Objectifs irréalisables du taux minimum de logements sociaux
Question de :
Mme Laurence Trastour-Isnart
Alpes-Maritimes (6e circonscription) - Les Républicains
Mme Laurence Trastour-Isnart attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur la situation dans laquelle se trouvent de nombreuses communes face à l'obligation de disposer d'un taux minimum de logements sociaux. En effet, l'article 55 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (dite « loi SRU ») pose l'obligation pour certaines communes de plus de 3 500 habitants d'atteindre un taux de 25 % de logements sociaux pour 2025. Pour des raisons liées tant à l'histoire qu'aux contraintes géographiques, il n'est pas toujours possible pour les communes d'atteindre les objectifs fixés. Pour une part, ces contraintes sont prises en compte, de manière très limitée, et permettent de supprimer les obligations de développement de l'offre dans les communes fortement empêchées. C'est en ce sens que s'est inscrit le décret n° 2017-1810 du 28 décembre 2017 pris pour l'application du III de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, qui a exempté 274 communes pour les années 2018 et 2019. Pour une autre part, ces contraintes ne sont pas suffisamment prises en compte, tout comme les conséquences de l'application des lois n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral et n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. C'est pourquoi il est nécessaire d'agir. Avec la même orientation d'adaptation aux circonstances locales, elle lui demande si le Gouvernement envisage la création d'un régime dérogatoire visant à fixer un taux cible spécifique de logements sociaux à atteindre au regard des contraintes existantes où les objectifs sont irréalisables.
Réponse en séance, et publiée le 13 janvier 2021
TAUX MINIMUM DE LOGEMENTS SOCIAUX
M. le président. La parole est à Mme Laurence Trastour-Isnart, pour exposer sa question, n° 1213, relative au taux minimum de logements sociaux.
Mme Laurence Trastour-Isnart. Je souhaite appeler votre attention, madame la ministre déléguée, sur l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, qui impose à certaines communes de plus de 3 500 habitants d’atteindre 20 %, et désormais 25 % de logements sociaux. Villeneuve-Loubet et Saint-Laurent-du-Var, communes de ma circonscription classées en état de carence en la matière, sont fortement pénalisées pour n’avoir pas construit suffisamment de logements sociaux durant la dernière période triennale, et doivent payer de fortes pénalités.
Villeneuve-Loubet a pourtant construit 233 logements, alors même que 70 % de son territoire est classé en zone naturelle – dont une grande partie en zone Natura 2000. Les 30 % restants sont constructibles, mais largement soumis au risque d'inondation. Malgré cela, il lui est imposé de construire 761 logements entre 2019 et 2022, c'est-à-dire plus que ce qui a été fait en cinquante-cinq ans ! Cette commune a par ailleurs subi de gros dégâts lors des inondations de 2019, qui n'ont pas été pris en considération dans le bilan.
Les objectifs fixés sur le papier sont déconnectés de la réalité et trop souvent irréalisables. Les efforts des communes ne sont pas suffisamment pris en compte, alors que les maires appliquent une politique volontariste. Ces difficultés sont fréquentes dans les Alpes-Maritimes, mais aussi dans de nombreux autres territoires. Il serait judicieux et cohérent de moduler le taux de 25 % de logements sociaux en fonction de l’histoire, de la géographie et des contraintes urbanistiques. Il est nécessaire d’agir et d’accompagner les communes, sans les pénaliser.
En outre, le taux de logements sociaux devrait être calculé sur la base du nombre de résidences principales privées qu'avaient les communes en 2001, date d'entrée en vigueur de la loi, et non sur la base réactualisée du dernier contrat triennal.
Afin de s’adapter au mieux aux spécificités locales, le Gouvernement envisage-t-il de moduler les objectifs de création de logements sociaux, au regard des contraintes des territoires ? Est-il disposé à fonder son bilan sur la base des chiffres de 2001 pour connaître le véritable taux d'effort des communes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du logement.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement. Vous avez souhaité appeler mon attention sur les difficultés qu'ont certaines communes à remplir leurs obligations de production de logement social, issues de l'article 55 de la loi SRU, notamment quand elles sont soumises aux lois dites littoral ou montagne.
Je tiens à rappeler que si la loi SRU, votée il y a vingt ans, impose à certaines communes un taux minimal de logements sociaux, c'est pour que nos concitoyens disposent d'une offre locative pérenne de cette nature, qui satisfasse les besoins des demandeurs de logement – ils sont encore 2 millions en France – et, parmi eux, des personnes et des ménages les plus modestes.
La situation spécifique de certaines communes est déjà largement prise en compte par le dispositif d'exemption instauré par la loi. Ainsi, le décret du 30 décembre 2019 a exempté d'obligation de rattrapage 232 communes situées dans des secteurs isolés, mal desservies, connaissant une faible demande de logement social ou grevées de surfaces inconstructibles.
Par ailleurs, le développement d'une offre sociale de logement n'implique pas forcément de réaliser des constructions neuves sur un terrain nu. Les objectifs de rattrapage peuvent aussi, en effet, être satisfaits par l'acquisition et l'amélioration de logements existants, par la densification de l'espace ou par la mobilisation du parc privé conventionné avec l'Agence nationale de l'habitat – ANAH. Ces modes de production, économes dans leur consommation d'espaces naturels et agricoles, sont parfaitement indiqués pour limiter l'extension de l'urbanisation, dans certains cas.
Néanmoins, face aux questions posées par l'application de la loi SRU, j'ai confié à Thierry Repentin, président de la commission nationale SRU, une mission de réflexion sur la prolongation des objectifs de cette loi au-delà de 2025. Je souhaite en effet que nous dépassions la date couperet de 2025, et que nous réaffirmions un objectif ambitieux de production et de répartition de logements sociaux sur le territoire, en tenant compte des difficultés rencontrées durant la période précédente dans l'application du dispositif. Cette mission examinera les éventuelles évolutions devant être apportées à ce dernier en raison de situations spécifiques. Toutefois, l'exigence et l'universalité du dispositif devront être préservées. En effet, compte tenu de la crise du logement que traverse notre pays et des difficultés toujours plus importantes que rencontrent nos concitoyens les plus fragiles pour se loger, nous devons poursuivre notre engagement, bien réparti sur le territoire national, en faveur du développement de l'offre de logement social.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Trastour-Isnart.
Mme Laurence Trastour-Isnart. Madame la ministre, merci de ne pas fermer complètement la porte sur l'avenir.
Les maires reçoivent dans leur bureau beaucoup de personnes qui rencontrent des difficultés pour se loger. Ils connaissent la problématique et sont volontaristes : ils veulent construire des logements sociaux. Les pénalités qu'ils paient à l'État – pour Villeneuve-Loubet, cela représente 3 millions d'euros depuis 2014 et 6,1 millions depuis 2002 – pénalisent moins le maire que le citoyen, puisque ce sont des aides sociales et des bâtiments communaux en moins, de nombreuses structures qui ne pourront pas être réalisées par la commune, par exemple une piscine qui ne pourra pas être construite, sachant que ce ne sont pas ces pénalités qui vont nécessairement améliorer la situation.
Une corrélation entre les préfets, les services de l'État, qui sont sur le terrain et connaissent les problématiques, et les maires est indispensable pour définir des spécificités et des projets par commune.
Auteur : Mme Laurence Trastour-Isnart
Type de question : Question orale
Rubrique : Logement
Ministère interrogé : Logement
Ministère répondant : Logement
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 janvier 2021