Question orale n° 650 :
Effets pervers de l'introduction des spécialités par la réforme du lycée

15e Législature

Question de : M. Julien Aubert
Vaucluse (5e circonscription) - Les Républicains

M. Julien Aubert attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse sur la suppression des filières littéraire, économique et social ainsi que scientifique pour les remplacer par des spécialités. Cette réforme pose en effet de nombreuses difficultés. Au-delà du questionnement sur l'opportunité que les jeunes aient à faire, dès leur entrée en seconde, un choix en matière de spécialisation qui les engagera sur les années à venir, cette réforme accroît la pression sur les parents d'élèves, soucieux de choisir la meilleure filière pour leur enfant. Avec une spécialisation accrue des lycées sur certaines options, cette réforme va également contraindre de nombreux élèves à changer de lycée, pour un établissement parfois très éloigné, afin de pouvoir continuer à suivre une option dans laquelle ils se sont engagés. De tels changements, ou de tels allers et retours entre des lycées pour pouvoir suivre un enseignement, sont de nature à impacter le taux de réussite de ces élèves qui perdront un temps précieux dans les transports. Il souhaite ainsi savoir quelles réponses il souhaite apporter, afin de pallier les effets pervers de cette réforme et pour que le diplôme du baccalauréat ne se transforme pas en un diplôme de niveau inégal selon les territoires.

Réponse en séance, et publiée le 27 mars 2019

REMPLACEMENT DES FILIÈRES PAR DES SPÉCIALITÉS DANS LA RÉFORME DU LYCÉE
M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, pour exposer sa question, n°  650, relative au remplacement des filières par des spécialités dans la réforme du lycée.

M. Julien Aubert. Monsieur le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, la réforme du lycée promue par le Gouvernement doit bientôt entrer en vigueur. Elle prévoit notamment la suppression des filières littéraire, économique et sociale ainsi que scientifique et leur remplacement par ces fameuses spécialités.

Lycée à la carte, simplification, davantage de liberté aux élèves : j'ai bien pris note de votre argumentaire, même si je tiens à relativiser quelque peu l'enthousiasme généralisé qu'il suscite, s'agissant de jeunes de 15 ans devant faire un choix qui les engage. En effet, il existe des effets de cliquet : si vous choisissez les mathématiques, il n'est pas possible de modifier complètement vos enseignements par la suite si vous vous êtes trompé.

Cette simplification donne du fil à retordre à la grande majorité des parents d'élèves. Soucieux de faire les bons choix et d'accompagner leurs enfants scolarisés en seconde, ceux-ci sont confrontés à des choix cornéliens, notamment faute de visibilité sur la correspondance entre ce qui sera exigé dans l'enseignement supérieur et les spécialités requises pour y entrer.

Pour renforcer cette simplification, toutes les options et spécialités ne sont pas enseignées dans tous les établissements. Des regroupements par secteur – donc des mutualisations – sont à prévoir.

Je prendrai l'exemple de Carpentras, ville située dans ma circonscription, où les élèves du lycée Victor-Hugo souhaitant continuer l'option de provençal devront traverser la ville en marchant, ce qui leur prendra une bonne vingtaine de minutes, pour se rendre dans un lycée voisin, soit en tout quarante minutes de temps perdu. Une autre difficulté sera de trouver le bon horaire pour les deux lycées, avec le risque que les cours n'aient lieu très tôt le matin ou tard le soir. Il y a de quoi décourager les plus volontaires, même s'il existe des adeptes du provençal qui sont sportifs ! Cette perspective a suscité un vif mécontentement parmi les défenseurs de la langue et des cultures provençales, dont je suis. Ils y voient la fin de l'enseignement des langues régionales.

Je prendrai un second exemple. À Apt, autre ville de ma circonscription, un élève souhaitant étudier les sciences de l'ingénieur devra se rendre dans un lycée situé à l'Isle-sur-la-Sorgue, à une quarantaine de kilomètres. Or plusieurs études ont démontré que l'accroissement du temps de trajet entre le domicile et l'établissement scolaire est un facteur important de décrochage et d'échec.

Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur ces points. Le risque n'est pas de tendre vers un baccalauréat d'excellence, il est de tendre vers un baccalauréat déséquilibré entre les territoires. Vous avez évoqué la justice sociale : je tenais à appeler votre attention sur la justice territoriale.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Aubert, votre question est complémentaire de la précédente. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit au sujet de la répartition des enseignements de spécialité. Par ailleurs, je reconnais qu'il existe entre justice sociale et justice territoriale une relation très forte.

