Réinterroger le projet CDG Express
Question de :
Mme Frédérique Dumas
Hauts-de-Seine (13e circonscription) - Libertés et Territoires
Mme Frédérique Dumas attire l'attention de M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, sur le projet de liaison express entre Paris et l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Le mardi 5 février 2019, Mme Élisabeth Borne, alors ministre chargée des transports, confirmait la réalisation du CDG Express (CDGE), « en assurant » que « cela ne se ferait pas au détriment des transports franciliens », sans toutefois y apporter de garanties concrètes. Par ailleurs, le modèle économique sur lequel reposait ce projet alors budgété à 2 milliards d'euros était d'ores et déjà très fragile. En mars 2020 le temps s'est arrêté. L'épidémie de covid-19 est devenue mondiale et a conduit au confinement de l'ensemble de la population dans le pays. Le Président de la République a d'ailleurs été amené à annoncer que la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) était abandonnée. Or c'est bien dans ce contexte de premier confinement que le Gouvernement a décidé de donner agrément au guide de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics en vue de faire redémarrer les chantiers du CDGE au plus vite. Il est tout simplement sidérant qu'il n'ait même pas été question de réinterroger un tel projet, dont la pertinence avant la crise était déjà fortement ébranlée. C'est d'ailleurs dans ce contexte que le tribunal administratif de Montreuil a annulé, le 9 novembre 2020, l'autorisation environnementale accordée le 11 février 2019, « en tant qu'elle permet de déroger à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées ». Le tribunal a par ailleurs noté que les circonstances avaient, de fait, changé depuis la déclaration d'utilité publique de 2017 en raison de la forte baisse du trafic aérien, dont le caractère purement transitoire ne peut être prédit, et également du fait de la renonciation à la mise en service de cette ligne directe pour les jeux Olympiques de 2024. Le tribunal a également considéré que les études jointes au dossier ne permettaient pas de tenir pour « suffisamment probables » plusieurs des avantages attendus du CDGE, à savoir : « l'amélioration du confort des voyageurs du RER B, la diminution sensible du trafic routier, le renforcement de l'attractivité de la capitale et de sa région ainsi que la création d'une liaison fiable et ponctuelle ». Elle lui demande si, à l'aune du rapport de l'ex-préfet de région, du retard pris sur le chantier du Grand Paris Express, de la crise sanitaire, économique et sociale et des considérants et des décisions rendus par le tribunal administratif de Montreuil, il ne serait pas enfin temps de réinterroger en profondeur le projet de liaison express entre Paris et l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle.
Réponse en séance, et publiée le 27 janvier 2021
PROJET DU CHARLES-DE-GAULLE EXPRESS
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Dumas, pour exposer sa question, n° 1251, relative au projet du Charles-de-Gaulle Express.
Mme Frédérique Dumas. Le mardi 5 février 2019, Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports, confirmait la réalisation du Charles-de-Gaulle Express – CDGE –, en assurant qu'elle ne se ferait pas au détriment des transports franciliens, mais sans y apporter de garanties concrètes. De surcroît, le modèle économique sur lequel reposait ce projet, alors budgété à 2 milliards d'euros, était d'ores et déjà très fragile.
En mars 2020, le temps s'est arrêté. L'épidémie de la covid-19 est devenue mondiale et a conduit au confinement de l'ensemble de la population dans notre pays. Le Président de la République a même été amené à annoncer que la privatisation d'ADP – Aéroports de Paris – était abandonnée. Or c'est bien dans ce contexte du premier confinement que le Gouvernement a décidé de donner agrément au guide de l'OPPBTP, l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, en vue de faire redémarrer les chantiers du CDGE au plus vite. Il est vraiment sidérant qu'il n'ait même pas été question de s'interroger sur un tel projet, dont la pertinence avant la crise était déjà fortement ébranlée.
C'est dans ce contexte que le tribunal administratif de Montreuil a annulé, le 9 novembre 2020, l'autorisation environnementale accordée le 11 février 2019, « en tant qu'elle permet de déroger à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées ». Le tribunal a par ailleurs noté que les circonstances avaient, de fait, changé depuis la déclaration d'utilité publique de 2017, en raison de la forte baisse du trafic aérien, dont le caractère purement transitoire ne peut être prédit, et également du fait de la renonciation à la mise en service de cette ligne directe pour les jeux Olympiques de 2024. Le tribunal a également considéré que les études jointes au dossier ne permettaient pas de tenir pour « suffisamment probables plusieurs des avantages attendus du CDGE, à savoir l'amélioration du confort des voyageurs du RER B, la diminution sensible du trafic routier, le renforcement de l'attractivité de la Capitale et de sa région ainsi que la création d'une liaison fiable et ponctuelle entre le centre de Paris et l'aéroport ».
