Question orale n° 214 :
Marges arrières dans la filière automobile

15e Législature

Question de : M. Denis Sommer
Doubs (3e circonscription) - La République en Marche

M. Denis Sommer interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur les marges arrières dans la filière automobile. Les marges arrières, dites aussi « productivité additionnelle » ou quick saving, sont une pratique commerciale des grands groupes, qui consiste à proposer aux fournisseurs une promotion spéciale sur leurs produits, en contrepartie d'une rémunération versée après la vente. Ainsi, le prix ne change pas pour le consommateur, mais le groupe qui a proposé la promotion encaisse une deuxième marge de son fournisseur. Loin de facturer de la même façon tous leurs fournisseurs, le groupe peut ainsi continuer à faire jouer la concurrence entre les fournisseurs. Cette pratique de productivité additionnelle peut représenter jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires réalisé sur un produit par le fournisseur, comptabilisé sous forme de ristourne, sachant que le résultat de ces entreprises est voisin de 2 % dans le meilleur des cas. Elle s'avère en ce sens contestable dans son impact économique, dans son opacité (les chiffres de l'INSEE de 2017 pour 2014, font état d'un taux de marge de 13 % dans le secteur de l'automobile, sans distinguer les marges-avant, des marges-arrières), voire dans sa légalité puisque qu'elle constitue une distorsion indirecte de la vérité des prix et des marchés. Si la plate-forme filière automobile et mobilités porte une attention particulière à cet enjeu stratégique, au travers de ses enquêtes annuelles de « performance industrielle » et de « qualité des relations client fournisseur » ; et qu'elle apporte un soutien méthodologique aux dirigeants de PME-PMI sous forme de guides méthodologiques, ces mesures s'avèrent pour autant insuffisantes. Et si ces pratiques s'inscrivent dans le cadre de relations commerciales, l'État est déjà intervenu pour les réguler, notamment avec la loi Galland de 1996 ou encore la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008. Il lui demande donc quelles dispositions il entend prendre à l'égard de ces pratiques de marges arrières dans la filière automobile, notamment dans le cadre du futur projet de loi relatif au Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE.

Réponse en séance, et publiée le 28 mars 2018

MARGES ARRIÈRE DANS LA FILIÈRE AUTOMOBILE
M. le président. La parole est à M. Denis Sommer, pour exposer sa question, n°  214, relative aux marges arrière dans la filière automobile.

M. Denis Sommer. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Nos entreprises, particulièrement les PME et PMI, sont confrontées à des enjeux considérables : besoin d’internationalisation, modernisation des moyens de production, numérisation et formation des salariés.

L’usine du futur nécessitera des investissements lourds, tant dans les hommes que dans l’appareil de production. Pour se financer, les entreprises ont besoin de réaliser des marges suffisantes. Or, dans la sous-traitance, les pressions sur les prix sont considérables et les clients, qui sont souvent les grands groupes, exigent des ristournes sur les gains de productivité réalisée par les PME, qui peuvent aller jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires réalisé pour le client, alors que ces entreprises ont des niveaux de résultats rapportés au chiffre d’affaires de l’ordre de 2 % à 3 %.

En Allemagne, les grands groupes organisent leur filière, permettant à toutes les entreprises de la filière de tirer leur épingle du jeu.

Le Conseil national de l’industrie s’est emparé de cette question, exprimée par le Premier ministre le 20 novembre 2017. Pour construire les champions de demain, nous devons renforcer notre logique de filières et y diffuser la culture de l’innovation. Pour y parvenir, nous avons besoin que les rapports entre les grands groupes et les sous-traitants soient beaucoup mieux équilibrés.

Quelles sont donc les mesures que le Gouvernement entend prendre, notamment dans le cadre du futur plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – dit « PACTE » –, pour que les filières fonctionnent de manière plus collective et solidaire ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Sommer, le Gouvernement est très attentif à l’équilibre des relations commerciales, en particulier lorsqu’elles font intervenir, d’une part, un grand groupe et, d’autre part, un réseau de petites et moyennes entreprises. Les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF – ont mené, en 2011 et 2012, des enquêtes sur les relations commerciales au sein de la filière automobile. Ces enquêtes ont révélé l'existence d'engagements contractuels déséquilibrés au profit des constructeurs et au détriment de leurs sous-traitants. À cette occasion, les pratiques du quick cash et du quick saving ont effectivement été identifiées comme susceptibles de contrevenir aux dispositions de la loi de modernisation de l'économie de 2008.

Il s'agit, pour le donneur d'ordre, d'obtenir des avantages supplémentaires de son sous-traitant, soit sous la forme d'un effort en valeur – c'est le quick cash –, le plus souvent par l'octroi d'un avoir, soit sous la forme d'une demande de baisse de prix du marché en cours – c'est ce que l'on appelle le quick saving. Ces avantages obtenus, qui conditionnent souvent l'obtention d'un nouveau marché, sont censés anticiper des gains de productivité à venir et, comme tels, incertains.

Entre 2013 et 2015, l'administration a engagé avec les professionnels une démarche d'engagements visant remédier aux manquements constatés par une modification des clauses contractuelles, qui a permis d'aboutir à des modifications satisfaisantes des contrats pour certaines sociétés.

Le Gouvernement reste vigilant quant à la situation des professionnels de ces secteurs d'activité et de l'ensemble des secteurs dans lesquels des pratiques restrictives de concurrence sont susceptibles d'être observées. Les services de la DGCCRF effectuent ainsi des contrôles pour s'assurer que les relations commerciales entre professionnels ne sont pas manifestement déséquilibrées. Les dispositions actuelles du code de commerce permettent de caractériser ces pratiques et, le cas échéant, de les faire sanctionner par un juge.

Dans le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, en cours d'examen par le Parlement, figure un article qui habilite le Gouvernement à apporter par ordonnance diverses modifications et clarifications des dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce – relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées –, rendues nécessaires par l'évolution des textes et les apports de la jurisprudence. C’est donc, monsieur le député, plutôt dans ce projet de loi que dans la loi PACTE que se trouveraient des possibilités de clarification.

Pour l’élaboration de cette ordonnance, les acteurs économiques seront, bien sûr, consultés.

M. le président. La parole est à M. Denis Sommer.

M. Denis Sommer. Madame la secrétaire d'État, merci pour votre réponse. Je formulerai deux remarques.

Tout d’abord, les grands groupes que j’évoque ne sont pas nécessairement les grands constructeurs automobiles : il s’agit très souvent des grands équipementiers, qui ont des attitudes commerciales tout à fait discutables.

Quant aux recours en justice, reconnaissez avec moi qu’il est très difficile pour une PME-PMI d’affronter en justice l’un de ses clients, car ce qui est en jeu, ce sont des pertes de marchés.

Le Conseil national de l’industrie devrait donc conduire un grand débat public sur le sujet, afin de sensibiliser l’ensemble des acteurs et, surtout, permettre aux filières de mieux s’organiser. Je le répète : il existe, pas très loin, un modèle qui a montré beaucoup de vertus. Nous aurions tout lieu de nous inspirer de ce qui se fait en Allemagne.

Données clés

Auteur : M. Denis Sommer

Type de question : Question orale

Rubrique : Entreprises

Ministère interrogé : Économie et finances

Ministère répondant : Économie et finances

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 20 mars 2018

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