Procédure de divorce - Frontaliers français
Question de :
M. Raphaël Schellenberger
Haut-Rhin (4e circonscription) - Les Républicains
M. Raphaël Schellenberger appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, au sujet des conséquences de la modification du code civil suisse au mois de janvier 2017, dans le cadre des procédures de divorce des travailleurs frontaliers français. En effet, en janvier 2017 la Suisse a voté, via l'article 63 de la loi fédérale sur le droit international privé, la compétence exclusive de la juridiction suisse sur les avoirs financiers détenus sur le territoire helvétique. Ainsi, sont donc soumis à la juridiction suisse les deuxièmes et troisièmes piliers de retraite, correspondant aux montants épargnés par les travailleurs frontaliers via le régime suisse de retraite par capitalisation. En Suisse, ces piliers sont reconnus comme des biens communs, soumis au partage lors du divorce en cas de régime matrimonial de la communauté de biens réduite aux acquêts. En France, cette épargne retraite est considérée comme un bien propre, si le deuxième pilier n'a pas été entamé. Ainsi, depuis janvier 2017, un frontalier français, marié sous un régime matrimonial français, demeurant en France, divorçant en France, est exclusivement soumis à la juridiction suisse lui imposant le partage dans la majorité des cas, en dépit des conclusions de la justice française. Il lui demande à cet égard quelle est la position de la France face à cette ingérence de la juridiction suisse sur le droit national.
Réponse en séance, et publiée le 24 novembre 2021
PROCÉDURE DE DIVORCE DES TRAVAILLEURS FRONTALIERS
M. le président. La parole est à M. Raphaël Schellenberger, pour exposer sa question, n° 1545, relative à la procédure de divorce des travailleurs frontaliers.
M. Raphaël Schellenberger. Je veux évoquer la question complexe et sensible des conséquences de la modification du code civil suisse au mois de janvier 2017 dans le cadre des procédures de divorce des travailleurs frontaliers français. À cette date, la Suisse a voté, avec l'article 63 de la loi fédérale relative au droit international privé, la compétence exclusive de la juridiction suisse sur les avoirs financiers détenus sur le territoire helvétique.
Cette compétence exclusive est problématique du fait du système de retraite suisse, système par capitalisation et non par répartition, comme nous le connaissons en France. Le travailleur frontalier faisant souvent le choix du système de retraite suisse, les deuxième et troisième piliers de la retraite sont soumis à la juridiction suisse ; ils correspondent aux montants épargnés par les travailleurs transfrontaliers à travers le régime suisse de retraite par capitalisation. Le problème est que, en Suisse, ces piliers, reconnus comme des biens communs, sont soumis au partage lors du divorce en cas de régime matrimonial de la communauté des biens réduite aux acquêts. Or, dans notre pays, l'épargne retraite est considérée comme un bien propre si le deuxième pilier n'a pas été entamé. Le changement de règle est d'autant plus problématique qu'il intervient en cours de route, souvent bien après la date du choix du régime matrimonial.
Concrètement, depuis janvier 2017, un frontalier français demeurant en France, marié en France sous le régime matrimonial de la communauté des biens réduits aux acquêts et divorçant en France n'en est pas moins soumis à la seule juridiction suisse. Par conséquent, ce même frontalier se voit imposer, dans la majorité des cas, le partage du capital consolidé en Suisse, en dépit des conclusions de la justice française. Cela a pour conséquence de diminuer de façon colossale la retraite du frontalier, et parfois même de la réduire à néant.
Il ne s'agit pas là d'un cas d'espèce, mais bel et bien d'une réalité concrète vécue par de nombreux concitoyens français, travailleurs ou anciens travailleurs en Suisse. Quelle réponse le Gouvernement compte-t-il apporter à ces travailleurs frontaliers qui vivent en France ? Que comptez-vous faire pour mettre un terme à la primauté du droit suisse sur le droit à la retraite des Français et pour imposer l'application du droit français, au bénéfice des citoyens français ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. En droit français, les fonds de pension et de retraite sont pris en compte pour la liquidation du régime matrimonial. En droit suisse, le partage des avoirs de prévoyance professionnelle ne relève pas du régime matrimonial. L'article 122 du code civil suisse pose le principe d'un partage équitable des droits à la retraite, quel que soit le régime matrimonial des époux. L'exclusivité reconnue aux juridictions suisses depuis la réforme de 2017 a des conséquences sur la reconnaissance des jugements étrangers ayant déjà statué sur la liquidation du régime matrimonial. Le partage décidé à l'étranger n'est donc pas reconnu en Suisse. Dès lors, une nouvelle procédure pourra y être engagée, remettant ainsi en cause les solutions déjà trouvées.
Afin d'éviter un partage différent des avoirs en France et en Suisse, les juridictions françaises pourraient s'abstenir de partager les avoirs de prévoyance professionnelle suisses. Cela supposerait qu'elles appliquent une règle du droit international privé suisse, ce qu'elles ne sont pas tenues de faire. Les époux peuvent également renoncer à la répartition par moitié des droits à la retraite prévus par le droit suisse, au moyen d'une convention sur les effets du divorce et à la condition qu'une prévoyance vieillesse et invalidité adéquate soit assurée selon l'article 124b du code civil suisse. Cette renonciation n'est toutefois possible qu'au cours de la procédure de divorce et non dans le contrat de mariage.
Signée entre l'Union européenne et la Suisse, la convention de Lugano, relative à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, n'est pas applicable ici car l'état des personnes et des régimes matrimoniaux n'entre pas dans son champ. La négociation d'une nouvelle convention internationale avec la Suisse pourrait être engagée afin de résoudre cette difficulté.
M. le président. La parole est à M. Raphaël Schellenberger.
M. Raphaël Schellenberger. Je me permets d'insister non seulement sur l'importance, mais aussi sur l'urgence de ce dossier. Le temps de la négociation internationale n'est pas toujours celui de l'urgence de ces situations individuelles, qui peuvent faire basculer dans la précarité nombre d'anciens travailleurs frontaliers.
Auteur : M. Raphaël Schellenberger
Type de question : Question orale
Rubrique : Frontaliers
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 novembre 2021