Question orale n° 1084 :
politique de la ville

14e Législature

Question de : M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - Union des démocrates et indépendants

M. Jean-Christophe Lagarde attire l'attention de M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports sur la réforme de la géographie prioritaire et sur la répartition des crédits de la politique de la ville. En concentrant les crédits sur un nombre restreint de territoires et en transférant aux communautés d'agglomération les compétences pour le pilotage et la péréquation, cette réforme devait permettre d'accorder davantage de moyens à destination des populations les plus défavorisés. Paradoxalement, c'est l'inverse qui se produit dans un certain nombre de communes. C'est par exemple le cas en Seine-Saint-Denis, notamment à Drancy, où la réforme a conduit à une hausse du nombre d'habitants bénéficiant de la politique de la ville alors que le montant des subventions a diminué, réduisant ainsi le ratio des dotations par habitant de près de 50 %. Par ailleurs, certaines communes qui concentrent pourtant les quartiers prioritaires les plus nombreux et les plus denses ont un ratio largement inférieur à celui d'autres communes appartenant aux mêmes EPCI. C'est le cas à Bobigny où le montant des subventions par habitant dans les quartiers prioritaires est près de six fois inférieur à celui du Pré-Saint-Gervais, alors que le taux de la population municipale habitant dans ces quartiers prioritaires y est sept fois plus élevé. Aussi, il lui demande comment le Gouvernement entend justifier ces inégalités causées par la répartition inéquitable des crédits de la politique de la ville.

Réponse en séance, et publiée le 3 juin 2015

RÉPARTITION INÉQUITABLE DES CRÉDITS DE LA POLITIQUE DE LA VILLE
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour exposer sa question, n°  1084, relative à la répartition inéquitable des crédits de la politique de la ville.

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, je souhaite appeler votre attention sur la réforme de la géographie prioritaire et sur la répartition des crédits de la politique de la ville.

En cherchant à accorder davantage de moyens à destination des populations les plus défavorisées, l'objectif de cette réforme apparaissait parfaitement louable. Malheureusement, sa mise en œuvre entraîne de nombreuses inégalités, notamment dans les territoires qui sont les plus touchés par la pauvreté, ce qui est le cas du département dont je suis le député : la Seine-Saint-Denis.

Ce paradoxe s'explique notamment par la méthode employée pour définir la répartition des crédits. Tout d'abord, le seul critère du revenu se base sur des données recueillies il y a déjà quatre ans. Par ailleurs, le calcul n'inclut pas les prestations sociales, faisant ainsi l'impasse sur les 10 à 20 % des populations les plus défavorisées qui ne disposent pas d'autres ressources. Enfin, le critère unique du revenu médian par unité de consommation est effectivement apprécié par rapport à la moyenne nationale, mais aussi selon le niveau de vie de l'unité urbaine, ce qui entraîne des inégalités de traitement entre des quartiers pourtant touchés de la même façon par la pauvreté, en raison de leur appartenance à telle ou telle agglomération.

Quelques exemples : dans la ville de Drancy, dont je suis le maire, la réforme de 2014 a entraîné une hausse importante du nombre d'habitants bénéficiant de la politique de la ville – ou qui devraient en bénéficier –, alors que le montant des subventions accordées par le Gouvernement a fortement diminué. Le nombre de Drancéens concernés a augmenté de près de 50 %, passant de 8 500 à 12 700 personnes « éligibles », entre guillemets, à la politique de la ville. Cette augmentation de la population éligible serait la bienvenue si elle n'était pas accompagnée d'une baisse de 30 % de l'enveloppe accordée, laquelle est passée en 2015 de 350 000 euros à 245 000 euros – plus de 100 000 euros de baisse. Avec ce nouveau zonage inéquitable, le ratio à Drancy est brutalement tombé de 42 euros par habitant concerné à 19 euros par habitant.

Par ailleurs, en transférant aux communautés d'agglomération les compétences pour le pilotage et la péréquation des crédits, la réforme accentue certaines inégalités au sein même de ces territoires. Certaines communes qui concentrent les quartiers prioritaires les plus nombreux et les plus denses ont un ratio très largement inférieur à celui d'autres communes appartenant pourtant aux mêmes établissements publics de coopération intercommunale, dits EPCI.

C'est le cas d'Est Ensemble, pas très loin de ma commune, et que vous connaissez, où le ratio pour la ville de Bobigny, dans ma circonscription, n'atteint que 13 euros par habitant alors que 72 % de sa population vit dans les quartiers dits prioritaires. En parallèle, dans la même communauté, Le Pré-Saint-Gervais, dont seulement 13 % de la population vit dans ces quartiers prioritaires, bénéficie d'un ratio de 62 euros par habitant – 13 euros par habitant d'un côté, 62 euros de l'autre dans la même communauté d'agglomération !

