Question orale n° 77 :
Limite maximale de résidus de chlordécone aux Antilles

15e Législature

Question de : Mme Justine Benin
Guadeloupe (2e circonscription) - Mouvement Démocrate et apparentés

Mme Justine Benin alerte M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur le chlordécone, puissant pesticide considéré comme un polluant organique persistant, autrement dit non biodégradable, qui a été autorisé et utilisé pendant plus de 20 ans aux Antilles, principalement dans les bananeraies. Ce véritable fléau environnemental est aujourd'hui un problème de santé publique majeur : on le retrouve non seulement dans les sols, mais aussi dans les cours d'eau et les nappes phréatiques, la viande, le poisson, les fruits et légumes ; les cancers de la prostate, en Martinique et en Guadeloupe, ont significativement augmenté depuis le début des années 2000 plaçant ces territoires au triste premier rang mondial ; en outre, les pertes de 10 à 20 points de QI attestées par l'étude Timoun inquiètent très fortement pour l'avenir des générations futures d'Antillais. Malgré cette glaçante réalité, l'Union européenne annonçait, en 2013, sa décision d'augmenter de façon vertigineuse les limites maximales de résidus (LMR) de chlordécone dans les viandes consommées en Guadeloupe et en Martinique, sur proposition des autorités françaises. Ces limites maximales de résidus (LMR) sont les doses maximales selon lesquelles les autorités de santé estiment qu'il n'y a pas de risque si la consommation est normale. Elles sont ainsi passées de 20 microgrammes par kilo de poids frais à 100 microgrammes pour le bœuf, le porc ou le cabri et même à 200 microgrammes pour les volailles. Cette décision va à l'encontre des conclusions des dernières études scientifiques menées localement et du principe de précaution, qui prévaut pourtant pour les voisins européens. Du point de vue de la pollution globale par un puissant pesticide et du point de vue de la contamination généralisée de leur population, la Guadeloupe et la Martinique se trouvent ainsi - selon le professeur William Dab et le docteur Luc Multigner - dans une situation unique au monde, que rien ne saurait pourtant justifier. Les populations sont ainsi contraintes de planter et d'élever sur des sols très contaminés et de manger des récoltes elles-mêmes extrêmement contaminées. Ce combat vise donc à faire cesser l'exposition des populations antillaises au chlordécone afin que chacun puisse consommer des produits locaux sains. Comme M. le ministre l'aura compris, ce combat est celui de la sécurité alimentaire et de la santé des concitoyens. Mme la députée n'ose penser que le retentissement politique et médiatique aurait été très différent si cette situation inédite se déroulait sur le territoire hexagonal. Elle n'ose penser que cette décision est le fruit du travail assidu des lobbies et d'une quelconque volonté de sacrifier des impératifs sanitaires sur l'autel de la recherche de profits économiques. Elle lui demande donc aujourd'hui, devant la représentation nationale, de rassurer les compatriotes antillais en exposant les mesures que le Gouvernent entend prendre, dans les plus brefs délais, pour enjoindre les autorités européennes à réviser ces LMR chlordécone de sorte que les populations antillaises soient traitées sur un pied d'égalité avec leurs compatriotes français et leurs voisins européens.

Réponse en séance, et publiée le 24 janvier 2018

LIMITE MAXIMALE DE RÉSIDUS DE CHLORDÉCONE AUX ANTILLES
M. le président. La parole est à Mme Justine Benin, pour exposer sa question, n°  77, relative à la limite maximale de résidus de chlordécone aux Antilles.

Mme Justine Benin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le chlordécone, puissant pesticide considéré comme un polluant organique persistant, a été autorisé et utilisé pendant plus de vingt ans aux Antilles.

Ce véritable fléau environnemental pose aujourd'hui un problème de santé publique majeur. On le retrouve non seulement dans les sols, les nappes phréatiques et les cours d'eau, mais aussi dans les fruits et légumes, la viande et le poisson, avec des conséquences sanitaires graves : une augmentation du nombre de cancers de la prostate et une baisse de dix à vingt points du quotient intellectuel des nouveau-nés vivant dans les zones contaminées, comme cela a été révélé par l'étude Timoun.

