Question orale n° 1538 :
Accès aux soins dans les territoires ruraux

15e Législature

Question de : M. Xavier Batut
Seine-Maritime (10e circonscription) - La République en Marche

M. Xavier Batut interroge M. le ministre des solidarités et de la santé sur l'accès aux soins dans les territoires ruraux. Le territoire de M. le député situé au cœur du Pays de Caux souffre, comme de nombreuses zones rurales, d'une offre médicale trop pauvre par rapport aux besoins de la patientèle. Cet appauvrissement des soins s'explique, notamment par une organisation territoriale des soins rationnelle sur le papier, mais totalement incohérente en pratique. Voici deux exemples concrets dans la circonscription de M. le député. Le premier exemple est le zonage des bassins de vie. Chaque bassin de vie est classé de zone très sous-dotée à zone très dotée. Le curseur de dotation varie, en théorie, en fonction du nombre de praticiens présents dans la zone. Des subventions sont distribuées pour inciter les praticiens à s'installer dans les zones les moins dotées. Concernant les kinésithérapeutes, leur zonage est établi pour cinq ans, révisable une fois. Une demi-décennie, c'est un peu long pour avoir une photographie réelle du nombre de kinés dans les communes. C'est par ce biais qu'à Cany-Barville se trouve un seul et unique kinésithérapeute dans une commune considérée comme zone intermédiaire ; et à Saint-Valery se trouvent 8 kinésithérapeutes dans une commune considérée comme déficitaire. Les nouveaux praticiens préfèrent s'installer à Saint-Valery, plutôt qu'à Cany-Barville, afin de bénéficier de subventions, ce qui est normal et naturel. C'est un premier mécanisme qui, sur le papier, est censé équilibrer correctement les praticiens sur le territoire mais qui, dans les faits, en déséquilibre totalement la répartition. Le second exemple est le schéma régional de santé. Tous les cinq ans, le schéma détermine l'offre de soins sur le territoire en fonction des besoins identifiés de santé. Depuis plus de deux ans, la clinique du Caux Littoral s'efforce d'obtenir la labellisation « hôpital de proximité » et se heurte systématiquement au refus de l'ARS au motif que le schéma n'a pas identifié de besoins de santé dans ce bassin de vie. La réponse aux besoins serait assurée aujourd'hui sur le territoire de Dieppe, à 45 minutes de Néville, de Saint-Aubin-sur-Scie, à 35 minutes, de Fécamp, à 30 minutes et d'Yvetot à 30 minutes. L'ARS répond aux 30 000 habitants de la communauté de communes de la Côte d'Albâtre qu'ils n'ont d'autre choix que de faire 30 minutes de voiture en cas de pépin. Quid également des maisons de santé qui fleurissent sur les territoires, avec de l'argent public, mais qui sont des coquilles vides. Il aimerait savoir aujourd'hui, concrètement et factuellement, quelles sont les solutions pour mieux répartir les professionnels de santé dans les zones rurales.

Réponse en séance, et publiée le 24 novembre 2021

ACCÈS AUX SOINS DANS LE PAYS DE CAUX
M. le président. La parole est à M. Xavier Batut, pour exposer sa question, n°  1538, relative à l'accès aux soins dans le pays de Caux.

M. Xavier Batut. Comme de nombreuses zones rurales, mon territoire, situé au cœur du pays de Caux et du pays de Bray, en Seine-Maritime, souffre d'une offre médicale trop pauvre par rapport aux besoins des habitants. Cet appauvrissement résulte en partie d'une organisation territoriale des soins qui paraissait rationnelle sur le papier, mais qui s'avère totalement incohérente en pratique – outre qu'elle concentre les moyens dans les zones urbaines.

Pour prendre une première illustration, les bassins de vie font l'objet d'un zonage – de zone très sous-dotée à zone dotée – en fonction du nombre de praticiens qui y exercent. Des aides visent à inciter les praticiens à s’installer dans les zones les moins dotées. Or le zonage des kinésithérapeutes est établi pour cinq ans sur la base de données de l'INSEE qui, vieille de plusieurs années, ne reflète pas la réalité. Une demi-décennie, c’est un temps de pause un peu long pour obtenir la photographie fidèle du nombre de professionnels dans un territoire ! Voilà pourquoi un bassin de vie de 15 000 patients, classé en zone intermédiaire, compte un seul kinésithérapeute, dans la commune de Cany-Barville, tandis que la commune de Saint-Valéry-en-Caux, considérée comme déficitaire, en compte huit. Bien évidemment, les nouveaux kinésithérapeutes préfèrent s’installer à Saint-Valéry-en-Caux plutôt qu’à Cany-Barville, afin de bénéficier des aides à l’installation – chacun peut le comprendre.

