Fiscalité dans les relations bilatérales avec le Grand-Duché de Luxembourg
Question de :
M. Belkhir Belhaddad
Moselle (1re circonscription) - La République en Marche
M. Belkhir Belhaddad attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la fiscalité et la souveraineté, dans les relations bilatérales avec un État voisin : le Grand-Duché de Luxembourg. Cette situation est connue : 200 000 travailleurs frontaliers, dont 104 000 Français ; 57 % d'entrepreneurs installés au Luxembourg qui sont des frontaliers ; très faibles flux inverses, du Luxembourg vers la France, l'Allemagne ou la Belgique. Aujourd'hui, il y a un actif résident pour un actif frontalier. Demain, ce rapport va s'inverser et le pays accueillera deux actifs frontaliers pour un seul actif résident. Cela peut être vu de façon positive : il y a de l'emploi, des salaires tendanciellement plus élevés et un certain dynamisme dans les zones transfrontalières. Mais la réalité qui en découle, c'est aussi un appauvrissement des ressources fiscales et des capacités de décision et d'organisation du territoire. C'est bien une question de souveraineté. Les collectivités locales sont mises à contribution pour offrir un haut niveau de service, en termes de transports, de garde d'enfants, de soins, de formation, sans la moindre compensation fiscale. Le tissu économique des territoires se dégrade, en raison du transfert massif d'entreprises et donc, les ressources fiscales aussi. L'offre de service public se dégrade, car les ressources humaines s'assèchent et donc, les ressources propres aussi. L'offre de transports se dégrade car les besoins croissants d'acheminer les frontaliers vers leur lieu de travail nécessitent des investissements lourds et longs et donc, la qualité de vie aussi. L'Europe constitue un cadre au sein duquel ce type de problématique se résout, pas un cadre au sein duquel il se creuse, jusqu'à atteindre un point de non-retour et d'exaspération de tous. Ces questions se règlent généralement par conventions bilatérales, selon des principes de responsabilité partagée et de réciprocité. Les autorités locales, en France, en Allemagne, le réclament avec force. Aussi il lui demande, sur les fondements du rapport Lambertz pour le Conseil de l'Europe, à quelle échéance et selon quelles modalités la République française envisage d'ouvrir des négociations avec le Grand-Duché de Luxembourg, concernant la mise en œuvre de compensations fiscales.
Réponse en séance, et publiée le 17 février 2021
COMPENSATIONS FISCALES AVEC LE LUXEMBOURG
Mme la présidente. La parole est à M. Belkhir Belhaddad, pour exposer sa question, n° 1268, relative aux compensations fiscales avec le Luxembourg.
M. Belkhir Belhaddad. Je souhaite appeler votre attention, monsieur le ministre délégué, sur le sujet des relations fiscales avec un État voisin de ma circonscription, le Grand-Duché de Luxembourg. Cette situation est connue : 200 000 travailleurs frontaliers, dont 104 000 Français ; 57 % d'entrepreneurs installés au Luxembourg qui sont des frontaliers ; très faibles flux du Luxembourg vers la France, de même que vers l'Allemagne ou la Belgique.
Au Luxembourg, il y a aujourd'hui un actif résident pour un frontalier ; demain ce rapport va évoluer, avec deux actifs frontaliers pour un seul résident. Cela peut être considéré comme quelque chose de très positif : il y a de l'emploi, des salaires tendanciellement plus élevés et un certain dynamisme dans les zones transfrontalières. Mais il en découle aussi un appauvrissement des ressources fiscales et des capacités de décision et d'organisation du territoire. Les collectivités locales sont mises à contribution pour offrir un haut niveau de service en matière de transports, de garde d'enfants, de soins et de formation, et ce sans compensation fiscale ni participation de notre voisin. Le tissu économique des territoires peut être fragilisé en raison du transfert d'entreprises, ce qui a aussi un impact sur les ressources fiscales. Le recrutement des personnels qualifiés ou non qualifiés en France est contraint, en raison des déséquilibres portant sur les salaires et sur la protection sociale ; l'offre de transport doit être sans cesse enrichie pour répondre à ces enjeux.
L'Europe constitue un cadre idéal au sein duquel ces problèmes pourraient être résolus. Ces questions se règlent généralement par convention bilatérale, selon des principes de responsabilité partagée et de réciprocité. Le rapport Lambertz pour le Conseil de l'Europe préconise d'ouvrir, avec le Grand-Duché de Luxembourg, des négociations sur l'instauration de compensations fiscales.
