Service public de la santé en Ariège
Question de :
M. Michel Larive
Ariège (2e circonscription) - La France insoumise
M. Michel Larive attire l'attention de M. le ministre des solidarités et de la santé sur le service public de santé, notamment en Ariège. En 2000, dans son rapport sur la santé dans le monde, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) plaçait la France à la première place en matière de qualité des services de santé, pour une dépense nationale de santé équivalente à 9,5 % de son PIB. Par comparaison, les dépenses de santé aux États-Unis d'Amérique s'élevaient alors à 13,3 % de leur PIB, tandis que le pays se trouvait à la 37e place du classement de l'OMS. Deux décennies plus tard, dans la plupart des études, la France ne figure même plus dans le top 10 mondial pour la qualité des soins. La satisfaction des citoyens vis-à-vis du système de santé a chuté de plus de 10 %, alors que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que les dépenses de santé en France sont montées à 12,4 % du PIB en 2020. Comment en est-on arrivé là ? Qu'est-ce qui cloche dans les politiques de santé publique menées ces dernières décennies ? Comment refonder le système de santé et redonner du sens aux métiers du soin ? Voilà les bonnes questions que l'on doit se poser. De la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, qui met fin aux dotations globales et introduit la tarification à l'activité, à la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, qui entérine notamment le virage ambulatoire, en passant par la loi hôpital, patients, santé et territoires de 2009, qui a transformé les hôpitaux publics en entreprises, les multiples réformes menées par les gouvernements successifs ont abouti à la faillite non seulement économique mais aussi morale et philosophique du modèle national de service public de santé. L'obsession de rentabilité a conduit à faire des économies d'échelle déraisonnables. Ainsi, en 16 ans, ce sont 75 000 lits d'hôpitaux qui ont été supprimés. Et M. le ministre, tout comme sa prédécesseure avant lui, a poursuivi ce mouvement de compression des places d'hospitalisation et réalisé des économies sur la santé des gens. Selon les chiffres de la statistique annuelle des établissements de santé fournis par la Drees, en 2017, 4 900 lits fermés - en 2018, 4 200 en 2019, 3 100 et en 2020, en pleine pandémie mondiale, 5 700 lits fermés ! Mais comment s'étonner de ce constat, quand on sait que, depuis des décennies, il n'y a jamais eu d'objectifs en matière de nombre de lits ou de personnel soignant dans les lois de financement de la sécurité sociale, seulement des objectifs de réduction des dépenses, alors même que la population augmente et vieillit et que les maladies chroniques liées au stress, à la malbouffe et aux pollutions diverses ne cessent d'augmenter ? Tout cela est complètement insensé ! M. le ministre avait déclaré en octobre 2020 en avoir « fini avec le dogme de la fermeture de lits ». Le Conseil économique social et environnemental appelait quant à lui à un moratoire sur la question. Mais, un an plus tard, le Conseil scientifique apprend aux Français que ce sont désormais un lit sur cinq qui sont fermés, non plus cette fois afin de faire des économies supplémentaires mais parce qu'il n'y a plus assez de personnel pour s'en occuper ! Récemment, la Fédération hospitalière de France estimait à 10 % le taux d'absentéisme chez les soignants et elle a annoncé en octobre 2021 2 à 5 % de postes vacants au sein des hôpitaux et des établissements médico-sociaux, ce qui est symptomatique de la perte d'attractivité des métiers du soin. Dans cette histoire, la crise sanitaire a bon dos car, si la saturation des hôpitaux par les malades de la covid-19 et les contraintes organisationnelles liées aux déclenchement des plans blancs mettent indubitablement les personnels de ces établissements à rude épreuve, les problèmes de surcharge de travail, la lassitude liée aux conditions de travail et au manque de reconnaissance, sont latents dans les milieux médicaux et médico-sociaux depuis de trop nombreuses années. Jusqu'ici, le système de santé a tenu la barre uniquement grâce au dévouement et au sens des responsabilités des soignants. Ils ont enduré des conditions de travail exécrables, sans compter leurs heures, jusqu'à mettre en péril leur propre santé physique et mentale. Ces personnels tolèrent encore des