Question orale n° 67 :
Enjeu de la préservation de la neutralité du net

15e Législature

Question de : M. Alexis Corbière
Seine-Saint-Denis (7e circonscription) - La France insoumise

M. Alexis Corbière appelle l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du Premier ministre, chargé du numérique, sur l'enjeu de la préservation du principe de neutralité du net en France. Le 16 décembre 2017 la Commission fédérale des communications américaine a abrogé la neutralité du net aux États-Unis. Les fournisseurs d'accès internet américains, des sociétés commerciales privées, peuvent désormais introduire des priorités d'accès à la bande passante selon les formules tarifaires des abonnés, voire la source des contenus. Cette évolution va à l'encontre de l'esprit dans lequel internet a été créé : la neutralité du net permet de réguler le réseau comme un bien public, dans lequel chacun peut produire du contenu librement et gratuitement. Elle laisse craindre une marchandisation du cyberespace : un accès devenu discriminatoire entre les différents contenus, en fonction de leur valeur marchande. Les acteurs commerciaux capables de payer leur accès au réseau aux opérateurs internet se verraient privilégiés face aux acteurs non-commerciaux, les internautes: blogs, vidéos anodines, sites de professionnels deviendraient alors difficilement accessibles. Fin 2015, la régulation n° 2015/2120 du Parlement et du Conseil européen, prolongée par la publication par l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques des lignes directrices sur l'implémentation par les autorités nationales des règles de neutralité du net, a réaffirmé ce principe fondamental. Néanmoins, les évolutions du paysage d'internet - l'internet des objets, la prépondérance des plate-formes de réseaux sociaux - laissent présager sa remise en question, sous la pression de l'industrie des télécoms. Il lui demande de préciser sa position sur la neutralité du net. Il lui demande d'évoquer la vision politique du Gouvernement sur ce sujet.

Réponse en séance, et publiée le 24 janvier 2018

ENJEUX DE LA PRÉSERVATION DE LA NEUTRALITÉ DU NET
M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour exposer sa question, n°  67, relative aux enjeux de la préservation de la neutralité du net.

M. Alexis Corbière. Monsieur le secrétaire d'État chargé du numérique, je suis très flatté que vous répondiez vous-même à ma question, dans cet exercice si particulier.

Je souhaite appeler votre attention sur l'enjeu de la préservation du principe de neutralité du net en France. Le 16 décembre 2017, en effet, la commission fédérale des communications américaine a abrogé la neutralité du net aux États-Unis.

Les fournisseurs d'accès internet américains, des sociétés commerciales privées, peuvent désormais introduire des priorités d'accès à la bande passante selon les formules tarifaires des abonnés, voire la source des contenus. Cette évolution va à l'encontre de l'esprit dans lequel internet a été créé : la neutralité du net permet de réguler le réseau comme un bien public, dans lequel chacun peut produire du contenu librement et gratuitement. Elle laisse craindre une marchandisation du cyberespace : un accès devenu discriminatoire entre les différents contenus, en fonction de leur valeur marchande. Les acteurs commerciaux capables de payer leur accès au réseau aux opérateurs internet se verraient privilégiés face aux acteurs non-commerciaux, les internautes : blogs, vidéos anodines, sites de professionnels deviendraient alors difficilement accessibles.

Fin 2015, la régulation N° 2015/2120 du Parlement et du Conseil européen, prolongée par la publication, par l'organe des régulateurs européens des communications électroniques, des lignes directrices sur l'implémentation par les autorités nationales des règles de neutralité du net, a réaffirmé ce principe fondamental. Néanmoins, les évolutions du paysage d'internet – l’internet des objets, la prépondérance des plateformes de réseaux sociaux… – laissent présager sa remise en question, sous la pression de l'industrie des télécoms.

Monsieur le secrétaire d'État chargé du numérique, je vous demande donc de préciser votre position sur la neutralité du net. Je voudrais également que vous évoquiez la vision politique du Gouvernement à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du numérique.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur Corbière, merci de cette question sur ce sujet majeur qui est malheureusement passé inaperçu dans le débat européen et français.