Malgré cette glaçante réalité, l’Union européenne annonçait en 2013 sa décision d'augmenter de façon vertigineuse les limites maximales de résidus – LMR – de chlordécone dans les viandes consommées, et cela uniquement en Guadeloupe et en Martinique. Ces LMR sont les doses maximales sous lesquelles les autorités de santé estiment qu'il n'y a pas de risque si la consommation est normale. Elles sont passées de 20 microgrammes à 100 microgrammes par kilo pour le bœuf, le porc, le cabri et même à 200 microgrammes par kilo pour les volailles.

Cette décision va à l'encontre des conclusions des dernières études scientifiques et du principe de précaution. Elle place la Guadeloupe et la Martinique dans une situation unique au monde, que rien ne saurait justifier. Nos populations sont contraintes de planter et d'élever sur des sols contaminés et de manger des récoltes elles-mêmes contaminées.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, l'urgence est de faire cesser l'exposition au chlordécone des populations vivant aux Antilles, afin que chacun puisse cultiver et consommer des produits locaux sains. L'urgence est d'assurer la sécurité alimentaire et la santé de nos concitoyens. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite que vous nous rassuriez, en exposant les mesures que le Gouvernent entend prendre, dans les plus brefs délais, afin de faire appliquer le principe de précaution, en vertu de l'article 5 de la Charte de l'environnement.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la députée, les produits à base de chlordécone ont été utilisés pour lutter contre le charançon du bananier dans les Antilles de 1972 à 1993. Malgré l'interdiction de son utilisation depuis plus de vingt ans, on trouve encore du chlordécone dans les sols et dans les eaux, en raison de la grande stabilité de celle-ci. Vous l'avez rappelé, le chlordécone pollue encore environ 21 000 hectares de terres dans les Antilles. De par son ampleur et sa persistance, cette pollution constitue un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social majeur en Martinique et en Guadeloupe.

L'État a mis en place des plans nationaux d'actions depuis 2009. Les limites maximales de résidus sont fixées par la réglementation européenne, sur avis de l'Agence européenne des médicaments.

La Commission européenne a modifié l'un des deux règlements en 2013, afin d’en simplifier la lecture. Les limites maximales de résidus sur les produits animaux sont désormais exprimées en unité de poids frais, et non plus de matière grasse.

Cette modification, de surcroît d'application directe, a eu pour effet, c'est vrai, d'augmenter de fait la valeur de la limite maximale de résidus puisque, selon les denrées, cela revient à la multiplier par cinq ou dix.

Les ministères de l'économie, de l'agriculture et de la santé ont saisi, le 1er février 2017, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, pour évaluer si un abaissement de ces LMR était nécessaire afin de préserver la sécurité sanitaire des denrées pour la population des Antilles.

Aujourd'hui, l'ANSES n'intervient pas dans la fixation des LMR. Son avis, rendu le 6 décembre 2017 après une analyse scientifique prenant en compte l'ensemble des données toxicologiques et d'exposition par voie alimentaire, de présence des résidus de chlordécone dans les aliments et des habitudes de consommation alimentaire en Martinique et en Guadeloupe, conclut qu'il n'y a pas lieu de modifier la limite maximale de résidus. En effet, l'ANSES dresse le constat que la majeure partie de l'exposition de la population au chlordécone est liée à la consommation de produits issus de circuits informels, non officiels, comme l'autoconsommation. Ces circuits, non contrôlables, ne sont par définition pas contrôlés. Aussi, l'agence juge que « les individus s'approvisionnant majoritairement en circuits contrôlés, qui garantissent le respect des LMR, ne sont pas exposés à des dépassements de la valeur toxicologique de référence ».

L'agence conclut qu'une baisse de la LMR n'aurait pas d'effet significatif sur l'exposition des consommateurs ; selon elle, la principale mesure de protection doit être d'inciter nos concitoyens à consommer des produits issus de circuits officiels et d'agir sur les modes de consommation. Des actions de communication engageant les consommateurs à se fournir dans ces circuits officiels sont en cours et seront déployées rapidement. D'ores et déjà, nous avons confirmé notre engagement dans le plan Chlordécone III, et réalisons des contrôles réguliers ainsi que des études sanitaires pour vérifier la qualité des aliments mis sur le marché et leur innocuité. L'avis de l'ANSES est en cours d'examen par les ministères concernés afin qu'il y soit donné suite, pour répondre aux préoccupations totalement légitimes des Antillais.

Données clés

Auteur : Mme Justine Benin

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Agriculture et alimentation

Ministère répondant : Solidarités et santé

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 janvier 2018

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