus nécessaire aujourd'hui que jamais aux relations de bon voisinage.
Dès lors, il nous semble essentiel de maintenir une position européenne très ferme sur le respect par la Turquie du droit international, notamment du droit de la mer, et d'approfondir la discussion avec nos partenaires européens sur les perspectives des relations entre l'Union européenne et Ankara. Nous pensons que la baisse des tensions dans cette zone fragile est un impératif absolu.
La France continuera, en outre, de suivre avec une grande attention la situation des libertés et des droits fondamentaux en Turquie, ainsi que les pressions sur la société civile. Nous restons, à cet égard, particulièrement préoccupés par le maintien en détention de nombreux prisonniers politiques, et ce malgré la loi d'amnistie récemment adoptée par les autorités turques.
Croyez-le bien, madame la députée, quelles que soient les difficultés, dans un contexte international marqué par de fortes tensions et la remise en question du multilatéralisme, le Président de la République et le gouvernement français entendent maintenir avec la Turquie un dialogue lucide et exigeant sur ces différents sujets.
Auteur : Mme Marine Le Pen
Type de question : Question orale
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères
Ministère répondant : Europe et affaires étrangères
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 juin 2020