Vous me demandez la position du Gouvernement quant à la neutralité du net. Vous verrez, à ma réponse, qu'une nouvelle fois nous partageons la même opinion.

Les États-Unis, vous l'avez rappelé, ont mis en danger cette neutralité. Ils sont allés loin. Soutenus par leur président, le milieu économique, les différents acteurs, ils ont décidé de mettre fin à la neutralité du net, à laquelle le régulateur américain a souhaité apporter de nombreuses exceptions en les justifiant de diverses manières.

Ces actions américaines n'auront pas de conséquences immédiates sur les entreprises françaises et européennes, et nous serons très vigilants dans ce domaine, mais le Gouvernement dans son ensemble partage votre préoccupation.

La neutralité du net, en termes simples, permet de garantir à chacun la capacité d'accéder aux sites qu'il souhaite, avec une vitesse égale, quel que soit le prix qu'il aura payé pour son abonnement. Aux États-Unis, dans les prochains mois, en fonction du prix qu'ils auront acquitté, les internautes n'auront pas tous le même accès… À mon sens, un internet qui ne donnerait pas accès à l'intégralité des sites n'est pas internet : c'est un CD-ROM, un CD-ROM connecté – bref, le passé !

C'est ensemble que nous avons construit internet. Ce n'est pas un concept idéaliste, mais un projet réel, un projet économique, un projet humain, où on partage les idées, où on libère son esprit parce qu'on est capable d'aller chercher l'information, où qu'elle soit. C'est un projet grâce auquel on peut s'élever intellectuellement, en ce qu'il permet d'accéder à toutes ces informations.

Internet est aujourd'hui, en France, le lieu de libération de nombreuses minorités, de nombreuses personnes, qui y trouvent enfin le lieu de l'expression la plus absolue. C'est aussi un lieu d'émergence économique en ce qu'il permet à des start-up de naître, car si leur offre est la meilleure, ce sont elles qui seront choisies plutôt que des entreprises plus anciennes.

Un internet fermé, au contraire, favorise les monopoles, la constriction.

Il est essentiel que le Gouvernement, aujourd'hui, fasse œuvre de pédagogie en expliquant pourquoi cette règle de neutralité est si importante. Nous l'avons fait au niveau européen, avec Jean-Yves Le Drian, en présentant la stratégie internationale numérique de la France le mois dernier. La neutralité du net est au cœur de notre stratégie numérique diplomatique. Nous la défendons et nous avons à cœur, avec le régulateur européen comme avec le régulateur français des télécoms, de rappeler régulièrement son importance pour l'enjeu démocratique.

On nous oppose souvent l'argument de l'innovation. Mais justement, la neutralité du net favorise l'innovation ! Elle permettra d'innover au niveau des objets connectés, de la 5G, des voitures connectées… Les règles actuelles autorisent ces développements.

La France se positionne clairement, aujourd'hui, en faveur de la neutralité. Elle n'est pas seule : l'idée majoritaire est bien celle de la neutralité. Et en France, par bonheur, le sujet fait consensus : personne ne défend la fin de la neutralité.

Sachez que, dans ce domaine, le Gouvernement est votre partenaire. Nous savons, de notre côté, pouvoir compter sur vous. Ensemble, nous pourrons dire au monde que nous voulons que le net reste neutre, car c'est mieux pour la société.

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour la clarté de votre réponse. La France doit à présent faire entendre sa voix jusqu'aux États-Unis, pour leur faire comprendre que nous ne sommes pas d'accord avec les mesures qu'ils ont prises.

Je resterai vigilant, mais je me réjouis de voir, au moins dans votre réponse, la volonté du Gouvernement à refuser la marchandisation de cet espace si particulier et indispensable qu'est le net.

Données clés

Auteur : M. Alexis Corbière

Type de question : Question orale

Rubrique : Internet

Ministère interrogé : Numérique

Ministère répondant : Numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 janvier 2018

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