Vous avez soulevé plusieurs points. S'agissant du risque de confusion découlant d'un choix accru, il s'agit d'un argument que l'on peut toujours avancer dès lors que le champ de la liberté s'étend. Nous offrons plus de choix – on peut appeler cela plus de confusion.

Je profite de ma réponse à votre question pour signaler qu'il existe des points de repère, notamment le site internet horizons2021.fr, que nous avons créé. Il est emblématique de la logique à l’œuvre, car il permet aux élèves de seconde de se poser de bonnes questions au sujet de leur avenir.

Ils ne s'agit pas de le faire de façon définitive, ce qui induirait une orientation précoce plaçant les élèves dès la classe de seconde dans un couloir choisi à seize ans, alors que nous serons tous d'accord pour considérer que la plupart des élèves, à seize ans, ne savent pas ce qu'ils veulent faire plus tard, ce qui est bien normal.

La réforme permet précisément de tenir compte de cette réalité. Elle permet – notamment grâce au site internet horizons2021.fr – de réfléchir aux spectres des possibilités offerts par l'enseignement supérieur et aux correspondances entre ces spectres et les différents parcours conduisant à ces possibilités.

La réforme permet donc à un élève de seconde de se poser des questions qui, jusqu'à présent, ne se posaient pas si tôt. Elles se posaient à lui plus tard, voire trop tard, au risque de le confronter à un échec dans l'enseignement supérieur.

Les réponses qu'apporte l'élève sont des premières réponses. Elles ne sont pas définitives. En clair, il devra, une fois en classe de première, procéder à des arbitrages entre enseignements de spécialité.

Par ailleurs, les débats sur les enseignements de spécialité ne doivent pas nous faire oublier qu'il existe un bloc commun d'heures – occupant la majorité des heures d'enseignement – destiné à tous les lycéens. Ne l'oublions jamais lorsque nous débattons de la réforme.

Ainsi, la prédétermination est moindre qu'elle n'était précédemment, les choix plus nombreux et l'implémentation plus juste. Bien entendu, vous pourrez toujours citer tel ou tel exemple, monsieur Aubert – je connais, par définition, moins bien que vous ceux que vous avez cités. En tout état de cause, il faut toujours comparer la situation obtenue avec la précédente.

Dans le cas des langues régionales, il était très fréquent de demander aux élèves de changer d'établissement pour étudier une langue régionale, ou une langue étrangère rare. La réforme du lycée n'accentue pas ce phénomène ; elle ouvre au contraire de nouvelles opportunités aux langues régionales – point à noter pour tous les partisans de celles-ci : les élèves peuvent choisir un enseignement de spécialité non seulement en langue étrangère, mais aussi en langue régionale, en corse par exemple. Je rappelle que l'horaire hebdomadaire est de quatre heures en classe de première, puis de six heures en classe de terminale.

La réforme du lycée a permis de mener une réflexion sur l'égalité territoriale. Vous pouvez, certes, constater telle ou telle insuffisance du système, mais nous sommes incontestablement en progrès par rapport à la situation antérieure, tant sous l'angle de l'égalité territoriale – offre dans chaque lycée mais aussi mise en réseau des lycées – que de celui des nouvelles libertés proposées aux lycéens.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Il demeure un problème : vous allez revoir le poids et la notation des options au baccalauréat. Vous dites qu'il est inconcevable que des élèves aient plus de vingt sur vingt à l'examen. Mais si l'option est enseignée à l'autre bout de la ville, et que de surcroît vous savez qu'elle ne comptera pas véritablement, les élèves risquent de se décourager : pourquoi, dans ces conditions, suivre trois heures d'enseignement de provençal ?

Il faut donc à mon sens revoir le poids des options. De plus, des lycées verront disparaître telle ou telle option.

S'agissant du bloc commun, je note que l'horaire alloué à l'enseignement moral et civique est de trente minutes : je sais que c'était déjà le cas mais, au vu de la crise démocratique que nous traversons, il faudrait peut-être songer à en augmenter substantiellement la durée !

Données clés

Auteur : M. Julien Aubert

Type de question : Question orale

Rubrique : Enseignement secondaire

Ministère interrogé : Éducation nationale et jeunesse

Ministère répondant : Éducation nationale et jeunesse

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mars 2019

partager