Fusion des universités
Question de :
M. Jean-Paul Lecoq
Seine-Maritime (8e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Jean-Paul Lecoq attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, sur le projet de fusion des universités normandes, danger pour l'université du Havre.
Réponse en séance, et publiée le 29 mai 2019
FUSION DES UNIVERSITÉS NORMANDES
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour exposer sa question, n° 731, relative à la fusion des universités normandes.
M. Jean-Paul Lecoq. Madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la possible fusion des universités normandes constitue un enjeu majeur pour la qualité des formations en Normandie. Ce projet, lancé par le président de la région et la précédente préfète, soulève inquiétude et incompréhension parmi nombre d'étudiants, d'enseignants, d'employés de ces universités et de personnes concernées, notamment au Havre. Alors que la COMUE – communauté d'universités et établissements – Normandie Université existe depuis 2014 et permet déjà un travail intense entre tous les acteurs de l'éducation supérieure en Normandie, la fusion des universités de Caen, Rouen et Le Havre n'en finit pas de faire parler d'elle.
La COMUE permet une mise en réseau saluée par tous ; c'est un véritable organe de coopération, et c'est sur cette base concrète que la communauté universitaire avance depuis plusieurs années. Actuellement, chacune des trois universités est assise sur un large bassin de vie et d'emplois dont la densité de population est souvent équivalente à un ou plusieurs départements de taille moyenne. Les formations comme les secteurs de recherche sont connectés aux acteurs économiques et institutionnels locaux. Nous ne sommes pas sur une échelle identique à celle d'autres projets de fusion universitaire, qui s'inscrivent au sein d'une même métropole ou d'un même département.
Outre la perte d'autonomie, la fin des synergies avec les acteurs locaux, la centralisation des services supports et la perte de débouchés locaux pour nombre d'étudiants, cette fusion entraînerait la spécialisation des centres universitaires. Surtout, aucun des éléments avancés ne permet, à ce jour, d'établir clairement en quoi cette fusion pourrait améliorer les conditions et la qualité de l'enseignement offertes aux élèves, à leurs familles ou aux personnels des services de l'éducation en Normandie. Qui plus est, elle ne semble pas s'accompagner de dotations supplémentaires en faveur du système éducatif.
Le principal argument avancé consiste à soutenir que, plus une université est importante, plus elle est visible, et plus grande sera son attractivité internationale. Or la quantité ne fait pas la qualité, surtout dans un contexte où les Français aspirent à davantage de proximité. Il ne fait aucun doute qu'en regroupant des formations au sein d'une gigantesque machine, on fera primer la quantité sur la qualité de la formation. Or sans la qualité, adieu la visibilité à l'international ! Nous avons donc tout à perdre dans ce projet.
Le but inavoué de cette fusion semble être, comme toujours, la recherche d'économies budgétaires. Elle n'est pensée en aucun cas pour le bien-être des étudiants, des chercheurs, du personnel et des enseignants. Pis, cela risque d'éloigner les centres de décision les uns des autres, de conduire à une gestion, au sein des facultés, discipline par discipline, et, partant, de faire reculer la transversalité des savoirs que les universités tentent de favoriser depuis plusieurs années. La transversalité se développe souvent en lien avec le tissu économique : n'est-ce pas ce que nous souhaitons, les uns et les autres ? Les syndicats du personnel et des étudiants se sont d'ailleurs élevés contre ce projet de fusion, qui fait quasiment l'unanimité contre lui.
Madame la ministre, où en est ce projet ? Pourriez-vous nous indiquer quelle est la position actuelle de l'État quant à la fusion des universités de Rouen, Caen et du Havre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Comme vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le député, la COMUE « Normandie Université », qui a vu le jour en 2014, a permis d'intensifier la coopération entre établissements à l'échelle régionale, notamment pour qu'ils développent des orientations académiques communes. Grâce à cet effort, la COMUE a pu répondre à de nombreux appels à projets et a rencontré quelques succès notables, notamment dans le domaine des nouveaux cursus universitaires ou s'agissant de « Normandie Valorisation », qui a pour objet la valorisation de la recherche académique.
En janvier 2018, les échecs des candidatures normandes aux appels à projet « IDEX-ISITE » – initiatives d’excellence et initiatives dans le domaine de la science, de l'innovation, des territoires et de l'économie – et à ceux concernant les écoles universitaires de recherche ont toutefois soulevé des inquiétudes. Le recteur, la préfète et le président de la région ont cosigné un courrier adressé aux membres de la communauté d'établissements pour leur faire part de leur crainte d'un « lent et silencieux déclassement de l'enseignement supérieur et de la recherche en Normandie ». Ils ont en particulier déploré un défaut d'ambitions et ont invité les établissements à envisager des scénarios de rapprochement, voire de fusion. J'ai mandaté Bernard Dizambourg pour accompagner ces établissements dans la construction de leur projet. Cela étant, je veux réaffirmer mon attachement – que vous connaissez – à l'autonomie des universités. Le projet devra donc se construire et émerger à partir des établissements ; je n'exercerai aucune pression particulière.
Pour capitaliser et consolider les acquis, la possibilité de faire évoluer la COMUE – notamment son mode de gouvernance – a été évoquée. C'est désormais possible grâce à l'ordonnance du 12 décembre 2018, qui permet la création d'un établissement public expérimental. Pour favoriser l'adhésion de tous, il faudra par ailleurs que les missions et les projets communs, bien plus que les structures, soient mis en avant.
Les universités de Caen et de Rouen ont choisi d'inscrire leur progression dans le cadre d'une fusion. L'université du Havre pourra continuer à travailler avec ces deux universités fusionnées ou choisir de les rejoindre – cela fera partie, je n'en doute pas, des discussions qui auront lieu préalablement à l'élection des conseils au sein des trois universités, au printemps 2020. Chaque établissement devra se positionner. Ce qui est certain, c'est qu'il faut encourager la coopération entre eux et œuvrer à ce qu'ils bénéficient d'une meilleure visibilité. Bien entendu, rien ne sera imposé aux établissements.
Auteur : M. Jean-Paul Lecoq
Type de question : Question orale
Rubrique : Enseignement supérieur
Ministère interrogé : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Ministère répondant : Enseignement supérieur, recherche et innovation
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 mai 2019