Question orale n° 1595 :
Rupture d'égalité en Seine-Saint-Denis

15e Législature

Question de : M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - UDI et Indépendants

M. Jean-Christophe Lagarde attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, sur les difficultés que rencontrent les habitants de la Seine-Saint-Denis pour obtenir un rendez-vous à la préfecture de leur département afin d'y faire valoir leurs droits. En effet, afin d'éviter les longues files d'attente sur le parvis de la préfecture, la décision a été prise de dématérialiser la procédure de rendez-vous. Depuis, il n'est donc plus possible de prendre rendez-vous par téléphone ou directement sur place. Les habitants souhaitant donc déposer une demande de titre de séjour, faire renouveler le titre de séjour ou déposer une demande de naturalisation doivent obligatoirement prendre un rendez-vous en ligne. Or, faute d'un nombre suffisant de créneaux disponibles, les habitants se voient contraints de multiplier les connexions sur le site internet de la préfecture le temps qu'une proposition de rendez-vous apparaisse. Dans les faits, il faut parfois de longues semaines pour qu'un habitant puisse obtenir un rendez-vous et faire valoir ses droits. Évidemment, cette situation a de nombreuses répercussions. Premièrement, les demandes de rendez-vous en ligne constituent une véritable barrière pour les personnes maitrisant mal le français, pour les personnes en situation de handicap, ainsi que pour celles ne disposant pas des connaissances suffisantes en informatique ou de la connexion internet requise. Deuxièmement, une personne sollicitant, par exemple, un titre de séjour et n'arrivant pas à obtenir un rendez-vous afin de demander sa régularisation ne pourra pas bénéficier d'un logement, ni même travailler ou accéder à certaines prestations sociales. De même, certains risqueront l'arrestation et l'expulsion, alors même que leur situation leur permettrait en temps normal de bénéficier d'un titre de séjour. Il en est de même pour les personnes souhaitant accéder à la nationalité française et qui doivent parfois attendre de nombreux mois pour simplement déposer leur dossier. Il va sans dire que le signal envoyé à ceux qui souhaitent embrasser la nationalité française n'est pas digne du pays. Par ailleurs, ces situations éveillent l'intérêt d'individus malintentionnés, notamment des marchands de sommeil ou de certains employeurs, qui, sachant parfaitement que ces personnes n'arrivent pas à faire valoir leurs droits, n'hésitent pas à exploiter leur détresse afin d'en tirer profit. Enfin, les rumeurs - fondées ou non - de l'existence de commerces et de pages internet monnayant en toute illégalité l'obtention de rendez-vous en ligne se propagent parmi les administrés, ce qui nuit grandement à l'image du pays et de l'administration française. S'il rappelle que cette situation n'est, évidemment, pas imputable aux agents de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, qui sont contraints de travailler avec les moyens dont ils disposent, M.le député demande à Mme la ministre les mesures qui seront prises par le Gouvernement pour qu'une véritable solution soit apportée à cette rupture d'égalité et de continuité d'accès au service public. De même, il lui demande si le Gouvernement entend renforcer fortement les moyens humains de la préfecture de la Seine-Saint-Denis afin, notamment, que toutes les personnes souhaitant faire valoir leurs droits puissent le faire dans des délais raisonnables.

Réponse en séance, et publiée le 8 décembre 2021

PRISES DE RENDEZ-VOUS EN PRÉFECTURE EN SEINE-SAINT-DENIS
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour exposer sa question, no 1595, relative aux prises de rendez-vous en préfecture en Seine-Saint-Denis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame la ministre déléguée, je souhaite appeler votre attention sur les difficultés que rencontrent les habitants de la Seine-Saint-Denis pour obtenir un rendez-vous à la préfecture de leur département afin d'y faire valoir leurs droits.

En effet, afin d'éviter les longues files d'attente sur le parvis de la préfecture, que nous avons connues pendant des décennies, il a été décidé de dématérialiser la procédure de rendez-vous – par exemple pour renouveler son titre de séjour ou demander sa naturalisation. Il n'est donc plus possible de prendre rendez-vous par téléphone ou directement sur place. Les habitants souhaitant déposer une demande de titre de séjour, faire renouveler celui-ci ou encore déposer une demande de naturalisation doivent obligatoirement disposer d'un accès numérique pour prendre un rendez-vous en ligne.

Or, faute d'un nombre suffisant de créneaux disponibles, les habitants se voient contraints de multiplier les connexions sur le site internet de la préfecture jusqu'à ce qu'une proposition de rendez-vous apparaisse. Dans les faits, il faut parfois de longues semaines – pour ne pas dire de longs mois – pour qu'un habitant obtienne un rendez-vous et fasse valoir ses droits. Nombre de mes interventions auprès de la préfecture ont d'ailleurs pour unique objet l'obtention d'un rendez-vous pour des habitants qui ont des droits mais ne peuvent y accéder. J'avais d'ailleurs appelé l'attention de Mme la Défenseure des droits sur cette question le 4 février dernier.

Évidemment, cette situation a de nombreuses répercussions. Premièrement, les demandes de rendez-vous en ligne constituent une véritable barrière pour les personnes maîtrisant mal le français ou en situation de handicap mais aussi pour celles qui ne disposent pas de connaissances suffisantes en informatique ou de la connexion internet requise. À côté de la procédure en ligne, il faut donc trouver une autre solution pour leur permettre d'obtenir un rendez-vous.

