Coûts du service public des déchets en Corse
Question de :
M. Jean-Félix Acquaviva
Haute-Corse (2e circonscription) - Libertés et Territoires
M. Jean-Félix Acquaviva attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la prise en charge par les éco-organismes, comme CITEO, des coûts de traitements et de collecte des déchets supportés par les collectivités. La loi du 3 août 2009 dite « Grenelle 1 » dispose que les éco-organismes de la filière emballages ont l'obligation de couvrir 80 % des coûts nets de référence d'un « service optimisé » de collecte et tri des déchets d'emballages ménagers. Il faut bien souligner toutefois qu'il s'agit d'une dérogation permise par la directive européenne dont le principe est une prise en charge à 100 % des coûts, par l'application du principe du pollueur-payeur. De plus, il est de notoriété publique que CITEO ne verse pas 80 % des frais réellement observés de fonctionnement par les collectivités, puisque qu'il s'agit d'un coût forfaitaire, tenant compte non pas d'une moyenne pondérée des coûts mais d'un service optimisé, c'est-à-dire le moins coûteux in fine selon l'éco-organisme et ce, sans compter la controverse bien connue visant à subordonner la prise en charge des coûts réels par CITEO à l'objectif d'un taux de recyclage à 75 %. Les territoires insulaires et montagneux, à l'instar de la Corse, font l'objet d'un cumul de contraintes accru qui engendre des coûts supplémentaires, résultat de la faible densité démographique, du temps de parcours entre les différents pôles qui est souvent très longs, d'une fréquence de collecte élevée et d'une économie qui est fortement exposée à des effets de seuil. En conséquence, les filières de traitement, valorisation ou recyclage des déchets sont restreintes, voire inexistantes, ce qui amène inévitablement à l'exportation systématique des déchets triés, qui a un coût. Il faut noter également l'effet pervers de l'exportation obligatoire qui n'incite pas, compte tenu du fait que la matière triée n'est pas la propriété des collectivités, à la création de filières de recyclage sur place. Aussi, toutes ces règles financières et générales sont inadaptées à la réalité insulaire corse et peu enclines à l'avènement d'un système vertueux de traitement des déchets que l'on souhaite tous. L'article 8 de la loi sur l'économie circulaire prévoit un soutien majoré, à 100 %, des éco-organismes aux collectivités d'outre-mer, compte tenu à juste titre de l'éloignement, de leur insularité et de la faible maturité des systèmes de traitement des déchets. La situation en Corse est identique, à laquelle il faut ajouter la très forte saisonnalité qui occasionne une hausse conséquente de la population sur quelques mois dans l'année, mais que les collectivités doivent prendre en charge en termes de collecte et de traitement. Selon l'ADEME, les coûts moyens aidés s'élèvent à 329 euros la tonne en Corse pour les ordures ménagères contre 227 euros sur le continent et à 446 euros la tonne en Corse pour les recyclables secs hors verre contre 187 euros sur le continent. Ces coûts structurels impactent fortement le budget des intercommunalités, qui sont contraintes de puiser dans leur budget général, pesant ainsi sur la fiscalité des ménages. Aussi, il lui demande si elle compte ouvrir une discussion sur la prise en charge à 100 % par les eco-organismes des coûts supportés par les collectivités corses et réfléchir ensemble à un moyen légal ou conventionnel de maintenir sur l'île une partie de la matière triée afin de permettre le développement de filières de recyclage sur place.
Réponse en séance, et publiée le 17 février 2021
SERVICE PUBLIC DES DÉCHETS EN CORSE
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour exposer sa question, n° 1285, relative au service public des déchets en Corse.
M. Jean-Félix Acquaviva. La loi du 3 août 2009, dite Grenelle 1, dispose que les éco-organismes de la filière de l'emballage, en l’occurrence Citeo, ont l’obligation de couvrir 80 % des coûts nets de référence d’un service « optimisé » de collecte et tri des déchets d’emballages ménagers. Or Citeo ne verse pas 80 % des frais de fonctionnement réellement observés par les collectivités puisqu’il s’agit d’un coût forfaitaire qui ne correspond pas à une moyenne pondérée.
Les territoires insulaires et montagneux, à l'instar de la Corse, font l’objet d’un cumul de contraintes structurelles qui engendrent des coûts supplémentaires, résultant de la faible densité démographique, du temps de parcours très long entre les différents pôles, d'une fréquence de collecte élevée et d'une saisonnalité touristique accrue qui augmente la population quelques mois dans l’année.
Par conséquent, les filières de traitement, valorisation ou recyclage des déchets sont restreintes, voire inexistantes. L’exportation systématique des déchets triés est souvent la seule issue : les allées et venues des camions et des bateaux ont un coût financier, mais aussi environnemental.