En guise de deuxième illustration, prenons le schéma régional de santé : tous les cinq ans, il détermine l’offre de soins dans les territoires en fonction des besoins identifiés. Il se trouve que la commune de Néville abrite une structure attractive pour les nouvelles générations de praticiens, la clinique du Caux Littoral, qui a la capacité de recruter des professionnels. Elle s’efforce depuis deux ans d’obtenir le label Hôpital de proximité, mais se heurte systématiquement au refus de l’ARS, au motif que le schéma régional de santé, établi quatre ans auparavant avec des données de l'INSEE vieilles de huit ans, n’avait pas identifié, à l’époque, des besoins de santé dans ce bassin de vie. Il faut donc se rendre à Dieppe, à une heure de voiture de Néville, à Fécamp ou à Yvetot, alors qu’aucun moyen de transport collectif ne le permet. L’ARS explique aux 30 000 habitants du territoire qu’ils n’ont qu’à faire une heure de voiture – s’ils en possèdent une – en cas de besoin !

Certes, l'État injecte 19 milliards d’euros dans plus de 3 000 établissements. Certes, les salaires des professionnels de santé ont augmenté. Certes, la suppression du numerus clausus permet de former plus de 10 000 médecins cette année. Et certes, nous sommes passés de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine. Mais après le départ de quatre médecins généralistes en 2021, une partie des citoyens du bassin de vie de la Côte d’Albâtre n’ont plus accès à des consultations. Les services ambulanciers sont débordés, tout comme les services de secours.

Quelles solutions sont envisagées pour mieux répartir les professionnels de santé dans les zones rurales ? Des pistes existent, mais elles sont bloquées par un schéma régional de santé qui favorise les métropoles et les centres hospitaliers universitaires (CHU). Que faire pour que la clinique de Néville reçoive le label Hôpital de proximité et serve de base à une future communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ? Comment comptez-vous assurer l’accès aux soins des habitants des territoires ruraux, en particulier lorsqu'ils n'ont pas de moyen de transport ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie. Le nombre de médecins généralistes ou spécialistes en accès direct suit une baisse régulière depuis 2010, laquelle pourrait se poursuivre jusqu'en 2025. Vous en connaissez la raison principale : un numerus clausus limité. C'est pourquoi nous avons supprimé cette limitation ; nous en verrons les fruits quand les étudiants arriveront au terme de leur formation. Le temps que ce problème se résorbe, nous devons traiter la situation actuelle – les enjeux sont en effet prégnants dans certains territoires, dont le vôtre, marqués par des départs en retraite nombreux. Je partage votre préoccupation dans ma circonscription, et je sais combien vous êtes mobilisé dans ce domaine.

Le Gouvernement a proposé très rapidement un panel de solutions, car il n'y a pas de réponse unique en cette matière, en particulier pour les zones en tension : il faut tenir compte des spécificités locales, et faire confiance aux acteurs des territoires. Cette stratégie est en cours de déploiement – je crois savoir que vous en avez discuté hier avec les équipes de l'ARS, qui est mobilisée de longue date et qui se tient à l'écoute des élus locaux et des professionnels. La dynamique des CPTS est un exemple éclairant de la capacité d'innovation des professionnels d'un même territoire, incités à s'organiser entre eux pour répondre aux besoins de la population. Elle contribue au développement de la maîtrise de stage, et facilite les relations avec l'hôpital comme avec les services sociaux. Ainsi les CPTS permettent-elles d'améliorer la situation des territoires. Une CPTS est d'ailleurs en train de se constituer à Yvetot, symbole d'une vraie dynamique locale ; notez aussi qu'il y a quelques jours, le pôle de santé libéral et ambulatoire de Cany-Barville a été inauguré.

Les efforts collectifs doivent évidemment se poursuivre, mais les outils sont disponibles. L'exercice coordonné se développe, les liens entre la médecine de ville et l'hôpital se renforcent, et l'écosystème gagne en attractivité. Certaines des mesures que nous avons prises ont un caractère structurant, et ne peuvent produire des résultats immédiats. C'est pourquoi nous les avons doublées par des dispositions ayant des effets à brève échéance, comme la création de 4 000 postes d'assistants médicaux ou le déploiement de 400 médecins généralistes. En outre, votre territoire est éligible aux aides à l'installation et au maintien des professionnels de santé, monsieur le député.

Pour tous les Français, nous devons continuer à renforcer la démographie médicale ; telle est la ligne constante du gouvernement actuel et des précédents – nous redoublons d'efforts en la matière ; elle permettra d'augmenter les places de formation, tout en redonnant de l'attractivité à cette belle activité qu'est la médecine.

Données clés

Auteur : M. Xavier Batut

Type de question : Question orale

Rubrique : Médecine

Ministère interrogé : Solidarités et santé

Ministère répondant : Solidarités et santé

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 novembre 2021

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