Parcours judiciaire des victimes de violences conjugales - Frais de justice
Question de :
Mme Cécile Untermaier
Saône-et-Loire (4e circonscription) - Socialistes et apparentés
Mme Cécile Untermaier attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le parcours judiciaire des victimes de violences conjugales et plus particulièrement sur la question de la prise en charge des frais de justice lorsque l'auteur du crime est insolvable. Chaque année, plus de 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales et le nombre de féminicides ne cesse de s'allonger. M. est l'une de ces victimes, elle a été assassinée en 2014 de 18 coups de couteau portés par son conjoint dont elle souhaitait se séparer. L'homme a reconnu les faits et a été condamné à 24 ans de réclusion criminelle mais il a toutefois fait appel du verdict prononcé et sera rejugé prochainement. Dans ces drames, il n'y a pas qu'une victime. Au-delà du deuil à affronter, la famille se trouve bien souvent démunie face à la procédure judiciaire et aux des frais de justice importants qu'elle implique. En effet, dans le cas où le mis en cause est insolvable, celui-ci bénéficie de l'aide juridictionnelle, ce qui n'est pas nécessairement le cas de la famille de la victime, qui doit donc prendre à sa charge la totalité des frais de justice. Ces frais sont encore plus élevés en cas d'appel. Et dans la présente affaire, ce recours n'émane pas de la famille de la victime. Près de trois mois après le lancement du Grenelle des violences conjugales, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures destinées à protéger les victimes et leurs enfants. Toutefois, la question de la prise en charge des frais de justice dans le cas d'un féminicide, en particulier lorsque l'auteur des faits est insolvable, n'est pas traitée. Aussi, elle souhaiterait connaître les mesures que le Gouvernement entend mettre en œuvre afin d'atténuer la charge financière que représente l'action en justice. Elle lui demande si, par exemple, cela passe par une aide juridictionnelle revalorisée admise pour toutes les familles de victimes au départ du parcours judiciaire.
Réponse en séance, et publiée le 11 décembre 2019
PARCOURS JUDICIAIRE DES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour exposer sa question, n° 851, relative au parcours judiciaire des victimes de violences conjugales.
Mme Cécile Untermaier. Je voudrais évoquer en particulier la prise en charge des frais de justice lorsque l'auteur est insolvable. J'ai rencontré, dans ma circonscription, la famille d'une victime décédée sous les coups de son conjoint. J'ai ainsi pu prendre la mesure du parcours judiciaire qui, pour la famille de la victime, s'apparente à une sorte de double peine. Malgré les conventions d'honoraires, elle doit consacrer des sommes importantes à la procédure, surtout l'auteur fait appel, bénéficiant pour cela de l'aide juridictionnelle.
Certes, dans le cas des crimes, l'aide juridictionnelle est ouverte à toutes les familles, quelles que soient leurs ressources ; mais, vous le savez comme moi, son niveau est faible, et il ne permet pas de recourir à l'avocat de son choix. En outre, cette information n'est pas connue des victimes ; je l'ai moi-même découverte à cette occasion. Il y a plus généralement un manque de lisibilité ; malgré tous leurs efforts, les associations ne sont pas en mesure d'accompagner convenablement les victimes.
Madame la garde des sceaux, ne faudrait-il pas augmenter le plafond de l'aide juridictionnelle, afin d'assurer un réel accès à la justice ? Par ailleurs, la déduction de son montant des honoraires de l'avocat est-elle possible ? C'est un renseignement que je n'ai pas trouvé.
Il faut surtout développer l'information par les associations : ces familles obligées de se rendre dans différents lieux en France pour défendre leur juste cause ne doivent pas subir en outre des frais de déplacement, d'hébergement… Eu égard à la gravité des faits, elles ne doivent pas avoir à rechercher l'information ; le tribunal ou les associations d'aide aux victimes doivent prendre l'initiative de la leur délivrer.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous connaissez l'engagement du Gouvernement, et le mien, en faveur de l'aide aux victimes de violences conjugales ; je partage avec vous le souci que l'aide juridictionnelle accélère, ou à tout le moins facilite, le recours à la justice.
L'article 9-2 de la loi de 1991 relative à l'aide juridique prévoit que les victimes des crimes les plus graves, ainsi que leurs ayants droit, ont droit à l'aide juridictionnelle sans condition de ressources. Dans le cas d'un meurtre, que vous évoquez, cet article trouve évidemment à s'appliquer : les difficultés que vous soulevez me semblent devoir être résolues de cette façon ; si tel n'était pas le cas, il faudrait regarder très précisément ce qui se passe.
Vous évoquez un déficit d'accompagnement, et un manque d'information au sujet de ces dispositions. Je peux l'entendre, et je rappellerai aux associations l'existence de ce dispositif.
Par ailleurs, la proposition de loi qui vient d'être déposée à la suite du Grenelle contre les violences conjugales prévoit de nouvelles mesures en matière d'aide juridictionnelle, qui s'appliqueraient dès 2020. Nous entendons ainsi favoriser le recours à l'aide juridictionnelle provisoire lorsque la victime demande à bénéficier d'une ordonnance de protection, afin que le traitement de cette demande soit accéléré ; nous allons également financer des permanences d'avocat destinées aux victimes de violences conjugales qui demandent une ordonnance de protection, afin qu'elles soient immédiatement accompagnées, conseillées et prises en charge.
Vous évoquez la revalorisation de l'aide juridictionnelle, ainsi que la possibilité de la déduire des honoraires des avocats. Ces questions venant de m'être présentées, je ne peux que vous promettre d'y réfléchir.
Croyez que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les victimes, lorsqu'elles ne sont pas décédées, et leurs familles, soient accompagnées dans ce processus très long et très douloureux de reconstruction d'une cellule familiale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier. Merci de votre réponse. Je sais pouvoir compter sur votre engagement. Je souhaitais insister sur la question particulière des familles des victimes de féminicides : elles ne doivent pas être obligées de requérir, de chercher les renseignements. L'information doit venir à elles. Les personnes concernées ne sont fort heureusement pas si nombreuses : nous nous devons de les accompagner de la manière la plus sérieuse.
Nous devons de surcroît, je crois, travailler sur la déduction de l'aide juridictionnelle et sur sa revalorisation dans des cas aussi tragiques que celui-ci.
Auteur : Mme Cécile Untermaier
Type de question : Question orale
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 décembre 2019