Question orale n° 616 :
Situation préoccupante des services psychiatriques en Haute-Savoie

15e Législature

Question de : Mme Virginie Duby-Muller
Haute-Savoie (4e circonscription) - Les Républicains

Mme Virginie Duby-Muller alerte Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la situation extrêmement préoccupante des services psychiatriques en Haute-Savoie (sanitaire et médico-social). Les équipes soignantes sont en sous-effectif chronique, contraintes d'allonger leur temps de travail, et n'arrivent pas à recruter du fait de la spécificité du territoire et de la forte attractivité de la Suisse voisine. C'est notamment le cas au Centre hospitalier Annecy-Genevois (CHANGE), où 10 lits ont été fermés, ainsi que le service de pédopsychiatrie. C'est le cas sur le site de Saint-Julien-en-Genevois, où il n'y a plus de psychiatre de liaison. Plusieurs associations dénoncent le difficile suivi des patients, alors que le nombre d'hospitalisations est croissant, avec une suppression de lits laissant les familles seules face à ces maladies psychiques souvent complexes. Les proches des patients vivent au quotidien un parcours du combattant. Aussi, elle souhaite connaître les mesures que le Gouvernement compte mettre en place pour renforcer et soutenir les pôles psychiatriques de Haute-Savoie, avec des moyens humains et financiers supplémentaires, et plus largement pour que la psychiatrie cesse d'être le parent pauvre de la médecine en France.

Réponse en séance, et publiée le 6 mars 2019

SERVICES PSYCHIATRIQUES EN HAUTE-SAVOIE
M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour exposer sa question, n°  616, relative aux services psychiatriques en Haute-Savoie.

Mme Virginie Duby-Muller. Monsieur le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, je souhaite alerter une nouvelle fois votre ministère sur la situation extrêmement préoccupante de la psychiatrie en Haute-Savoie, et j'associe à ma question mon collègue Martial Saddier, ancien président du groupement hospitalier de territoire Léman Mont-Blanc.

Dans ce département, les équipes soignantes de psychiatrie, en sous-effectifs chroniques, sont contraintes d'allonger leur temps de travail. Les directeurs de service connaissent de grandes difficultés de recrutement du fait du coût élevé de la vie dans le territoire et de la forte attractivité de la Suisse voisine. Actuellement, à l'établissement public de santé mentale de la Vallée de l'Arve, 30 % des postes médicaux sont vacants. Le sous-équipement en structures médico-sociales d'hébergement oblige à maintenir en hospitalisation de nombreuses personnes qui ont pourtant une indication MDPH – maison départementale des personnes handicapées – pour un autre lieu de vie : cela représente évidemment un coût pour la collectivité mais, de plus, cela perturbe le parcours de patients en crise, pour qui il n'y a plus de lit d'hospitalisation disponible. Le recours aux soins sans consentement est d'ailleurs plus important en Haute-Savoie que dans d'autres départements.

La Haute-Savoie est véritablement sous-dotée eu égard au montant de la dotation annuelle de financement par habitant aux niveaux national et régional, alors qu'elle compte une croissance démographique parmi les plus fortes de France. La psychiatrie se révèle le parent pauvre de la médecine en Haute-Savoie, et les exemples ne manquent pas pour le démontrer : au centre hospitalier Annecy-Genevois, dix lits ont été fermés ainsi que le service de pédopsychiatrie, et il n'y a plus de psychiatres de liaison sur le site de Saint-Julien en Genevois.

Le parcours le plus complexe dans le département est sans aucun doute celui des adolescents : lorsque l'un d'eux fait une crise aiguë, les médecins m'ont expliqué qu'ils ne disposent que de trois solutions : le garder sous sédation en unité d'hospitalisation de courte durée, l'adresser en pédiatrie – ce qui implique un voisinage peu évident à gérer –, ou le transférer en psychiatrie adulte – ce fut le cas en 2018 pour vingt séjours à l'établissement public de santé mentale, l'EPSM. Pour les équipes démunies, de tels moments sont vécus comme une maltraitance, et on ne peut pas leur donner vraiment tort. C'est pourquoi beaucoup quittent la discipline. Concrètement, cela se traduit par des situations de rupture de soins pour les malades et génère un stress terrible pour les familles. Les équipes soignantes sont épuisées.