salaires minables et s'adaptent aux lubies parfois incompréhensibles des directions, parce que prendre soin des gens est vraiment important pour eux et c'est ce qu'ils ont envie de faire et de faire bien. M. le député tient encore une fois ici à saluer leur engagement admirable au service de la santé et du bien-être des populations, en dépit du mépris dont ces personnels font encore l'objet de la part de l'administration et de nombreuses directions d'établissement. M. le député l'a déjà interpellé à plusieurs reprises depuis qu'il est ministre, à propos des limites du Ségur de la santé notamment. Les revalorisations proposées équivalent en moyenne à une hausse de 183 euros par mois, ce qui se situe largement en-deçà des 300 euros nets réclamés par les organisations syndicales. De plus, de nombreux métiers essentiels ne sont pas concernés par ces revalorisations, créant une discrimination inacceptable entre des membres d'un même collectif de travail. Quoiqu'il en soit, ces revalorisations laissent les soignants français avec des salaires encore bien en-dessous de la moyenne observée dans les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui plaçait la France en 28e position en 2020, en ce qui concerne les salaires des infirmiers, juste devant la Finlande, la Suisse et la Lituanie, qui ferme la marche. M. le député demande à M. le ministre comment il espère susciter à nouveau les vocations dont on a besoin sans aligner des salaires décents en face. Il attire son attention sur le fait que la question du niveau des salaires à l'hôpital n'est pas le seul facteur qui nuit à l'attractivité des métiers du soin et poussent une partie du personnel à démissionner, loin s'en faut. Les techniques de management employées dans de nombreux établissements sont complètement déshumanisées. Elles plombent le moral des soignants et ôtent parfois tout leur sens à leurs métiers. Pour illustrer son propos et pour rappel, il l'avait alerté par courrier en juillet 2020 sur le climat social délétère qui règne depuis des années au centre hospitalier Ariège-Couserans, dans sa circonscription. Il avait rencontré le directeur de l'établissement, les représentants du personnel et du comité de défense de l'hôpital. Il avait même été interpelé directement, fait assez rare, par un groupe de médecins urgentistes qui s'inquiétaient de la rupture du dialogue avec le directeur. Il lui avait demandé de faire intervenir ses services pour mettre en place une médiation entre la direction et les personnels désabusés. Mais un an et demi plus tard, rien n'a changé et une partie de l'équipage écœuré quitte le navire. Les tensions en matière de personnel sont telles que dix lits de court séjour gériatrique ont dû être supprimés, par manque de personnel. Pire encore, le service des urgences, pourtant vital dans ce territoire rural enclavé du Couserans, a fermé quelques jours, entre le 17 et le 21 novembre 2021, car il n'y avait plus assez de monde pour le faire tourner. Cet évènement a provoqué une prise de conscience chez de nombreux élus locaux, qui se mobilisent depuis pour demander des comptes au conseil de surveillance de l'hôpital mais aussi pour certains directement à la direction et à l'ARS. Au mois de janvier 2022, il a été rapporté à M. le député qu'une empoignade verbale entre la présidente de la commission médicale et la directrice des ressources humaines, à propos des recrutements, avait eu lieu en pleine séance du conseil. Un audit récent doit rendre ses conclusions prochainement, mais M. le député est peu optimiste. Il y a un an, il eût été possible, peut-être, de réconcilier la direction et son personnel, mais les choses sont allées trop loin et aujourd'hui, c'est le départ du directeur et de ses proches collaborateurs qui est demandé. Cet exemple local est représentatif de ce qui est rapporté un peu partout dans le pays. Il est symptomatique de la crise structurelle des hôpitaux publics et plus généralement du système de santé. M. le député veut dire à M. le ministre que l'heure n'est plus à écoper le navire et à reboucher les trous dans la coque pour éviter qu'il ne sombre dans les abysses de la bêtise collective. Non. On a besoin de restaurer entièrement le vaisseau de la cale au pont. Aussi, il lui demande quelles sont les perspectives futures pour l'hôpital en France et quelles mesures il préconise pour remettre le système de santé français à flots.
