Convention fiscale franco-luxembourgeoise
Question de :
Mme Caroline Fiat
Meurthe-et-Moselle (6e circonscription) - La France insoumise
Mme Caroline Fiat interroge Mme la secrétaire d'État, auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes, sur la fiscalité franco-luxembourgeoise. Le 29 octobre 2019, le Conseil de l'Europe, par l'intermédiaire de la Chambre des pouvoirs locaux, a adopté une motion afin de répartir équitablement les recettes fiscales dans les zones frontalières. C'est la reconnaissance institutionnelle d'un combat de longue date pour qu'une rétrocession fiscale entre le Luxembourg et la France voit le jour. Cette situation existe déjà entre la Suisse et la France depuis 1983. Forts d'une population active française importante employée en Suisse, les cantons helvétiques reversent une partie de la fiscalité auprès des départements français frontaliers. Cette disposition est appréciée par les deux nations pour son rôle vertueux de prise en charge des travailleurs et d'amélioration des infrastructures nécessaires aux deux pays. En Lorraine, l'emploi transfrontalier est important. En septembre 2018, le Luxembourg a passé le cap des 190 000 frontaliers, dont plus de 100 000 Français, soit près de la moitié de la population active du Grand-duché. Une rétrocession fiscale du Luxembourg vers la France, au prorata des recettes issues des travailleurs français, est indispensable pour créer un cercle vertueux entre les deux territoires, que ce soit pour développer les transports qu'assurer la vie quotidienne des ménages. Prochainement, l'ensemble des ministres des affaires étrangères membres de ce Conseil de l'Europe, issu de la seconde guerre mondiale et du désir de paix et de diplomatie contemporaine, vont discuter cette motion. Il n'est pas possible de laisser plus longtemps un pays continuer à compter sur le bénéfice d'une population d'actifs formés et vivant sur le sol français sans compensation efficace et juste. Certains diront que le Luxembourg finance déjà, lorsque cela lui apparaît cohérent, certaines politiques et certains projets. C'est le cas du transport ferroviaire transfrontalier. Or ces sommes sont dérisoires à côté de ce que pourrait représenter une véritable politique de rétrocession fiscale. De plus, ce principe actuel se rapproche de l'aumône, laissant le Luxembourg décidé seul de quand et comment il participe aux projets. Incontestablement, le besoin d'une règle fixe et équitable pour les deux pays est criant. Elle lui demande donc si elle peut s'engager au nom du Gouvernement dans le soutien de cette motion et d'une rétrocession fiscale du Luxembourg vers la France comme les suisses le font déjà depuis plus de trois décennies.
Réponse en séance, et publiée le 11 décembre 2019
FISCALITÉ FRANCO-LUXEMBOURGEOISE
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Coquerel, pour exposer sa question, n° 823, relative à la fiscalité franco-luxembourgeoise.
M. Éric Coquerel. Je me fais le porte-parole de Caroline Fiat, qui n'a pu être présente ce matin ; elle devait adresser cette question à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Le 29 octobre, le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire de la Chambre des pouvoirs locaux, a adopté un rapport favorable à une meilleure répartition de la fiscalité frontalière. C’est la reconnaissance institutionnelle d’un combat de longue date pour l'instauration d'une compensation fiscale entre le Luxembourg et la France.
Un dispositif analogue existe depuis 1973 entre la Suisse et la France. Les cantons helvétiques, comme celui de Genève, où est employée une importante population active française reversent une partie de la fiscalité aux départements français frontaliers. Cette disposition est appréciée de part et d'autre pour ses effets vertueux en matière de prise en charge des travailleurs et d’amélioration des infrastructures nécessaires aux deux pays.
En septembre 2018, le Luxembourg a franchi le cap des 190 000 travailleurs frontaliers, dont plus de 100 000 Français, soit près de la moitié de la population active du grand-duché. Une rétrocession fiscale du Luxembourg à la France est indispensable pour créer entre les deux nations un cercle vertueux d’équité fiscale, ainsi que pour le codéveloppement des territoires.
Une motion en ce sens sera prochainement discutée par l'ensemble des ministres des affaires étrangères des États membres du Conseil de l'Europe, institution née du désir de paix et de diplomatie au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il n’est pas possible de laisser plus longtemps un pays bénéficier d’une population d’actifs formés en France et vivant sur le sol français, sans compensation efficace et juste, à la fois fiscale et sociale.
