Question orale n° 1603 :
Méthodes et moyens utilisés dans le cadre de verbalisations sans interpellations

15e Législature

Question de : Mme Danièle Obono
Paris (17e circonscription) - La France insoumise

Mme Danièle Obono interroge M. le ministre de l'intérieur sur les méthodes et les moyens qui ont permis à de nombreux résidents de quartiers populaires, au cours de ces derniers mois et années, d'être verbalisés sans interpellation pour les motifs suivants : « tapages diurnes », « tapages nocturnes », « dépôt d'ordure » ou « jet d'ordure », « déversement de liquide insalubre » , « consommation d'alcool sur la voie publique ».

Réponse en séance, et publiée le 12 janvier 2022

VERBALISATIONS SANS INTERPELLATION
M. le président. La parole est à Mme Danièle Obono, pour exposer sa question, n°  1603, relative aux méthodes et moyens utilisés dans le cadre de verbalisations sans interpellation.

Mme Danièle Obono. « Avant, on mettait des coups de matraque à nos enfants ; aujourd'hui, on les matraque à coups d'amendes. » Le 17 octobre 2021, sur l'esplanade de Belleville, ce témoignage d'une mère de famille rejoint celui de beaucoup d'autres : toutes constatent le même procédé, des amendes qui arrivent par La Poste et accusent leur enfant de déversement de liquide insalubre, de tapage, de consommation d'alcool sur la voie publique ou de dépôt de déchets hors des emplacements autorisés, sans que les principaux concernés n'aient été verbalisés. Les chiffres sont vertigineux : 5 000, 10 000, jusqu'à 25 000 euros d'amende. Un endettement insupportable pour des jeunes qui voient leur horizon bouché, mais aussi pour leurs familles, qui se retrouvent prises à la gorge et enfoncées un peu plus dans la précarité. Ce phénomène n'est pas cantonné au nord-est parisien, mais touche bien l'ensemble des habitants et des habitantes des quartiers populaires, et majoritairement des jeunes de moins de 25 ans racisés. C'est ce qu'a pu observer la juriste et sociologue Aline Daillère, qui étudie cette réalité depuis maintenant quatre ans. D'Argenteuil dans le Val d'Oise à Saint-Martin-le-Vinoux dans l'Isère, en passant par Calais dans le Pas-de-Calais, les enquêtes de terrain révèlent les mêmes motifs de verbalisation, profils et méthodes. Au mois de mai 2020, la procureure de la République d'Évry alertait les autorités locales sur ce phénomène, soulignant que « les verbalisations opérées à distance, parfois de façon successive, sans que les contrevenants n'en aient expressément connaissance, sont irrégulières. »

Il y a deux mois, en novembre 2021, j'adressais au ministre de l'intérieur une question écrite sur le non-respect du code de procédure pénale, selon lequel l'avis et le procès-verbal de contravention doivent être dressés en présence de l'auteur de l'infraction. Cette question est restée sans réponse, tout comme celle de mars 2021 portant sur le même procédé appliqué aux amendes lors de la première vague de covid-19 pour non-respect du port du masque ou du confinement. En juin 2020, j'avais posé une question sur le même sujet ; le ministère y a répondu de manière évasive et partielle. Juin 2020, mars 2021, novembre 2021 : quand ces jeunes Françaises et Français, qui voient aujourd'hui leur vie mise entre parenthèses, auront-elles, auront-ils le droit d'obtenir une réponse sur la légalité d'un phénomène qui brise leur avenir ? Pourquoi tant de mépris à l'égard de ces citoyens et citoyennes, habitants et habitantes des quartiers populaires ? Doit-on y voir de l'embarras à justifier une procédure tout simplement illégale ? Il faut que ces discriminations cessent.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants. Permettez-moi d’abord de saluer nos policiers et nos gendarmes, qui sont mobilisés jour et nuit sur le terrain pour assurer la protection de tous les Français.

Mme Danièle Obono. Ce n'est pas la question.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée . Je condamne fermement l'insinuation selon laquelle il existerait une police qui emploierait des méthodes illégales dans les quartiers sensibles, notamment dans les procédures que vous mentionnez.

J'en viens au fond de votre question. Les infractions de nature contraventionnelle peuvent être constatées par les agents de police sans interpellation. Ces opérations donnent lieu à la délivrance d'une contravention papier ou à un procès-verbal électronique.

Mme Danièle Obono. Ce n'est pas la question.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée . Il s'agit bien là du rôle de la police, et nos concitoyens sont en droit d'attendre que la délinquance ou les incivilités qu'ils observent ou subissent soient réprimées.

Quant aux différents motifs de verbalisation que vous citez, je vous confirme la possibilité pour les policiers d'agir par voie de contravention pour chacun d'eux. En premier lieu, la consommation d'alcool est réglementée. En particulier, les mineurs ne peuvent acheter ou consommer de l'alcool dans les lieux publics, l'ivresse sur la voie publique est illégale et la consommation d'alcool peut également être interdite dans certains lieux par arrêté préfectoral ou municipal.

Pour ce qui est des tapages diurnes ou nocturnes, les interventions sont le plus souvent motivées par les plaintes du voisinage et les appels à Police secours. Les constats sont effectués sur place par les policiers, qui jugent alors de la situation et verbalisent si le tapage est constaté.

Mme Danièle Obono. Ce n'est pas la question.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée . Rien qu'à Paris, les verbalisations pour ces motifs ont augmenté de 80 % entre les onze premiers mois de l'année 2020 et ceux de 2021 : 3 486 verbalisations en 2020, 6 188 en 2021, et ce dans tous les arrondissements de la capitale. Je précise qu'à Paris, la police municipale, créée en octobre 2021 grâce à l'action de la majorité présidentielle, est dorénavant compétente pour lutter contre les incivilités et les nuisances et qu'elle pourra, elle aussi, verbaliser les personnes qui commettent des incivilités.

Que ce soit à Paris, en banlieue, à Bordeaux ou dans les Landes, la situation est la même, et police et gendarmerie ont les mêmes possibilités pour que les incivilités ne nuisent pas à la tranquillité de la population.

M. le président. La parole est à Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Madame la ministre déléguée, ce ne sont pas les agents qui sont en cause, mais la politique du chiffre qui explique ce genre de procédures. Par ailleurs, vous n'avez pas bien écouté ou entendu ma question : il ne s'agit pas des verbalisations en soi, mais des verbalisations sans la présence des personnes concernées – les amendes reçues par la Poste, les verbalisations à distance. C'est là où se pose un problème de légalité, auquel vous n'avez pas répondu. Votre réponse trahit l'embarras à justifier ce type de procédures, qui ont un impact non seulement sur les personnes et leurs familles, mais aussi sur l'ensemble des quartiers concernés, lesquels se voient d'autant plus stigmatisés. Vous confirmez ainsi le choix politique qui est le vôtre.

Données clés

Auteur : Mme Danièle Obono

Type de question : Question orale

Rubrique : Sécurité des biens et des personnes

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 janvier 2022

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