Question orale n° 791 :
Écologie et société du numérique dans la réforme constitutionnelle

15e Législature

Question de : M. Sébastien Nadot
Haute-Garonne (10e circonscription) - Non inscrit

M. Sébastien Nadot interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la nouvelle version de la réforme de la Constitution qui sera présentée prochainement en Conseil des ministres. L'actuel dispositif institutionnel présente des lacunes qu'il convient de combler, celles qui relèvent de l'exercice du pouvoir dans une démocratie et du déséquilibre actuel entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, celles qui sont liées aux évolution du vivre ensemble dont les deux éléments majeurs sont distinctement la problématique environnementale et l'avènement de la société du numérique. Pour la première, la Charte de l'environnement intégrée à la Constitution en 2005 a constitué une étape que viendrait compléter l'inscription de l'écologie dès son article premier, sous la forme d'une responsabilité quant à la « préservation de l'environnement et de la diversité biologique » et à la lutte « contre les changements climatiques ». Il souhaite qu'elle en explique les conséquences juridiques. Pour la société du numérique, le silence de la Constitution de même que les principes généraux du droit est assourdissant. La Constitution est prévue pour faciliter le vivre ensemble et protéger les individus. Les données numériques des citoyennes et citoyens français ne devraient-ils pas faire l'objet de toutes les attentions dans notre Constitution ? Il lui demande comment elle compte donner cet équilibre nécessaire à l'exercice démocratique entre les trois pouvoirs tout en intégrant les deux problématiques essentielles de l'époque, à savoir le respect de l'environnement et la prise en compte de la dimension numérique de chaque citoyenne et de chaque citoyen.

Réponse en séance, et publiée le 19 juin 2019

PRISE EN CONSIDÉRATION DES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX ET NUMÉRIQUES DANS LA RÉFORME CONSTITUTIONNELLE
M. le président. La parole est à M. Sébastien Nadot, pour exposer sa question, n°  791, relative à la prise en considération des enjeux environnementaux et numériques dans la réforme constitutionnelle.

M. Sébastien Nadot. En ces temps où il est question de réforme constitutionnelle et de référendum, je voudrais d'abord dire qu'à Toulouse, nous aimons la liberté. C'est vrai dans tout le Sud-Ouest, que ce soit sur mes terres du Lauragais, dans le Gers, dans le Tarn ou dans l'Aveyron. Je relaie auprès de vous une inquiétude très forte, celle d'enseignants gazés devant le rectorat ou la préfecture, celle d'agents des finances publiques entravés dans leur droit à manifester, celle de personnels médicaux qui subissent des violences aux urgences. La violence est devenue une habitude, de part et d'autre, lors des rassemblements toulousains de gilets jaunes ; elle se répète chaque samedi après-midi. L'installation de cette violence, qui devient la norme, suscite une inquiétude réelle et soulève une question sur les rapports humains dans le contexte de la réforme constitutionnelle.

Ma question s'adresse à Mme la garde de sceaux. Je voudrais l'interroger sur deux autres aspects qui me paraissent fondamentaux dans les débats sur la Constitution. Si nous faisons une réforme constitutionnelle, c'est bien pour nous adapter aux évolutions de la société et aux nouveaux enjeux, au premier rang desquels le défi environnemental et le défi du numérique, apparus l'un et l'autre récemment.

La Charte de l'environnement a constitué, en 2005, une étape importante, mais elle n'intègre pas l'urgence écologique. Rien n'est prévu pour prévenir et sanctionner la destruction irréversible d'un écosystème. Voilà un premier domaine où des interrogations aiguës se posent.

Le second est le numérique, dont la Constitution ne dit absolument rien. Aucun principe général relatif au numérique n'y figure, alors que le rôle de la Constitution est de faciliter le vivre ensemble et de protéger les individus.

Est-il prévu d'intégrer, dans la prochaine réforme constitutionnelle, les enjeux, nouveaux et fondamentaux, de l'écologie et du numérique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur Nadot, il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs de la liberté, qui plus est géographiquement identifiés, et, de l'autre, ses ennemis. Nous sommes tous ici, le Gouvernement en particulier, attachés à la République et aux droits fondamentaux.

Votre question renvoie à la conception que l'on peut avoir de la loi fondamentale et de sa fonction. Au fond, une constitution sert à organiser les pouvoirs publics et leurs relations. Cela permet aussi de garantir des droits fondamentaux. C'est enfin, pour un peuple, un moyen d'affirmer des valeurs ou de s'assigner des objectifs communément partagés. Les deux sujets que vous abordez sont évidemment essentiels dans le monde qui est le nôtre.

Concernant le climat, le Gouvernement entend reprendre dans le projet de loi constitutionnelle, qui sera examiné prochainement en conseil des ministres, les éléments que l'Assemblée nationale avait adoptés pour les inscrire à l'article 1er de la Constitution : « [La République] agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. »

Par cette proclamation solennelle, la Constitution consacrerait ces éléments comme principes fondateurs de notre République. On peut considérer que leur inscription dans la loi fondamentale leur donnera un poids particulier lorsque les juridictions, en particulier le Conseil constitutionnel, devront mettre en balance plusieurs principes constitutionnels. Ce serait aussi un signal fort, adressé au-delà de nos frontières, sur l'engagement de notre pays pour l'avenir de la planète.

S'agissant de la protection des données, des débats avaient eu lieu en 2018 sur l'adoption d'une charte du numérique. Un groupe de travail de l’Assemblée nationale et du Sénat a mené à ce sujet des réflexions très utiles mais qui n'ont pas permis de dégager de consensus sur les principes à inscrire dans la Constitution. La complexité de la matière et ses évolutions rapides rendent, par nature, l'exercice difficile.

Néanmoins, nous ne sommes pas juridiquement démunis sur ces sujets. La garde des sceaux a eu l'honneur de présenter devant vous le texte qui est devenu la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles. Le droit européen, avec le règlement général sur la protection des données, offre un niveau de protection élevé à nos concitoyens, et c'est heureux. En outre, nous avons totalement refondu la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés pour l'adapter au cadre juridique européen.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Nadot.

M. Sébastien Nadot. Une précision concernant la géographie : chez nous, c'est bien connu, « même les mémés aiment la castagne ». Si nous condamnons particulièrement la violence à Toulouse, c'est parce qu'un problème très important se pose en la matière ; Jean-Luc Lagleize l'a d'ailleurs évoqué juste avant moi.

Si la question environnementale est intégrée prochainement dans la Constitution, j'en serai ravi. Toutefois, quel sera le niveau de contrainte ? À quoi s'exposeraient des gens, des organisations ou des entreprises endommageant l'environnement de manière irréversible ?

Je déplore que l'on laisse de côté le numérique au motif qu'il soulève des questions complexes et que la matière évolue rapidement. La personnalité numérique ou virtuelle de chacun est devenue un enjeu très important. Je vous invite à lancer une réflexion, à laquelle je participerai bien volontiers, notamment sur la question de l'interopérabilité. Les grands groupes ont construit des sortes de cages, ce qui rend impossible le passage d'un système à un autre en gardant ses partenaires sociaux. Actuellement, si l'on change de boulangerie, on perd ses amis.

Données clés

Auteur : M. Sébastien Nadot

Type de question : Question orale

Rubrique : État

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 juin 2019

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