Question orale n° 550 :
Crise requin : des enjeux humains, sociaux et économiques majeurs

15e Législature

Question de : M. Jean-Luc Poudroux
Réunion (7e circonscription) - Les Républicains

M. Jean-Luc Poudroux attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'impact de la situation « crise requin » à La Réunion. Depuis 2011, vingt-cinq attaques de requins ont été recensées à La Réunion, ayant causé la mort de neuf personnes et la mutilation de cinq autres, dont des femmes et enfants. Le 26 juillet 2013, pour faire face à cette problématique, l'État a pris pour mesure une interdiction provisoire des activités nautiques utilisant la force motrice des vagues ainsi que de la baignade, sur l'ensemble de l'île. Cette interdiction « provisoire » a été reconduite et adaptée à huit reprises et le sera sûrement à nouveau pour une neuvième fois en février 2019. Des plans d'urgence se sont succédé vainement pour tenter de faire face à cette problématique qui revêt à la fois un problème de sécurité mais aussi de conflit d'usage de la mer - pour reprendre les termes utilisés par M. le Président de la République en mars 2017 sur ce sujet. Eu égard à la situation actuelle, les divers réglementations et dispositifs mis en œuvre à La Réunion restent inefficaces et insuffisants. M. le député appelle le Gouvernement à honorer ses engagements et prendre des mesures drastiques pour réduire significativement le risque lié à cette problématique qui entrave et pénalise fortement toutes activités économique, sociale, culturelle et sportive associées au littoral à La Réunion. Les conséquences économiques mettent en exergue un manque à gagner certain et une limitation forte des activités professionnelles sur le littoral pour une île où le tourisme balnéaire constitue à la fois un domaine d'activité stratégique incontournable et un secteur d'avenir. De nombreuses entreprises du littoral appartenant aux secteurs du surf, de la plongée, de la restauration, de l'hôtellerie ou encore du commerce généraliste ont été très impactées par cette « crise requin » - au début de la crise, 85 acteurs appartenant à ces secteurs ont demandé une aide pour faire face aux difficultés subies. Le manque à gagner a été chiffré à 33 millions d'euros sur la seule période 2011 à 2014. Pour rappel, les stations littorales sont la première destination touristique en France selon la direction générale des entreprises. Pour l'île de La Réunion, plus de 80 % des 550 000 visiteurs extérieurs en 2017 sont une clientèle de loisirs. Les conséquences au niveau social sont inacceptables pour les réunionnais qui ne peuvent plus profiter pleinement de leur environnement, sinon en bravant les interdictions, ce qui est de plus en plus le cas sur la plupart des plages de l'île, au péril de leur vie. Les seuls filets de protection n'ont pas suffi à garantir un retour sécurisé à la mer des personnes et leur avenir reste incertain. De plus, les pratiquants d'activités nautiques, dont les meilleurs représentent la France sur la scène internationale, ne disposent plus des rivages réunionnais particulièrement favorables, notamment pour préparer des compétitions de haut niveau. De surcroît, les conséquences écologiques liées à la « crise requin » sont désastreuses. La population balnéaire est à l'heure actuelle concentrée en zones récifales très sensibles (le lagon) et la capacité de charge de ces écosystèmes est donc souvent dépassée. Également, M. le député relève qu'un des éléments de terrain qui lui est souvent remonté est relatif au respect, à une adaptation circonstanciée et conciliante de la réserve marine avec une zone balnéaire. Aujourd'hui, cette réserve marine est le théâtre de la quasi-totalité des attaques, et cela depuis 2011. La forme actuelle de la réserve marine protège des requins côtiers (bouledogues et tigres), au point d'avoir transformé des plages historiques en véritable « parc à requins ». Par conséquent, M. le député appelle le Gouvernement à réformer en profondeur ce dispositif de réserve marine, notamment en révisant sa réglementation ou en la déplaçant à l'extérieur de la zone balnéaire. Ainsi, il souhaite vivement qu'il apporte une réponse pour savoir quand les réunionnais pourront se réapproprier leur littoral et ainsi retrouver pleine liberté d'accès à leur environnement en toute sécurité, pour un retour rapide à une dynamisation et valorisation balnéaire essentielles à l'économie locale.

Réponse en séance, et publiée le 30 janvier 2019

RISQUE REQUINS À LA RÉUNION
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Poudroux, pour exposer sa question, n°  550, relative au risque requins à La Réunion.

M. Jean-Luc Poudroux. Madame la ministre des outre-mer, j'appelle votre attention sur les conséquences dramatiques de la crise requins à La Réunion. On pourrait considérer que tout a été dit, tous ont été écoutés, tout a été envisagé. Pourtant force est de constater que rien n'a changé, ou si peu. Cela fera bientôt huit ans qu'une île est privée de son littoral : voilà très exactement 2 013 jours que les Réunionnaises et Réunionnais subissent les conséquences de la gestion calamiteuse de la crise. Oui, depuis le 26 juillet 2013, l'État protège ses citoyens îliens en interdisant purement et simplement l'accès à la très grande majorité, pour ne pas dire à la quasi-totalité, du littoral. Cette interdiction, nous dit-on, est provisoire – un provisoire reconduit, semble-t-il, ad vitam æternam.