Réponse en séance, et publiée le 2 février 2022
SERVICE PUBLIC DE LA SANTÉ DANS L'ARIÈGE
M. le président. La parole est à M. Michel Larive, pour exposer sa question, n° 1643, relative au service public de la santé dans l'Ariège.
M. Michel Larive. En 2000, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) jugeait que la France avait les meilleurs services de santé du monde pour une dépense annuelle équivalente à 9,5 % de son PIB. Par comparaison, les États-Unis étaient placés à la trente-septième place du classement pour une dépense de 13,3 % de leur PIB. Mais, deux décennies plus tard, la France ne figure même plus dans le « top 10 » mondial pour la qualité des soins, tandis que ses dépenses de santé sont montées en 2020 à 12,4 % du PIB.
De multiples réformes ont abouti à la faillite, non seulement économique mais aussi morale et philosophique, de notre modèle national de service public de santé. La privatisation d'une part croissante de notre système de santé contribue par ailleurs à une dérive vers la marchandisation de la santé, et je crains malheureusement que l'actualité de ces derniers jours – je parle du scandale des EHPAD d'Orpea – ne révèle que la face émergée de l'iceberg.
L'obsession de rentabilité s'est traduite par des économies d'échelle déraisonnables. Selon les chiffres de la statistique annuelle des établissements de santé fournis par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), 4 900 lits ont été fermés en 2017, 4 200 en 2018, 3 100 en 2019 et, en 2020, en pleine pandémie mondiale, 5 700. Jusqu'où va-t-on aller ?
Depuis des décennies, jamais aucun objectif clair n'a été fixé concernant le nombre de lits ou de personnels soignants dans les lois de financement de la sécurité sociale, seulement des objectifs de réduction de dépenses. C'est tout le contraire qu'il faudrait faire, sachant que la population augmente et vieillit et que les maladies chroniques liées au stress, à la « malbouffe » et aux pollutions diverses ne cessent d'augmenter.
M. le ministre Véran déclarait en octobre 2020 que vous en aviez fini avec le dogme de la fermeture de lits mais, un an plus tard, d'après le Conseil scientifique, c'est désormais un lit sur cinq qui est fermé, cette fois parce qu'il n'y a plus assez de personnel pour s'en occuper.
L'ampleur de la destruction des hôpitaux n'est pas le fait de la crise sanitaire, celle-ci n'a fait que révéler l'existant. C'est bien l'inverse qui s'est produit : c'est précisément parce que l'hôpital était dans cet état de déliquescence avancée qu'il n'a pu absorber l'impact de la crise sanitaire.
Jusqu'ici, notre système de santé tient bon grâce au dévouement et au sens des responsabilités de nos soignants. Ils ont enduré des conditions de travail exécrables, n'ont pas compté leurs heures, jusqu'à mettre en péril leur propre santé physique et mentale. Je tiens encore une fois ici à saluer leur engagement admirable au service de la santé et du bien-être des populations, en dépit du mépris dont ces personnels font l'objet de la part de l'administration et de nombreuses directions d'établissement.
J'ai interpellé le ministre Véran à plusieurs reprises depuis qu'il exerce ses fonctions à propos des limites du Ségur de la santé notamment. Les revalorisations proposées ne représentent que 183 euros par mois en moyenne, bien en dessous de 300 euros nets réclamés par les organisations syndicales. De plus, de nombreux métiers essentiels ne sont toujours pas concernés par ces revalorisations, ce qui crée une discrimination inacceptable entre les membres d'un même collectif de travail. Dites-nous, madame la ministre déléguée, comment vous comptez susciter de nouveau les vocations dont vous avez besoin sans proposer des salaires décents.
Ce qui nuit à l'attractivité des métiers du soin et pousse une partie du personnel à démissionner, ce sont les techniques de management déshumanisées. Employées dans de nombreux établissements, elles ôtent parfois tout sens à ces métiers.
