Assemblée régionale Europe de l’APF Pristina (Kosovo), 12 et 13 novembre 2024

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ARE Kosovo 2025 - Photo de groupe | Crédits : Assemblée nationale

Mme Sophie Mette, députée, M. André Reichardt, sénateur et vice-président délégué de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, Mme Michelle Gréaume, sénatrice, ont participé à la 36e session de l’Assemblée régionale Europe (ARE) de l’APF, à Pristina, au Kosovo, les 12 et 13 novembre 2024. Cette session avait pour thème : « La guerre hybride, un danger pour la sécurité et la démocratie ».

Mme Anne Lambelin, déléguée régionale Europe de l’APF, M. Glauk Konjufca, président du Parlement de la République du Kosovo, et M. Albin Kurti, premier ministre, ont prononcé une allocution lors de la cérémonie d’ouverture des travaux.

Un premier panel d’intervenants a été consacré à la thématique « Manipulation de l’information, cyberattaque, ingérences étrangères et instrumentalisation de l’histoire. Quelles actions mises en place et à envisager ? Comment se défendre sans se déformer ? ».

M. Didier Danet, maître de conférences HDR en sciences de gestion, Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, a expliqué que les modalités de la guerre ont changé : elle n’est plus une parenthèse entre deux périodes de paix. C’est un mélange de techniques de guerre conventionnelle avec des stratégies non militaires, telles que les cyberattaques, la désinformation, la guerre économique et la manipulation publique. L’affrontement se déplace du matériel vers l’immatériel, du militaire vers le civil, l’économique, le social et la technologie.

M. Quang-Minh Lepescheu, chargé d’affaires avec les gouvernements chez Microsoft, a expliqué que l’entreprise enregistre 600 millions d’attaques par jour chez ses clients, présentant principalement trois formes : cyberattaques destructrices, cyber-espionnage, cyber-influence. Il en tire trois enseignements principaux : force de l‘intelligence artificielle et de la transformation numérique ; interopérabilité du cloud et des données, qui offrent une sécurité supérieure, comme l’a montré l’exemple ukrainien ; concept nouveau de cyber-dissuasion à développer. Il relève trois tendances : augmentation des attaques ; plus grande part de l’influence indirecte ; nouvelles formes d’influence comme à l’égard de la diaspora ukrainienne.

M. Pascal Petry, président du Centre de coordination renseignement et sécurité (CCRS) belge, a présenté les initiatives prises en Belgique dans le cadre de la protection des élections européennes, fédérales et régionales de 2024, une réponse plurielle à une menace hybride.

M. David Bongard, premier conseiller à la Représentation de l’Organisation de la Francophonie pour l’Europe centrale et orientale, a insisté sur la lutte contre les désordres de l’information. L’OIF estime qu’il faut répondre aux difficultés de terrain, en adaptant les réponses globales aux contextes locaux. C’est pourquoi, elle soutient les acteurs locaux par des échanges et des séminaires. Elle a également mis en place la plateforme Odil, qui recense les politiques publiques de lutte contre les désinformations, dont ont profité la Moldavie et l’Arménie. En outre, l’OIF travaille à la régulation des plateformes numériques, sur la base des travaux de l’ONU et de l’UNESCO.

Enfin, M. Artan Fuga, professeur de communication à l’université de Tirana, s’est interrogé sur la question de savoir si la Nation peut encore écrire son histoire en cours à l’ère des plateformes médiatiques numériques. Il a souligné le fait que l’histoire de la Nation est réécrite en permanence sur les réseaux sociaux. Le récit historique est devenu trop fragmenté. Il est devenu frénétique, car l’audience ne supporte plus de longs récits linéaires. On a l’impression qu’on vit dans un présent passé. En conclusion, il a invité les États à se demander que faire pour ne pas être submergés par une technologie de la fatalité. Lors du débat qui a suivi, plusieurs délégations sont intervenues : la Belgique, la Catalogne et la Suisse.

Mme Sophie Mette, députée, a présenté l’agence française Viginum. Créée le 13 juillet 2021. Viginum est le service technique et opérationnel de l’État français chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. Il est directement rattaché au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Ce service est chargé de détecter sur les plateformes numériques tout phénomène de propagations suspectes de contenus mensongers ou hostiles qui seraient orchestrées par des acteurs étrangers dans le but de nuire aux intérêts de la France. Il surveille, par exemple, les comptes suspects, les contenus malveillants ou encore les comportements anormaux ou coordonnés. Mme Sophie Mette a insisté sur l’originalité de Viginum : un service distinct des services de renseignement, dépourvu de de moyens d’investigation et qui vise les ingérences dans le débat public. À cet effet, l’agence rend des rapports publics qui sont publiés sur le site du gouvernement français et qui sont donc accessibles à tous les citoyens. Elle a ensuite cité les exemples de la stratégie pro-russe Portal Kombat, dont le but est de diffuser de fausses informations sur le conflit en Ukraine, et des manœuvres informationnelles hostiles relevées avant et durant les Jeux olympiques.

ARE Kosovo 2025 - Sophie Mette

M. André Reichardt, sénateur, a présenté les travaux récents du Parlement français et, en premier lieu, la loi du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Cette loi met en place plusieurs mesures en matière de transparence (création d’un registre numérique des activités d’influence étrangère) et de renseignement (utilisation à titre expérimental de la technique de l’algorithme pour détecter des connexions susceptibles de révéler des ingérences étrangères ou des menaces pour la défense nationale) et elle renforce la réponse pénale contre les auteurs d’actions relevant de l’ingérence étrangère (nouvelle circonstance aggravante lorsqu'une atteinte aux biens ou aux personnes est commise pour le compte d’une puissance ou d'une entité étrangère ou sous contrôle étranger).