Deuxièmement, une personne sollicitant, par exemple, un titre de séjour ou un renouvellement de celui-ci, et n'arrivant pas obtenir un rendez-vous afin de demander sa régularisation, ne pourra pas bénéficier d'un logement ni même travailler ou accéder à certaines prestations sociales auxquelles elle a pourtant droit.

Certains risqueront l'arrestation voire l'expulsion alors même que leur situation leur permettrait en temps normal de bénéficier d'un titre de séjour. Combien de ceux qui voient leur titre de séjour expirer ne parviennent pas à accéder à la préfecture pour le faire renouveler ?

De même, les personnes souhaitant accéder à la nationalité française doivent parfois attendre de nombreux mois, non pour voir aboutir leur démarche, mais simplement pour déposer leur dossier. Il va sans dire que le signal envoyé à ceux qui souhaitent embrasser la nationalité française n'est pas digne de notre pays.

Par ailleurs, ces situations éveillent l'intérêt d'individus malintentionnés, notamment des marchands de sommeil ou certains employeurs, lesquels, connaissant parfaitement la fragilité de ces personnes qui n'arrivent pas à faire valoir leurs droits, n'hésitent pas à exploiter leur détresse afin d'en tirer profit.

Enfin, les rumeurs relatives à l'existence de commerces et de pages internet permettant de monnayer en toute illégalité l'obtention de rendez-vous en ligne – cela consiste à prendre un rendez-vous puis à le revendre – se propagent parmi les administrés, ce qui nuit grandement à l'image de notre pays et de notre administration.

Je sais que cette situation n'est évidemment pas imputable aux agents de la préfecture, contraints de travailler avec les moyens – trop réduits face à l'afflux de demandes – dont ils disposent.

Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour que le personnel disponible soit en nombre suffisant afin de traiter le flux de demandes mais aussi pour qu'une solution soit apportée face à cette rupture d'égalité, entre ceux qui disposent d'une connexion internet et de la connaissance de notre langue et les autres ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté. Les services de l'immigration et de l'intégration des préfectures d'Île-de-France, en particulier celui de la Seine-Saint-Denis, traitent un volume très important de dossiers de demandes de titres – vous le savez et l'avez très bien décrit. Pour les départements de la petite couronne, 1 400 à 2 500 usagers sont accueillis chaque jour.

L'instauration d'une prise de rendez-vous par internet – destinée à prendre en compte ces flux et éviter la constitution des files d'attente que vous avez évoquées – a d'ores et déjà permis d'améliorer les conditions d'accueil : désormais, l'usager se présente environ un quart d'heure avant son rendez-vous et non plus chaque matin à l'heure d'ouverture – parfois même la veille au soir, vous le savez mieux qu'un autre.

En outre, plusieurs dispositifs techniques ont été créés afin de limiter le risque de captation de rendez-vous en ligne. J'ai d'ailleurs répondu la semaine dernière à une question de votre collègue Albane Gaillot sur ce sujet. Ces dispositifs ont montré leur efficacité : près de 170 millions de connexions illicites ou malveillantes ont été identifiées et déjouées depuis juin 2020.

En revanche, il est vrai que ces dispositifs sont inopérants pour lutter contre la fraude manuelle à laquelle se livrent des personnes physiques, rémunérées pour préempter puis monnayer des rendez-vous. Au total, 330 000 euros ont été investis pour renforcer les infrastructures techniques, effectuer la maintenance, assurer l'assistance logicielle et répondre à la surcharge de la demande.

Je crois profondément que l'amélioration du service rendu aux usagers étrangers passe avant tout par la réduction des délais de traitement des demandes initiales et des renouvellements de titres de séjour.

Le ministère a ainsi engagé deux actions : d'une part, le renforcement des effectifs des services étrangers qui ont augmenté de 1 422 équivalents temps plein, soit une hausse de 56 % ces dix dernières années, et un plan de recrutement de vacataires, avec 860 contractuels supplémentaires entre 2017 et 2021, et 570 entre 2022 et 2024 ; d'autre part, la modernisation – simplifier, sécuriser, dématérialiser – des procédures de demande de titre de séjour grâce au déploiement du projet ANEF, administration numérique pour les étrangers en France.

Pour conclure, je salue le travail des agents en préfecture, dont nous savons à quel point il est difficile et bien mené.

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Certes, les moyens sont renforcés – ils doivent l'être encore. Cependant j'appelais votre attention sur deux points particuliers qui n'ont pas fait l'objet de réponse de votre part.

Tout d'abord, une corde de rattrapage est nécessaire pour les personnes qui ne disposent pas d'accès numérique. Elle est d'ailleurs prévue s'agissant de l'inscription dans un centre de vaccination : ceux qui ne sont pas en mesure de se connecter à Doctolib peuvent composer un numéro de téléphone. En l'absence d'une telle solution alternative, vous laissez ces personnes démunies ou captées par des associations dont les pratiques ont parfois été condamnées par le ministère.

Ensuite, s'agissant de la naturalisation, on ne peut pas demander à une personne qui souhaite acquérir la nationalité française d'attendre plusieurs mois pour déposer un dossier. Il faut trouver une solution.

Données clés

Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde

Type de question : Question orale

Rubrique : Administration

Ministère interrogé : Citoyenneté

Ministère répondant : Citoyenneté

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 30 novembre 2021

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