Portée du principe de précaution en santé publique et effet cocktail
Question de :
Mme Frédérique Tuffnell
Charente-Maritime (2e circonscription) - La République en Marche
Mme Frédérique Tuffnell attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la portée du principe de précaution en matière de santé publique et sur l'importance de renforcer la capacité à établir le lien de causalité entre la survenance de pathologies lourdes dans une population et l'exposition à plusieurs facteurs de risques. La commune de Saint-Rogatien en Charente-Maritime (2 187 habitants), et celle de Périgny (8 200 habitants), ont en effet la particularité d'avoir vu se développer, depuis 2014, cinq cas de leucémies chez des enfants, ayant conduit au décès d'une jeune fille de 15 ans en décembre 2019. Lors du diagnostic, tous habitaient à moins de 1 500 mètres de deux usines, l'une d'enrobés et l'autre de compostage de la communauté d'agglomération de La Rochelle, à proximité d'exploitations agricoles, d'une ligne à haute tension et d'une infrastructure routière. Cette problématique de santé environnementale est extrêmement préoccupante d'autant que la communauté scientifique souligne la difficulté de mesurer l'effet cocktail des polluants (pesticides, rejets atmosphériques industriels et automobiles) sur l'organisme. Dans ce cas précis, les dernières études réalisées par ATMO, l'Inserm et le CHU de Poitiers, peinent à établir un lien de causalité entre l'exposition aux diverses pollutions, générées par les activités précitées, et les cancers du sang qui touchent les familles de ces communes. Elles concluent ainsi « à un excès de risque » tout en soulignant que le peu de personnes analysées affaiblit la puissance statistique des travaux. Pour autant il est admis que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. En l'espèce, elle lui demande si l'État entend faire appliquer le principe de précaution et de lui indiquer les efforts réalisés pour affiner la compréhension de l'effet cocktail des polluants sur la santé des citoyens français afin de les en prémunir.
Réponse en séance, et publiée le 5 février 2020
PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET SANTÉ PUBLIQUE
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Tuffnell, pour exposer sa question, n° 928, relative au principe de précaution et à la santé publique.
Mme Frédérique Tuffnell. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite appeler votre attention sur le principe de précaution en matière de santé publique et sur l'importance de mieux mesurer l'effet de l'exposition à des polluants multiples sur l'organisme.
La commune de Saint-Rogatien, en Charente-maritime, qui compte 2 187 habitants, et les communes alentour ont vu apparaître cinq cas de leucémie chez des enfants depuis 2014, dont un ayant conduit au décès d'une jeune fille de 15 ans en décembre dernier. Lors du diagnostic, tous habitaient à moins de 1 500 mètres de deux usines – l'une d'enrobés, l'autre de compostage, pour la communauté d'agglomération de La Rochelle –, à proximité d'exploitations agricoles, d'une ligne à haute tension et d'une infrastructure routière.
La situation de ces communes – comme d'autres en France – est préoccupante. La communauté scientifique s'accorde à souligner la difficulté de mesurer l'effet cocktail sur la santé de polluants tels que les pesticides ou les rejets atmosphériques industriels et automobiles.
Dans ce cas précis, les dernières études réalisées par Atmo France, l'institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – et le centre hospitalier universitaire – CHU – de Poitiers, peinent à établir un lien de causalité entre l'exposition aux diverses pollutions, et les cancers du sang affectant les familles de ces communes. Leur conclusion, celle d'un « excès de risque chez les 0-24 ans », est difficile à étayer à cause du petit nombre de personnes concernées.
Il est cependant admis que les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de risques pour la santé des personnes soient pleinement démontrées.
Alors que le Conseil constitutionnel vient pour la première fois de faire primer la protection de l'environnement – nouvel objectif de valeur constitutionnelle – et la protection de la santé sur la liberté d'entreprendre, j'aimerais connaître la stratégie du Gouvernement : comment mieux appréhender l'effet cocktail des polluants sur la santé de nos concitoyens ? Le Gouvernement compte-t-il appliquer plus largement le principe de précaution ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Chaque année, 2 500 enfants et adolescents sont touchés par un cancer. Ces maladies suscitent un sentiment d'injustice, voire de révolte, quand il s'agit d'enfants. Les causes des cancers pédiatriques sont très mal connues et probablement multiples. La loi de finances pour 2019 a permis une augmentation de 5 millions d'euros par an des crédits destinés à la recherche fondamentale sur les cancers pédiatriques et la loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche du 8 mars 2019 a consacré le rôle moteur de l'Institut national du cancer, chargé de proposer et de mettre en œuvre une stratégie décennale de lutte contre les cancers, pédiatriques notamment, et de développer la recherche.
Depuis 2014, cinq cas de cancers chez des enfants ont été déclarés dans votre circonscription. Santé publique France a mené une étude et a conclu, en avril 2019, à l'absence de lien plausible entre le nombre important de cancers pédiatriques et l'exposition aux rejets de la centrale d'enrobés routiers. À ce stade, aucun élément particulier ne permet de corréler l'émergence de ces pathologies avec l'environnement local.
Cependant, par précaution, et sous réserve d'une nouvelle expertise, qui pourrait conclure à un cumul d'effets nocifs – un « effet cocktail » –, une surveillance épidémiologique ainsi qu'une surveillance des émissions chimiques dans l'environnement sont maintenues. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement – DREAL – a été sollicitée par les services de l'agence régionale de santé – ARS – de la région Nouvelle-Aquitaine.
L'ARS contribue également à l'élaboration de protocoles d'investigations complémentaires, notamment à celle d'un projet de surveillance de la qualité de l'air durant six mois avec l'Atmo Nouvelle-Aquitaine, l'observatoire régional de l'air, afin de mieux connaître les expositions. La surveillance est étendue à d'autres nuisances potentielles, telles les ondes électromagnétiques liées à la présence de lignes à haute tension dans la commune.
Des échanges réguliers et productifs ont lieu avec l'association Avenir santé environnement, qui regroupe les familles et habitants désireux d'en savoir davantage. Celle-ci a, par ailleurs, été reçue par le directeur général de l'ARS Nouvelle-Aquitaine. Comme vous le voyez, madame la députée, nous restons vigilants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Tuffnell.
Mme Frédérique Tuffnell. Merci, monsieur le secrétaire d'État pour ces indications sur ce cas précis. Je souhaiterais aussi entendre votre position à un niveau plus général, national. Un observatoire, accessible par internet, qui recenserait toutes les données et croiserait celles de l'Assurance maladie et des hôpitaux serait d'une grande utilité. En effet, nous avons intérêt à faire primer la prévention sur le curatif.
Auteur : Mme Frédérique Tuffnell
Type de question : Question orale
Rubrique : Produits dangereux
Ministère interrogé : Solidarités et santé
Ministère répondant : Solidarités et santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2020