La situation ne peut plus durer. Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures le ministère compte-t-il mettre en place pour soutenir et renforcer les pôles psychiatriques de Haute-Savoie ? Seront-ils dotés de moyens humains et financiers supplémentaires ? Les spécialistes du secteur appellent notamment, avec insistance, à expérimenter un financement selon des critères géopopulationnels tels qu'évoqués dans le rapport de Jean-Marc Aubert sur les modes de financement et de régulation.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le centre hospitalier Annecy-Genevois, dit CHANGE, contribue, comme deux autres établissements, les hôpitaux du Léman et l'établissement public de santé mentale, à la prise en charge des patients en psychiatrie dans le territoire de Haute-Savoie. Il existe par ailleurs des structures médico-sociales en aval, pour les patients handicapés psychiques stabilisés : je pense au foyer d'accueil médicalisé et aux trois SAMSAH – services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés. En outre, le conseil départemental et l'agence régionale de santé lancent en 2019 un appel à projets pour ouvrir un dispositif médico-social de prise en charge des adultes handicapés psychiques. Enfin, le CHANGE et l'EPSM ont développé des soins de réhabilitation psychosociale.

Les établissements de Haute-Savoie doivent faire face au problème de la démographie médicale des psychiatres, et ils sont loin d'être les seuls de la région à être confronté à cette problématique, laquelle touche aussi – vous l'avez évoqué implicitement – l'ensemble du territoire national. Sachez que la question de l'organisation de la filière psychiatrique et, pour ce qui est davantage de mon ressort, de la pédopsychiatrie, constitue une des priorités de ce gouvernement, sachant qu'une véritable filière est à reconstruire, notamment s'agissant de la pédopsychiatrie.

Cela étant, la problématique que j'ai rappelée a une spécificité dans votre département : sa proximité avec la Suisse, qui aggrave le phénomène puisque s'ajoute la difficulté à recruter des personnels non médicaux, qu'ils soient infirmiers ou aides-soignants, ainsi que des médecins, difficulté due à l'attractivité des salaires en Suisse. Cette situation conduit les établissements à des fermetures de lits, vous l'avez rappelé, amplifiant ainsi les difficultés des patients à accéder aux soins, dans un contexte où les taux d'équipement et les moyens financiers – je pense à la dotation annuelle de fonctionnement des établissements publics – sont inférieurs à la moyenne des établissements de la région.

Concernant le CHANGE, la pénurie de médecins psychiatres a conduit cet établissement à fermer son unité de pédopsychiatrie. Aujourd'hui, seules deux cliniques privées assurent la prise en charge des enfants et des adolescents en hospitalisation complète, et seule une des deux cliniques est financée pour accueillir ces patients en situation de crise, sans pour autant être en réelle capacité de répondre à l'ensemble des besoins, notamment s'agissant des cas les plus complexes. Seul le recrutement de psychiatres permettra la réouverture de cette unité de pédopsychiatrie publique, ainsi que celle des lits de psychiatrie adulte qui ont été fermés.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.

Mme Virginie Duby-Muller. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour ces précisions. Certes, les difficultés en psychiatrie concernent toute la France, mais il faut savoir que la dotation annuelle de financement par habitant en Auvergne Rhône-Alpes est de 132 euros, alors qu'elle est de 81 euros en Haute-Savoie et de 66 euros dans le secteur des hôpitaux du Léman : notre territoire est donc très largement sous-doté.

En outre, certains établissements doivent recourir à l'intérim, ce qui a un coût extrêmement élevé. Nous comptons par conséquent vraiment sur vous pour entendre et la voix des usagers et des familles, qui sont très inquiets.

Données clés

Auteur : Mme Virginie Duby-Muller

Type de question : Question orale

Rubrique : Établissements de santé

Ministère interrogé : Solidarités et santé

Ministère répondant : Solidarités et santé

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 février 2019

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