Une autre piste évoquée, qui a ma préférence, est celle d'un codéveloppement de projets, qui existe déjà en matière d'infrastructures ferroviaires et qui pourrait s'enrichir d'autres sujets comme celui de la formation des soignants, qui m'est cher. Aussi je souhaite connaître votre position, monsieur le ministre délégué, sur les enjeux tels qu'ils seront défendus par la France lors de la prochaine conférence intergouvernementale.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics. Vous avez raison de souligner l'importance de la coopération transfrontalière, qui concerne notre pays mais qui, au-delà, est un enjeu communautaire, eu égard à l'importance des flux et à la liberté de circulation.
Pour toutes les raisons que vous avez mentionnées, les domaines socioéconomiques sur lesquels vous avez appelé notre attention sont au cœur des préoccupations du Gouvernement – je sais que vous les partagez. Vous souhaitez que, notamment en matière de transports, le cofinancement de 2018, 220 millions d'euros d'investissements dans la ligne ferroviaire entre Metz et Luxembourg et dans quelques parkings relais, en soit un exemple marquant et qu'il soit parfaitement réalisé.
De la même manière, vous avez rappelé à juste titre qu'il y a un intérêt partagé, tant du côté français que du côté luxembourgeois, pour la question de la coopération. Le ministre des affaires étrangères du Grand-Duché a lui-même souligné la nécessité du codéveloppement ; nous devrons être capables d'appréhender collectivement la question de la forte attractivité du Luxembourg, en matière fiscale comme sur le plan des cotisations sociales, pour les entreprises et pour les ménages. Il en résulte un déséquilibre, sur lequel les élus locaux de votre région apportent de fréquents témoignages. Ce déséquilibre se manifeste par des implantations plus nombreuses de l'autre côté de la frontière, voire par un déplacement d'entreprises, donc par une baisse tendancielle des impôts de production perçus par les collectivités locales.
Dans le même temps, l'installation de nouveaux travailleurs frontaliers induit une demande croissante, tant de transports collectifs que de service public dans le nord lorrain. Il nous faut chercher comment corriger ce déséquilibre, avec détermination et pragmatisme. Je sais que vous en faites preuve chaque fois que vous en avez l'occasion. Vous avez notamment mentionné la question de la formation des infirmiers et des infirmières, qui est au cœur des préoccupations et qui doit nous interroger, y compris au sujet de la poursuite de cette distorsion. Nous sommes convaincus que la correction de l'écart se fera en lien avec le Luxembourg et non pas contre lui. Vous savez que, dans le cadre des discussions préparatoires à la conférence que vous avez rappelée, la notion de retour fiscal est exclue par le Grand-Duché. Celui-ci a fait part de manière explicite de ses réserves sur les conclusions du rapport Lambertz réalisé dans le cadre du congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l'Europe.
Nous allons donc continuer à chercher une logique de cofinancement des projets conjoints, dans chacun des secteurs que vous avez énumérés. C'est la feuille de route que le Gouvernement prépare et à laquelle nous nous tiendrons, dans le cadre de nos attributions pour la préparation de cette conférence intergouvernementale : rechercher des financements complémentaires et faire en sorte que nos voisins du Luxembourg puissent participer, aux côtés de l'État et des collectivités, au financement d'infrastructures rendues nécessaires par l'installation d'entreprises et par le développement du travail frontalier.
Il nous faudra aussi poser – et je reviens ici à l'un de vos sujets de préoccupation – les jalons d'une coopération pour la formation du personnel médical et paramédical. C'est nécessaire pour répondre à la fois aux besoins considérables des prochaines années dans le quart Nord-Est de la France, mais aussi chez nos voisins luxembourgeois, puisque l'attractivité de leur système hospitalier pour les soignants formés en France – que vous avez rappelée – répond aussi à une nécessité démographique et sanitaire de leur côté.
Enfin, le pôle métropolitain frontalier, qui depuis 2018 rassemble toutes les intercommunalités, doit jouer un rôle important pour la formalisation et l'adaptation des projets en fonction des réalités locales. Nous serons particulièrement à l'écoute des élus locaux et des parlementaires pour construire les rapports de force et poursuivre les objectifs que j'ai mentionnés, dans le cadre de la conférence intergouvernementale.
Auteur : M. Belkhir Belhaddad
Type de question : Question orale
Rubrique : Frontaliers
Ministère interrogé : Europe et affaires étrangères
Ministère répondant : Europe et affaires étrangères
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 février 2021