Dernier exemple : la commune de Montreuil, dont la population bénéficiaire est pourtant proche de celle de la ville de Bobigny que je viens de citer, avec près de 35 000 habitants éligibles, reçoit une enveloppe d'environ 800 000 euros, soit un montant deux fois supérieur à celui accordé à la ville de Bobigny.

Enfin, les inégalités concernent également les départements puisque, de l'aveu même du Commissariat général à l'égalité des territoires, il apparaît que la moyenne nationale du ratio s'établirait à plus de 40 euros par habitant ; or la Seine-Saint-Denis, hélas connue pour ses difficultés sociales, qu'elle concentre en grand nombre, ne bénéficie quant à elle que de 19 euros par habitant en moyenne.

C'est pourquoi, madame la secrétaire d'État, je vous demande quelles sont les mesures que le Gouvernement entend prendre pour répondre à ces inégalités engendrées par la réforme de la géographie prioritaire. C'était une bonne idée ; elle est en train de mal tourner.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville. Monsieur le député Jean-Christophe Lagarde, redonner plus à ceux qui ont moins, tel était l'objectif de la réforme portée par le Gouvernement. Pour la période 2015-2017, les crédits d'intervention de la politique de la ville ont été sanctuarisés au plan national avec un rééquilibrage entre les différents départements. Depuis 2012, un million d'euros supplémentaire est versé chaque année au département de la Seine-Saint-Denis, précisément parce que les dotations par habitant n'étaient pas égales sur l'ensemble du territoire.

Pour 2015, nous venons de décider que la dotation sera complétée de 1,75 million d'euros au titre des mesures décidées par le comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté du 6 mars dernier sous l'égide du Premier ministre. Ces crédits seront délégués dans les prochains jours, tout particulièrement pour soutenir le mouvement associatif et renforcer la réussite éducative. Au total, les crédits d'action de l'État par habitant auront progressé, passant de 26 euros par habitant en 2012 à 37 euros en 2015, soit une hausse de 45 %.

Cette réforme bénéficie donc bien, monsieur le député, aux habitants de la Seine-Saint-Denis. Concernant votre circonscription, permettez-moi de vous donner des éléments précis : la dotation de la communauté d'agglomération de l'aéroport du Bourget a augmenté, passant de 720 000 euros en 2014 à 733 000 euros en 2015, alors même que la population a diminué de 3 %.

M. Jean-Christophe Lagarde. Pas la population éligible !

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. J'ajoute que dans le cadre de la péréquation – levier fondamental et outil de justice pour les communes –, la dotation de solidarité urbaine a augmenté de 63 % et le fonds de solidarité de la région Île-de-France de 16 % depuis 2012 pour votre commune de Drancy.

Vous évoquez également la communauté d'agglomération d'Est Ensemble – j'ai signé le contrat de ville la semaine dernière avec Patrick Kanner. La dotation pour cet EPCI s'élèvera en 2015 à 4,46 millions d'euros contre 3,735 millions d'euros en 2014, avant même la répartition des crédits issus du comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté – les 1,75 million d'euros que j'ai évoqués juste avant. Nous parlons donc bien d'une augmentation significative des crédits de la politique de la ville en faveur des habitants alors que ces crédits avaient baissé de 30 % entre 2009 et 2012.

Je tiens à rappeler ici qu'il relève de la responsabilité des EPCI de répartir équitablement les dotations de la politique de la ville entre les territoires concernés. Au-delà des crédits spécifiques, l'État est également mobilisé à travers le droit commun, avec par exemple le ciblage des zones de sécurité prioritaires ou des collèges en REP+ dans les quartiers prioritaires. De même, l'ANRU soutient l'investissement public local : ainsi, trois secteurs situés à Bobigny et Drancy bénéficieront du nouveau programme de renouvellement urbain.

Vous l'aurez compris, depuis trois ans, nous essayons de remettre de l'égalité entre les différentes dotations. Nous partons de loin, comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes de 2012 ; mais, aujourd'hui, comme vous pouvez le constater, nous augmentons significativement les dotations pour le département de la Seine-Saint-Denis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Et pourtant Drancy reçoit 70 000 euros de moins cette année !

Données clés

Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde

Type de question : Question orale

Rubrique : Aménagement du territoire

Ministère interrogé : Ville, jeunesse et sports

Ministère répondant : Ville, jeunesse et sports

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 mai 2015

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