Pour illustrer mon propos, et pour rappel, j'ai alerté M. Véran par courrier en juillet 2020 sur le climat social délétère qui règne depuis des années au centre hospitalier Ariège Couserans, dans ma circonscription. J'ai rencontré le directeur de l'établissement, les représentants du personnel et du comité de défense de l'hôpital. J'ai même été interpellé directement, c'est assez rare, par un groupe de médecins urgentistes qui s'inquiétaient de la rupture du dialogue avec le directeur. J'ai demandé l'intervention des services du ministère pour mettre en place une médiation entre la direction et le personnel désabusé mais un an et demi plus tard rien n'a changé. Une partie du personnel, écœurée, quitte maintenant l'établissement ou bien s'apprête à le faire.
Les tensions, en ce qui concerne le personnel, sont telles que dix lits de court séjour gériatrique ont dû être supprimés par manque de personnel. Pire, le service des urgences, pourtant vital dans ce territoire rural enclavé du Couserans, a dû fermer quelques jours entre le 17 et le 21 novembre dernier car il n'avait plus assez de personnel pour le faire fonctionner.
Ces événements ont entraîné une prise de conscience et de nombreux élus locaux se sont mobilisés pour demander des comptes au conseil de surveillance de l'hôpital mais aussi à la direction de l'ARS. Un audit doit rendre ses conclusions prochainement mais je suis peu optimiste. Il y a un an, il eût peut-être été possible de réconcilier la direction et son personnel mais les choses sont allées trop loin et aujourd'hui c'est le départ du directeur et de ses proches collaborateurs qui est demandé.
Cet exemple local est représentatif de ce qui nous est rapporté un peu partout dans le pays. Mon cabinet a encore tout récemment été contacté par une infirmière désespérée travaillant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. Elle dénonce les violences institutionnelles dont elle fait l'objet, comme d'autres de ses collègues, une violence qui l'a poussée à tenter de se suicider sur son lieu de travail. Ce genre de récit me glace le sang et me met en colère.
Ces faits sont symptomatiques de la crise structurelle des hôpitaux publics et plus généralement de notre système de santé. L'heure n'est plus aux demi-mesures, nous avons besoin de restaurer entièrement notre système de santé. Madame la ministre déléguée, quand allez-vous proposer une vraie revalorisation des métiers de la santé et du médico-social ? Quand allez-vous mettre un terme aux pratiques de management inhumaines qui poussent tant de personnel qualifié à renoncer à leur métier ?
M. le président. Merci, monsieur Larive. Je vous rappelle que les six minutes imparties concernent et la question et la réponse ; vous ne laissez donc que vingt secondes à la ministre déléguée chargée de l'autonomie, à laquelle je donne la parole.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie. Vous me laissez vingt secondes, monsieur Larive, après cette litanie ; mais j'en avais tout autant à vous dire, pour vous rappeler ce que nous avons déjà fait et que vous semblez avoir oublié.
M. Michel Larive. Répondez à ma question !
M. le président. Monsieur Larive, je pense que vous avez suffisamment parlé pour ne pas interrompre Mme la ministre déléguée, à laquelle je laisserai tout de même quelques secondes supplémentaires.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il faut accepter d'entendre les choses.
L’assurance maladie couvre près des deux tiers de la population de votre département, en s’appuyant notamment sur onze maisons de santé pluridisciplinaires. Dans votre circonscription, une dizaine d’EHPAD bénéficient d'un financement pour leur projet de rénovation et de restructuration pour cette première année, parce qu'ils étaient vétustes. Dans votre circonscription toujours, la rénovation de la filière gériatrique du centre hospitalier Ariège Couserans fait l'objet d'un soutien précisément pour répondre aux besoins que vous exprimez. Il n’est pas seul : le centre hospitalier du Val d’Ariège est également accompagné et celui de Lavelanet sera reconstruit.
Je ne nie pas que les établissements ont encore besoin de notre soutien, que la crise continue de soumettre les professionnels et les capacités à une tension très forte. Je ne nie pas non plus que, localement, tous ces changements n’ont pas encore tous abouti. Nous poursuivons le dialogue avec les élus locaux. Les décisions ont été prises et les résultats vont commencer à porter leurs fruits.
Auteur : M. Michel Larive
Type de question : Question orale
Rubrique : Établissements de santé
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 janvier 2022