Question orale n° 853 :
Régime juridique appliqué par les départements aux rentes versées victimes Shoah

15e Législature

Question de : M. Meyer Habib
Français établis hors de France (8e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants

M. Meyer Habib appelle l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur le régime juridique appliqué par les départements aux rentes versées par l'État allemand aux victimes françaises du nazisme placées dans un établissement au titre de l'aide aux personnes âgées ou de l'aide aux personnes handicapées. À ce jour, ces indemnités sont rattachées à l'assiette des ressources devant être reversées au département au titre du remboursement des frais d'hébergement et d'entretien dans les établissements susvisés dans la limite de 90 % en vertu de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles. La rédaction volontairement générale de l'article pose problème en droit. Sur le plan de l'éthique publique, le rattachement des indemnités versées aux survivants de la Shoah heurte la conscience d'autant que l'enjeu pour les finances publiques est faible. Pour rappel, les bénéficiaires de ces rentes sont d'anciens déportés, ou enfants dont les parents ont été assassinés par la barbarie nazie, en situation de précarité et de santé fragile. Dans ce contexte, il lui demande d'exclure expressément ces rentes indemnitaires de l'assiette des ressources devant être reversées dans la limite de 90 % par les victimes françaises du nazisme en contrepartie de la prise en charge dans un établissement d'aide aux personnes âgées ou handicapées au sens de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles.

Réponse en séance, et publiée le 11 décembre 2019

RENTES VERSÉES AUX VICTIMES DE LA SHOAH
Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib, pour exposer sa question, n°  853, relative aux rentes versées aux victimes de la Shoah.

M. Meyer Habib. Madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, je regrette beaucoup que Mme Agnès Buzyn ne soit pas là ce matin. Je lui ai écrit, le 15 avril dernier, pour appeler son attention sur le régime juridique retenu par les départements s'agissant des rentes que l'État allemand verse aux victimes françaises du nazisme placées en EHPAD ou en établissement pour personnes handicapées. Huit mois plus tard, et malgré les relances effectuées par mes assistants parlementaires auprès de son cabinet, je n'ai toujours reçu aucune réponse. Je suis donc contraint de revenir aujourd'hui sur ce sujet qui, moralement, me tient très à cœur.

La fondation CASIP-COJASOR, qui est notamment chargée de répondre aux besoins sociaux des derniers survivants de la Shoah, m'a alerté sur ce que je peux appeler « un scandale ». Aujourd'hui, le département de Paris considère les indemnités versées par l'État allemand aux victimes françaises du nazisme comme des ressources classiques, au sens de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles. Les bénéficiaires sont donc susceptibles d'être ponctionnés à hauteur de 90 % au titre du remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien.

Le problème est d'abord juridique, la rédaction de cet article étant, volontairement, bien trop générale. À titre de comparaison, ces rentes sont explicitement exclues du champ de l'assiette de l'impôt sur le revenu. De même, le règlement municipal des prestations d'aide sociale facultative de la ville de Paris exclut spécifiquement les réparations et indemnités versées par un État étranger du champ des ressources du bénéficiaire.

Surtout, d'un point de vue moral, le fait de ponctionner 90 % des indemnités perçues par des victimes du nazisme heurte ma conscience, notre conscience. Nous parlons d'anciens déportés ou d'enfants dont les parents ont été assassinés par la barbarie nazie, d'hommes et de femmes souvent en situation de précarité, de santé fragile et isolés.

Quelles que soient les modalités de versement, le caractère indemnitaire de la rente ne fait aucun doute et l'exclut par principe de l'assiette des ressources. D'un point de vue financier, je doute que, soixante-quinze ans après la fin de la Shoah, une telle exclusion ait des conséquences significatives sur les ressources des départements. Sa portée symbolique serait en revanche majeure, alors que notre pays fait face à une explosion d'actes antisémites.

Dans ce contexte, par rigueur juridique et par respect pour les rescapés de la Shoah, je demande au Gouvernement d'exclure expressément ces rentes indemnitaires de l'assiette des ressources visées à l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le député, je suis parfaitement à même de répondre à votre question, et je vous prie d'excuser la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, qui est retenue par une autre réunion.

Le versement de rentes par l'État allemand aux victimes françaises du nazisme est un sujet sensible qui suscite l'attention toute particulière du Gouvernement, a fortiori s'agissant de personnes âgées fragiles. Il s'inscrit cependant dans le contexte plus large de la contribution des personnes âgées au financement de leur dépendance et de la réduction de leur reste à charge.

L'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les ressources de toute nature des personnes résidant dans un établissement accueillant des personnes âgées ou handicapées « sont affectées au remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien dans la limite de 90 % ». Il existe toutefois d'importantes disparités territoriales en la matière : l'assiette relevant de l'action sociale de chaque département n'est pas totalement unifiée.

Dans une logique d'équité et d'égalité territoriale, le rapport issu de la concertation « grand âge et autonomie » rendu par M. Dominique Libault préconise des mesures visant à clarifier le régime des aides sociales – de l'aide sociale à l'hébergement en particulier –, afin de lutter contre les disparités et, surtout, de limiter le reste à charge payé mensuellement par les personnes en perte d'autonomie. Ces mesures sont en cours d'expertise et de paramétrage par les services du ministère des solidarités et de la santé. Elles seront examinées dans le cadre du futur projet de loi sur l'autonomie.

Je propose que le point que vous soulevez ce matin, et au sujet duquel vous avez interpellé la ministre à plusieurs reprises, soit analysé au cours des travaux de préparation de ce projet de loi, et que nous en reparlions lors des débats parlementaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Meyer Habib.

M. Meyer Habib. Nous parlons de personnes âgées, et le temps presse. Nous pouvons cependant attendre encore quelques mois.

Je tiens néanmoins à souligner que lorsqu'ils écrivent à des ministres, les parlementaires attendent une réponse. Le Président de la République prend d'ailleurs souvent le temps de répondre, de même que les autres ministres. À plus forte raison sur ce sujet précis, j'aurais attendu une réponse de la fille d'Élie Buzyn, rescapé d'Auschwitz. Je vous ai toutefois entendue, madame la secrétaire d'État. Nous attendrons quelques mois, et je ne doute pas que les arbitrages seront favorables.

Données clés

Auteur : M. Meyer Habib

Type de question : Question orale

Rubrique : Personnes âgées

Ministère interrogé : Solidarités et santé

Ministère répondant : Solidarités et santé

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 décembre 2019

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