Droit de vote
Question de :
M. Griotteray Alain
- Union pour la démocratie française
M Alain Griotteray soucieux du fait que le parlement ne sera pas consulte sur cette question, demande a M le Premier ministre s'il juge concevable que soit soumis au peuple francais, consulte par voie de referendum, un texte qui comporterait des dispositions contraires a la Constitution. Selon les informations dont on dispose actuellement, il apparait que le projet de loi referendaire sur la Nouvelle-Caledonie sera fonde sur l'accord du 26 juin 1988. Or, ce texte comporte des dispositions inconstitutionnelles. Les territoires d'outre-mer font partie integrante de la Republique francaise ; ils en sont une des categories de collectivites territoriales. En effet, la Constitution dispose dans son article 72 : « Les collectivites territoriales de la Republique sont les communes, les departements, les territoires d'outre-mer ». En consequence, les habitants des territoires d'outre-mer jouissent de la nationalite francaise et de tous les droits qui lui sont attaches. Il s'agit, entre autres, du droit de vote expressement affirme dans l'article 3 de la Constitution : « Sont electeurs, dans les conditions determinees par la loi, tous les nationaux francais majeurs, des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » Les habitants de Nouvelle-Caledonie, citoyens francais, jouissent donc, au meme titre que tous les autres, du droit de vote. L'egalite du suffrage est affirmee a l'article 3 de la Constitution, dans son alinea 3, aux termes duquel : « Le suffrage peut etre direct ou indirect Il est toujours universel, egal et secret ». Le Conseil constitutionnel a considere que, du rapprochement de l'article 3 de la Constitution et de l'article 6 de la Declaration des droits de l'homme, il resultait que « la qualite de citoyen ouvre le droit de vote et l'eligibilite dans des conditions identiques a tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'age, d'incapacite ou de nationalite ou pour une raison tendant a preserver la liberte de l'electeur ou l'independance de l'elu », et que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposaient « a toute division par categorie des electeurs ». Il ajoutait « qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique ». Les termes de l'accord du 26 juin ont pour effet direct de creer deux categories d'electeurs : ceux d'avant 1988 et ceux d'apres, amputes d'une partie de leur capacite civique. Il apparait ainsi que cet accord, qui s'applique bien a des elections politiques, meconnait le principe constitutionnel d'egalite du suffrage ; celui-ci est encore plus atteint du fait, que, outre la division du corps electoral, l'une des categories ainsi creees est exclue des scrutins les « plus » politiques. L'accord du 26 juin porte egalement atteinte a la liberte de circuler et de s'etablir. Si la liberte d'aller et de venir est, pour le tribunal des conflits et pour le Conseil d'Etat, une liberte fondamentale qui tire son origine de l'article 2 de la Declaration des droits de l'homme de 1789, c'est pour le Conseil constitutionnel « un principe a valeur constitutionnelle » dont la portee a ete precisee a plusieurs reprises. En effet, un citoyen francais residant en France metropolitaine, dans un departement ou un territoire d'outre-mer, qui souhaiterait s'etablir en Nouvelle-Caledonie se verrait, comme cela a ete dit, ampute d'une partie de sa capacite civile. Il se trouve ainsi devant une alternative simple : ne pas changer de residence et rester un citoyen a part entiere ou s'etablir en Nouvelle-Caledonie et devenir un francais de deuxieme niveau. Ce n'est qu'implicitement que le Conseil constitutionnel aurait laisse, par une decision du 2 juin 1987, une marge d'appreciation au legislateur. Mais sa position, qui n'est pas expresse, concernait une duree de residence de trois ans. On ne peut imaginer que cette latitude soit sans limite et qu'une loi pourrait subordonner la participation a une consultation a des conditions arbitraires. Or, l'accord du 26 juin arrive en fait a imposer une duree de residence en Nouvelle-Caledonie de dix ans, assortie d'un point de depart unique. On admettra que cette condition excede la latitude que le conseil a, peut-etre, entendu laisser au legislateur en n'evoquant pas le probleme en 1987. Meme s'il semble enclin a une certaine mansuetude, le juge constitutionnel considerera la que l'on excede le degre d'inegalite devant la loi qu'il avait implicitement estime acceptable. Si ces dispositions sont adoptees, leurs consequences seront extremement graves : d'une part, leur mode d'adoption fait qu'il serait tres difficile de revenir dessus, d'autre part, la Nouvelle-Caledonie cesserait immediatement d'etre francaise. En effet, le mode d'adoption choisi rend particulierement delicate la saisine du Conseil constitutionnel. Dans ces conditions, il serait tout a fait indigne de proposer au President de la Republique de soumettre a referendum un texte aussi manifestement contraire a tous nos principes fondamentaux. On l'a rappele, un citoyen francais peut s'etablir librement ou il l'entend sur le territoire national et sa citoyennete le fait jouir d'un certain nombre de droits. Au lendemain de l'adoption d'une disposition introduisant une discrimination entre les electeurs, le territoire concerne, qui cesserait de se voir appliquer les lois de la Republique, cesserait d'etre une parcelle de France. Ainsi se dessine l'objet reel du referendum de l'automne 1988 qui est en fait de donner immediatement l'independance a la Nouvelle-Caledonie. Dans ces conditions, pourquoi le cacher au peuple francais ? Pourquoi ne pas poser la question de maniere simple et claire ? Pourquoi ne pas laisser cette Nouvelle-Caledonie independante s'organiser selon les principes democratiques de toute nation civilisee : « un homme, une voix » ?
Auteur : M. Griotteray Alain
Type de question : Question écrite
Rubrique : Elections et referendums
Ministère interrogé : Service du Premier Ministre
Ministère répondant : Service du Premier Ministre
Date :
Question publiée le 8 août 1988