De plus, nous devons faire face à un effet pervers : le débouché quasi forcé de l’exportation des matières triées, du fait de la recherche de seuil de volumes suffisants par les éco-organismes, n’incite pas à la création de filières de recyclage sur place. Cette situation est renforcée par le fait que la matière triée n’appartient pas à la collectivité mais à l’éco-organisme.
L’article 8 de la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, prévoit un soutien majoré des éco-organismes aux collectivités d’outre-mer, compte tenu « de l’éloignement, de l'insularité et de la faible maturité des systèmes de traitement des déchets de ces territoires ».
La situation en Corse est identique. Selon l'ADEME – Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie –, les coûts moyens aidés s’élèvent à 329 euros la tonne pour les ordures ménagères contre 227 euros sur le continent, et à 446 euros la tonne en Corse pour les recyclables secs hors verre, contre 187 euros sur le continent.
Ces coûts structurels affectent fortement le budget des intercommunalités, qui sont contraintes de puiser dans leur budget général, mais aussi de faire appel, de manière croissante, à la fiscalité des ménages.
Le Gouvernement est-il prêt à ouvrir une discussion sur la prise en charge à 100 % par les éco-organismes des coûts supportés par les collectivités corses et à réfléchir avec nous à un moyen légal ou conventionnel de maintenir sur l'île une partie de la matière triée, afin de permettre le développement de filières de recyclage sur place ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports. Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, m'a chargé de vous répondre car elle ne pouvait être présente ici ce matin.
Vous regrettez que seuls les territoires d'outre-mer puissent bénéficier d'une majoration de la prise en charge par les éco-organismes agréés des coûts liés à la collecte et au tri des emballages ménagers. Créée par la loi du 10 février 2020, cette majoration est entrée en vigueur la 1er janvier 2021. Elle constitue un accompagnement exceptionnel et transitoire, permettant aux territoires ultramarins de rattraper la performance moyenne nationale.
Or les collectivités de Corse, dont les particularités et les contraintes géographiques sont indéniables, présentent des performances déjà très proches de la performance moyenne nationale – elles lui sont même supérieures en ce qui concerne le recyclage du verre. Les collectivités de Corse peuvent être satisfaites de ce résultat.
L'extension du tri à tous les emballages en plastique sur l'ensemble du territoire national d'ici à la fin de 2022 doit être l'occasion pour la Corse de moderniser ses installations de tri, d'en augmenter la performance, et, par conséquent, de recevoir des soutiens supplémentaires des éco-organismes agréés. La création ou la modernisation du tri d'emballages bénéficie, en effet, de soutiens spécifiques financés par les éco-organismes.
Dans le cadre du plan de relance, des soutiens supplémentaires sont accordés jusqu'en 2022 par l'intermédiaire de l'ADEME, une enveloppe de 55 millions d'euros étant affectée spécifiquement aux centres de tri d'emballages ménagers. Le plan de relance prévoit d'autres aides aux collectivités pour leur permettre d'investir dans la gestion de leurs déchets, notamment dans la collecte et le tri des biodéchets et dans le déploiement du tri sélectif sur la voie publique.
Le plan de relance prévoit aussi 140 millions d'euros pour favoriser l'incorporation de plastique recyclé, ce qui permettra sans nul doute le développement des nouvelles filières de recyclage.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva.
M. Jean-Félix Acquaviva. Merci, monsieur le ministre délégué, de me transmettre cette réponse. Hélas, elle ne répond pas à la question posée sur les 150 à 250 % de surcoûts caractérisés par l'ADEME en ce qui concerne le traitement des ordures ménagères et le recyclable sec – hors verre, j'y insiste – en Corse.
Ce phénomène structurel ne changera pas : les matières triées sont exportées car les éco-organismes n'ont aucun intérêt à recycler sur place, compte tenu des effets de seuil liés à la faible démographie. Les éco-organismes ne sont pas contraints à créer de l'économie circulaire – ce train nous passera donc sous le nez – puisqu'elles exportent les matières triées qui seront recyclées ailleurs.
Sans contrainte légale ou conventionnelle et une contribution financière, nous ne parviendrons pas à créer une économie circulaire en Corse, en dépit des vœux pieux formulés dans de grandes lois générales et inadaptées à ce territoire. Mon interpellation vise à susciter un dialogue pour que ce rendez-vous ne soit pas manqué.
Auteur : M. Jean-Félix Acquaviva
Type de question : Question orale
Rubrique : Déchets
Ministère interrogé : Transition écologique
Ministère répondant : Transition écologique
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 février 2021