Ma question est donc la suivante : à l'aune du retard pris sur le chantier du Grand-Paris Express, de la crise sanitaire, économique et sociale, des considérants et des décisions rendues par le tribunal administratif de Montreuil, ne serait-il pas enfin temps de réinterroger en profondeur le projet de liaison express entre Paris et l'aéroport Charles-de-Gaulle, et d'envisager sa remise en cause ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la biodiversité.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité. Le ministre délégué chargé des transports, Jean-Baptiste Djebarri, a déjà eu l'occasion plusieurs fois d'indiquer dans cet hémicycle ce que je souhaite confirmer à mon tour : le projet Charles-de-Gaulle Express est complémentaire et non parallèle à la modernisation du RER B, lequel sera rendu ainsi plus robuste, plus accueillant et plus ciblé sur les transports du quotidien. Ce projet est d'importance majeure pour la région capitale, essentiel pour son attractivité économique et touristique et, en outre, représente 800 emplois et un investissement de plus de 2 milliards d'euros sans subventions publiques. Il répond par ailleurs aux besoins d'amélioration du confort des voyageurs du RER B, puisqu'il consacre plus de 500 millions d'euros à cette ligne et permettra d'en délester de 6 000 à 7 000 voyageurs, ainsi que leurs bagages, chaque jour, principalement aux heures de pointe.
Il s'inscrit, vous le savez, dans une logique de report modal de la route vers le fer, ce qui permettra non seulement d'économiser plus de 330 000 tonnes de CO2 sur cinquante ans, mais aussi de désaturer les accès à l'aéroport. Le maintien de l'utilisation des voies existantes minimisera l'impact de la construction du CGDE. On ne peut pas laisser dire que le Gouvernement a agréé le guide de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics à la seule fin de poursuivre au plus vite les travaux, puisque cet agrément a permis la reprise de l'ensemble des chantiers de travaux publics dans des conditions de sécurité sanitaire satisfaisantes, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Comme vous l'avez indiqué, le tribunal administratif de Montreuil a partiellement annulé l'autorisation environnementale du projet, mais l'État a fait appel. Je vous rappelle que ce projet avait été reconnu d'utilité publique par le Conseil d'État. Et, au vu des éléments que je viens d'exposer, il conserve toute sa pertinence. L'État a d'ailleurs assorti son recours d'une demande de sursis à l'exécution de la décision du tribunal, afin de permettre une reprise plus rapide des travaux. Si certains chantiers hors du champ de l'annulation partielle ont pu se poursuivre ou redémarrer début janvier, l'arrêt des autres risquerait d'avoir des conséquences opérationnelles sur l'ensemble des projets de transport du quotidien de l'axe nord, à savoir sur le RER B, sur la ligne K, sur le TER Paris-Laon et sur le projet Éole. Voilà pourquoi le Gouvernement restera vigilant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Dumas.
Mme Frédérique Dumas. Madame la secrétaire d'État, le 17 novembre 2020, en réponse à une lettre adressée au Président de la République sur les problèmes posés par la future construction du terminal 4 de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, la ministre de la transition écologique et le ministre délégué chargé des transports ont été amenés à faire une réponse en totale contradiction avec ce que vous venez de dire. En effet, ils ont estimé que le rapport rendu par l'Autorité environnementale met en avant plusieurs points qui méritent d'être étudiés et que la crise de la covid-19 a fortement affecté l'économie du transport aérien ; ils reconnaissent que l'Association internationale du transport aérien estime que le trafic ne retrouvera pas son niveau antérieur à la crise avant 2024, et que plusieurs incertitudes planent quant aux futures pratiques professionnelles et touristiques de nos concitoyens ; ils concluent, enfin, sur le fait que, des réévaluations étant nécessaires, le groupe Aéroports de Paris va revoir son projet en profondeur pour tenir compte de ces nouveaux enjeux. Ce qui préside à la réflexion de ces ministres concernant le terminal 4 devrait également valoir pour le Charles-de-Gaulle Express, comme l'a compris récemment, et à juste titre, le tribunal administratif de Montreuil.
Enfin, s'il est vrai que le projet a été concédé à une société privée, c'est bien l'État qui a consenti à en être le créancier pour une somme avoisinant le 1,7 milliard d'euros, en vertu de la loi de finances 2018, laquelle précise que les dépenses et la dette seront consolidées au sein des finances publiques. C'est donc bien l'État, donc le contribuable, qui est garant en cas de déficit d'exploitation. Or un déficit d'exploitation était d'ores et déjà attendu bien avant la crise sanitaire, du fait que le dépassement des coûts initiaux pour ce type de chantier est généralement de l'ordre de 30 % et que les estimations de recettes étaient très optimistes. Autres raisons : le tarif prohibitif, la conception même du projet ne desservant pas, notamment, le terminal 3, et un terminus prévu, vous le savez, gare de l'Est.
On continue comme sur le Titanic : aucune remise en cause du projet, bien que les ministres utilisent, pour le terminal 4, les mêmes arguments que les miens !
Auteur : Mme Frédérique Dumas
Type de question : Question orale
Rubrique : Transports urbains
Ministère interrogé : Transports
Ministère répondant : Transports
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 janvier 2021