D'aucuns diront que le Luxembourg, lorsque cela lui semble cohérent, finance déjà certaines politiques, certains projets. C’est le cas du transport ferroviaire transfrontalier. Mais les sommes en jeu sont dérisoires au regard de ce que pourrait représenter une véritable politique de rétrocession fiscale. De plus, ces financements s'apparentent à des aumônes : le Luxembourg décide seul quand, pourquoi, et surtout pour quel montant il souhaite participer à tel projet. Nous avons incontestablement besoin d'une règle fixe et équitable pour nos deux pays.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous engager le Gouvernement dans le soutien à cette motion et à une rétrocession fiscale du Luxembourg vers la France, comme nos voisins suisses la pratiquent déjà depuis plus de trois décennies ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le député, permettez-moi de répondre à la question en lieu et place de ma collègue Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Le sujet que vous évoquez est bien connu. Il a notamment été abordé lors du séminaire intergouvernemental bilatéral tenu en mars 2018, qui a posé un jalon important dans nos relations avec le Luxembourg. Depuis lors, nous continuons à soulever cette question à chacun de nos échanges avec le grand-duché.
Sensibles aux interpellations en faveur d’un partage plus équitable des ressources, nous ne demandons rien d’autre que la réciprocité.
Vous avez raison de le rappeler : il y a urgence à agir, notamment en faveur des territoires français proches du Luxembourg. Là encore, nous devons prendre la mesure des interdépendances créées en Europe, que ressentent avec acuité les territoires qui bordent les 3 000 kilomètres de frontières que nous partageons avec nos voisins. Nous avons mis en place la liberté de circulation, le marché unique, la monnaie unique, sans disposer d’un cadre juridique commun. Cela crée des dissymétries, qui provoquent des divergences socio-économiques. Il nous faut combattre ces dernières ; nous y sommes résolus.
Avec un partenaire comme le Luxembourg, cela ne passe pas par la concurrence, car notre intérêt commun réside dans un développement équilibré, et dès lors mutuellement avantageux. C’est aussi cela, l’Europe du concret ; vous connaissez l'engagement à cet égard de Mme Amélie de Montchalin.
Dans cette perspective, les enjeux que vous évoquez nous donnent l’occasion de franchir une nouvelle étape de la construction européenne, d’aller plus loin, en veillant à tirer le meilleur parti de ces zones où se nouent des partenariats au plus près du terrain. C’est tout l'objectif des travaux que nous conduisons dans le cadre de la commission intergouvernementale créée avec le Luxembourg, qui a déjà abouti à des avancées.
Comme vous le savez, cette enceinte a ainsi permis récemment la signature d’un premier accord majeur en matière de transports, avec le financement à parité, à hauteur de 240 millions d’euros, des infrastructures de transport nécessaires, de notre côté de la frontière, au déplacement des Français qui se rendent chaque jour au Luxembourg.
Il s’agit d’une première étape importante. Dans ce cadre, le Luxembourg a en effet accepté le principe d’un cofinancement des projets visant à faire progresser notre relation. Pour notre part, nous nous sommes engagés à favoriser l’émergence de ces projets, et par conséquent à appuyer l’ensemble des partenariats transfrontaliers qui pourraient voir le jour.
Ces travaux font écho à la mission actuellement conduite par le préfet de la région Grand Est, chargé par le Président de la République, en lien avec les autorités luxembourgeoises, de définir les grands axes d’une stratégie de codéveloppement tournée vers l’avenir et destinée à mieux répartir l’activité, l’emploi et la croissance, parce que véritablement inclusive.
Cette ambition sera confortée par la création, le 1er janvier prochain, de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires. Elle sera notamment chargée de cette dimension transfrontalière de l'aménagement du territoire. Elle assurera en particulier la mise en œuvre d'un projet territorial spécial concernant le Pays-Haut lorrain, comprenant des mesures propres à en renforcer l'attractivité et la compétitivité.
Il nous faut enfin, tant à l'échelon national qu'à l'échelon local, et en concertation avec le Luxembourg, à la fois mieux exploiter le potentiel des instruments européens dédiés au renforcement de la cohésion territoriale, et mobiliser ces outils de manière plus efficace. Tel est le but des efforts de ma collègue Amélie de Montchalin. En un mot, notre ambition est de faire de ces territoires de véritables laboratoires de l’intégration européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel. Puisque vous vous exprimez au nom d'Amélie de Montchalin, comme moi au nom de Caroline Fiat, transmettez-lui le message : vous ne répondez pas à ma question. Vous parlez de codéveloppement, de compétitivité, quand je vous parle de justice fiscale.
Nous considérons le Luxembourg comme un paradis fiscal, à qui cette qualification n'est épargnée que parce qu'il appartient à l'Union européenne. Il profite de nombreux travailleurs français transfrontaliers sans que la France ne bénéficie en retour de la fiscalité qu'elle devrait en retirer. En effet, une partie des infrastructures françaises, de la formation française, sert à ces frontaliers qui rentrent en France une fois achevé leur travail au Luxembourg. Je regrette donc que vous ne preniez pas très clairement position en faveur d'une rétrocession fiscale du Luxembourg, à l'exemple de la Suisse.
Auteur : Mme Caroline Fiat
Type de question : Question orale
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Affaires européennes
Ministère répondant : Affaires européennes
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 décembre 2019