Seriez-vous capable de restreindre l'accès à la mer, 2 013 jours durant, aux vacanciers, touristes et résidents de stations balnéaires comme Hossegor, Lacanau ou encore Biarritz ? Je vous le demande. Certes, des engagements ont été pris pour réduire le risque lié à ce problème qui entrave et pénalise fortement toutes les activités économiques, sociales, culturelles et sportives associées au littoral de La Réunion. Mais l'actualité nous montre que ces mesures sont plus qu'insuffisantes : elles sont inefficaces et dangereuses. Nos plages historiques se sont transformées en véritable parc à requins. La réserve marine protège ces prédateurs : les requins-bouledogues et les requins-tigres, qui ont, à vingt-cinq reprises depuis 2011, attaqué, tué ou mutilé. Ces nouveaux prédateurs sont, de l'avis de beaucoup de spécialistes, professionnels et usagers de la mer, à l'origine de la diminution drastique, dans cet espace, d'autres espèces réduites à l'impuissance.

Aucune réforme en profondeur de la réserve marine n'est pourtant prévue jusqu'à présent, qu'il s'agisse d'une révision de sa réglementation ou de sa délocalisation à l'extérieur de la zone balnéaire. Aucune des solutions pertinentes et pérennes proposées notamment par des acteurs associatifs n'a été étudiée ou débattue. L'absence d'écoute des acteurs locaux, malgré des alertes maintes fois lancées, et le fait d'ignorer leurs propositions font naître un sentiment aigu d'injustice dans la population, attisant les rancœurs et alimentant les extrêmes. Quelles solutions depuis huit ans ? Des pansements.

Vous n'étiez pas là en 2013, madame la ministre, mais j'ose aujourd'hui vous poser la question : que comptez-vous faire pour valoriser et promouvoir notre atout maritime ? Il est temps d'agir. La Réunion, les Réunionnaises et les Réunionnais méritent un véritable et ambitieux programme de réappropriation du littoral.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur Poudroux, je connais ce sujet dramatique pour avoir rencontré à plusieurs reprises les Réunionnais qui se sont mobilisés face au risque requins ainsi que ceux ayant malheureusement subi des attaques de requins-bouledogues ou de requins-tigres. Mais il faut rester extrêmement vigilant.

Vous ne dites pas qu'aucun blessé ni tué n'est à déplorer depuis vingt et un mois, après les nombreux drames survenus entre 2011 et 2017. Pourquoi le niveau de risque a-t-il diminué ? Parce que le Gouvernement et les collectivités ont agi, adoptant un plan d'action 2018-2021 pour les activités nautiques à La Réunion. Comme je l'ai annoncé lors d'un déplacement dans l'île, l'État a doublé son financement pour le porter à 2 millions d'euros en 2018. Nous déployons également une stratégie alliant pêche de prévention – soixante-seize requins ont ainsi été prélevés en 2018 et, depuis novembre dernier, une expérimentation de pêche post-observation est menée dans les zones non autorisées à la pêche de la réserve marine – et dispositif de surveillance de nouvelles zones et d'alerte, cofinancé avec les collectivités concernées, car il était normal de rendre la mer aux Réunionnais, notamment aux jeunes qui souhaitent participer aux activités nautiques.

Je ne néglige pas le développement économique par le tourisme à La Réunion ; au contraire, il faut le soutenir, encore et toujours. Je ne néglige pas non plus, vous le savez, l'ensemble de ce que j'appelle la « croissance bleue ».

Cela dit, notre devoir est de rappeler et de marteler, chaque fois que possible, qu'il faut condamner les comportements irresponsables et respecter les zones interdites. On ne peut pas pratiquer des activités nautiques à La Réunion sans précautions minimales de sécurité. En effet, même s'il a diminué, le risque requins est toujours réel : un requin-tigre de 3,6 mètres a ainsi été capturé il y a une semaine, le 22 janvier dernier, devant la fameuse gauche de Saint-Leu. Il faut donc régulièrement rappeler les habitants à la prudence. C'est pourquoi l'arrêté préfectoral réglementant les activités nautiques et la baignade sera reconduit en février prochain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Poudroux.

M. Jean-Luc Poudroux. Madame la ministre, vous ne m'avez pas répondu sur les éventuels changements de périmètre de la réserve marine. Avez-vous l'intention d'en modifier le tracé pour permettre la renaissance des zones balnéaires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre. Je rappelle que les zones protégées représentent une formidable richesse pour La Réunion. La protection de la biodiversité est l'un des combats que nous devons mener, et c'est ce que nous faisons, tout en travaillant sur la prévention et en créant une série de dispositifs. Il faut rendre la mer aux jeunes et aux moins jeunes de La Réunion ; c'est pourquoi il existe des zones protégées, et nous continuerons à les préserver grâce aux investissements que le Gouvernement apportera aux collectivités. Mais il faut aussi prendre conscience que le risque reste réel et qu'il n'est pas obligatoirement lié, comme vous le suggérez, aux zones protégées, l'une des richesses des territoires d'outre-mer.

Données clés

Auteur : M. Jean-Luc Poudroux

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Outre-mer

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 22 janvier 2019

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