M. André Reichardt a ensuite présenté les conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur les influences étrangères, dont il était le vice-président. La commission d’enquête a fait le constat principal du déplacement du champ de bataille sur le terrain de la guerre informationnelle et sur celui des plateformes numériques et des réseaux sociaux. Il y a aujourd’hui une bataille des perceptions et des narratifs, qui s’appuie sur des armes nouvelles : les algorithmes et l’intelligence artificielle. Le rapport établit une cartographie et une typologie des menaces auxquelles la France est confrontée en raison du durcissement de l'environnement géopolitique. Il montre ensuite les limites du dispositif français en la matière : très structuré sur ce qui relève des services régaliens, mais beaucoup moins dès qu’on s’en éloigne ; absence de stratégie globale entre acteurs publics et acteurs de la société civile. La commission d’enquête a formulé 47 propositions visant une véritable politique publique de lutte contre les influences étrangères, dont l’esprit est de sortir d’une certaine naïveté et inefficacité en ce domaine, agir plutôt que réagir et mobiliser au-delà des seuls acteurs de la défense et du renseignement. Elle se développerait en trois étapes : une stratégie nationale, globale et interministérielle pour toute la Nation afin d'engager une dynamique de résilience de l’ensemble de la population et de gagner la bataille des narratifs.

Le second panel a porté sur les « impacts de la guerre hybride et de la guerre menée par la Russie en Ukraine sur la politique, dont la politique de défense, sur le droit et sur les valeurs démocratiques ».

M. Tanguy de Wilde, professeur de sciences politiques et relations internationales à l’Université catholique de Louvain, a présenté une analyse de l’impact du conflit russo‑ukrainien sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne. Il a notamment relevé une évolution importante avec la création d’un poste de commissaire européen à la défense et à l’espace.

M. Nezir Kraki, chargé d'enseignement en sciences politiques, Institut d'Études Politiques de Fontainebleau - Université Paris Est Créteil, a posé la question des valeurs démocratiques comme armes : l’indispensable cohésion européenne face à la menace russe.

Le troisième panel posait la question des perspectives pour une Europe en sortie de guerre. Il a notamment permis d’entendre des témoignages d’acteurs ukrainiens.

M. Yermolenko Volodymyr, philosophe, journaliste et écrivain ukrainien, Professeur associé à l'Académie Mohyla de Kiev et Président du Pen Club ukrainien (ONG pour créer la liberté d'expression), a expliqué qu’il partage son temps entre son doctorat en France et la ligne de front en Ukraine. Pour lui, ce qui se passe en Ukraine est un massacre car les bombes frappent les civils. Il estime que pour les Russes, la violence est un outil comme un autre de la politique. Un empire a un centre, mais il n’a pas de frontières. Or, plusieurs puissances (Chine, Russie…) voient le XXIe siècle comme celui qui marquera le retour des empires.

Les propos de Mme Lyudmila Makey, journaliste ukrainienne en poste au Kosovo, ont porté sur les enjeux de l’information en temps de guerre : comment informer et rester informé en temps de guerre, être journaliste ukrainien au Kosovo ?

Puis, M. Tanguy de Wilde a fait une présentation académique des différents scénarios de sortie de guerre.

Enfin, M. Zenon Kowal, délégué général honoraire des gouvernements francophones de Belgique en poste successivement à Prague, Hanoï, Tunis, Varsovie et Paris, Conseiller spécial auprès de l’ambassade d’Ukraine à Bruxelles, a présenté les premières conclusions de dix années d’agression russe en Ukraine. Retraçant les évolutions de l’activité russe, de l’invasion de la Crimée et la création de Russia today et Sputnik en 2014, aux dernières attaques, il a souligné l’impact de la doctrine Ierassimov et l’inversement de l’importance relative entre l’action militaire et l’action non militaire. Il s’est interrogé sur la question de savoir ce que voulait exactement la Russie : lancée dans une guerre de valeurs contre l’Occident, veut-elle conquérir d’autres territoires que l’Ukraine ? Il a conclu son propos en citant Madeleine Riffaut, pour qui « aucune cause n’est jamais perdue sauf si on l’abandonne ». Au cours des échanges qui ont suivi, des délégués de Jersey, du Jura et de la Suisse sont intervenus.

Dans son intervention, Mme Michelle Gréaume, sénatrice, a pointé l’impact des conflits sur les déplacements de population. Elle a rappelé que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés comptabilise plus de 6 millions de réfugiés ukrainiens en Europe. Ils sont principalement réfugiés en Pologne et en Allemagne, mais aussi en Espagne. Proportionnellement à leur population, c’est la République tchèque, la Lituanie et la Pologne qui accueillent le plus de réfugiés. Ces réfugiés bénéficient non pas du mécanisme d’asile, mais de celui dit de la protection temporaire, plus précaire. Elle a également dénoncé l’exploitation de cette situation par les populistes qui s’appuient la plupart du temps sur de fausses informations véhiculées sur les réseaux sociaux, qui participent pleinement de la guerre hybride menée par la Russie dans le but de saper la solidarité européenne avec l’Ukraine. Mme Michelle Gréaume a souligné que cette solidarité est pourtant à mettre à l’honneur des démocraties européennes et que c’est un prix bien bas à payer pour éviter une guerre avec un dirigeant russe, Vladimir Poutine, qui veut renverser l’Occident.

Poursuivant son ordre du jour, l’Assemblée générale a adopté son règlement intérieur modifié, la section française s’abstenant, n’ayant pu se réunir auparavant en raison de la situation politique en France. Enfin, les dates des réunions de 2025 ont été arrêtées : la Conférence des présidents de la Région Europe se tiendra à Jersey du 18 au 20 mai 2025 ; l’Assemblée régionale se réunira en Andorre du 20 au 22 octobre 2025.