14ème législature

Question N° 1481
de M. Marcel Rogemont (Socialiste, républicain et citoyen - Ille-et-Vilaine )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche
Ministère attributaire > Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

Rubrique > recherche

Tête d'analyse > physique nucléaire

Analyse > diffusion neutronique. réacteur Orphée. perspectives.

Question publiée au JO le : 17/05/2016
Réponse publiée au JO le : 25/05/2016 page : 3564

Texte de la question

M. Marcel Rogemont interroge Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur l'arrêt du réacteur Orphée. Il aimerait savoir si cet arrêt est justifié techniquement ou scientifiquement, si l'arrêt d'Orphée rendra l'investissement français dans l'ESS (European spallation source) inefficace, et quelles en seront ses conséquences industrielles. Il aimerait connaître l'avenir de ce réacteur et du centre de recherche et soumettre l'idée du développement d'un démonstrateur d'une source de neutrons compacte sans réacteur qui, pour un coût réduit, permettrait de valider ce concept très novateur tout en assurant de maintenir une expertise technique en neutronique en France. Il aimerait également savoir, si cette option était retenue, s'il serait envisageable de développer une filière industrielle d'accélérateurs et à terme de garder la France dans les toutes premières Nations maîtrisant l'utilisation des neutrons à des fins scientifiques et industrielles.

Texte de la réponse

ARRÊT DU RÉACTEUR ORPHÉE


Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour exposer sa question, n°  1481, relative à l'arrêt du réacteur Orphée.

M. Marcel Rogemont. Monsieur le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, le hasard – mais en est-ce vraiment un ? – fait que je vous interroge sur la recherche neutronique au moment où tant de prix Nobel s'interrogent sur l'avenir de la recherche en France.

Le réacteur Orphée constitue la source principale de diffusion neutronique française : il couvre, à lui seul, environ 60 % des besoins nationaux dans ce domaine.

Cette installation est essentiellement dédiée à la recherche fondamentale. Elle est utilisée par une communauté de 1 750 chercheurs pour leurs travaux de recherche – fondamentale ou appliquée – en physique, chimie et sciences des matériaux. Avec près de 600 expériences annuelles pour un total de 3 500 jours de temps expérimental, le laboratoire Léon Brillouin-Orphée est classé au quatrième rang mondial pour ses performances.

La fermeture anticipée interviendrait fin 2019, alors que la moitié des appareils du LLB a été rénovée au cours des cinq dernières années et que l'excellence des travaux scientifiques conduits grâce au réacteur Orphée est reconnue par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, l'AERES, et par le comité scientifique de l'Institut de physique du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS. Ce dernier recommandait d'ailleurs, en 2015, la prolongation du réacteur Orphée jusqu'en 2025, voire jusqu'en 2030.

Si l'installation fermait prématurément en 2019, les utilisateurs français ne disposeraient plus que de moins de 1 000 jours de mesure, contre 6 000 actuellement. Les disponibilités de l'Institut Laue-Langevin, l'ILL, installé à Grenoble sont, en effet, largement insuffisantes pour répondre aux enjeux.

Cette fermeture entraînerait, par un simple effet mécanique, une altération forte de la communauté française d'utilisateurs. En outre, l'arrêt anticipé d'Orphée rendra difficile l'investissement français dans la future source européenne de spallation – l'European Spallation Source – puisque, dans l'intervalle nous séparant de sa mise en service, les utilisateurs ne disposeraient plus de l'équipement national nécessaire à leur formation comme à la préparation de leurs expériences, condition sine qua non pour prétendre accéder à l'ESS, installée en Suède.

En outre, cette fermeture fera également courir un risque de perte de compétences entre 2019 et 2024, c'est-à-dire pendant la période séparant la fermeture de l'actuel réacteur et celle de la mise en service de l'ESS.

Surtout, il paraît difficile que la recherche neutronique française se contente du temps d'accès à la future ESS qui lui sera réservé, puisqu'il représentera tout au plus 8 % du temps total disponible de cet équipement – soit environ 250 jours d'expériences. Au vu des 6 000 jours d'expériences dont jouissent aujourd'hui nos chercheurs, une simple substitution ne paraît donc pas satisfaisante. D'ailleurs, l'Allemagne, qui participe à l'ESS, est en train de se doter d'une source neutronique nationale propre.

Dès lors, monsieur le secrétaire d'État, quel avenir préparez-vous pour la recherche neutronique française compte tenu de la fermeture programmée du réacteur Orphée ? Comment envisagez-vous la période séparant la fermeture d'Orphée et le démarrage de l'ESS ? Envisagez-vous vraiment d'apostasier cette expertise mondialement reconnue et que de nombreux États nous envient ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, vous m'avez déjà interrogé récemment, par écrit, sur la stratégie française en matière de diffusion neutronique. Ma réponse vous a permis de disposer de certains éléments, mais il est utile que nous poursuivions cet échange à propos de cette technologie extrêmement importante tout autant pour la recherche que pour l'industrie françaises.

La France s'honore, en effet, d'avoir été capable de mener un véritable travail de prospective scientifique en s'appuyant sur le Comité des très grandes infrastructures de recherche, organisme indépendant formé de scientifiques de haut niveau très expérimentés. À l'issue de ce travail approfondi, et en étroite concertation avec les organismes de recherche concernés, il a en effet été décidé – vous l'avez rappelé – dès 2013 d'arrêter l'exploitation du réacteur Orphée à la fin de cette décennie, c'est-à-dire en 2020 environ.

Cette décision a été difficile à prendre, mais elle a été mûrement réfléchie et concertée. Elle laisse le temps aux acteurs impliqués de se repositionner et de se tourner vers l'avenir puisque cette échéance n'interviendra que dans six ou sept ans.

L'avenir des installations de la neutronique française repose désormais sur l'ILL, société civile localisée à Grenoble, première source de neutrons au monde en termes de nombre annuel de publications scientifiques. Il repose également sur l'ESS, la source européenne à spallation de neutrons basée à Lund, en Suède, dont la France est actionnaire et qui ne sera, elle, opérationnelle que vers 2028.

Cet avenir se prépare donc dès aujourd'hui. La contribution française à l'ESS, qui s'élève à environ 150 millions d'euros, sera apportée en nature à hauteur de 90 %, notamment par la fourniture de la partie accélérateur ainsi que de différents instruments.

Il s'agit d'une situation très favorable pour nos industriels et nos laboratoires, dont le LLB. Savez-vous, par exemple, que l'expertise française est telle que la direction de l'ESS a récemment sollicité le Commissariat à l'énergie atomique – le CEA – ainsi que le CNRS afin qu'ils réalisent des éléments supplémentaires de la machine ?

Finalement, malgré les craintes qui demeurent et qu'il faut entendre, l'engagement français dans l'ESS pourrait constituer une chance pour la filière industrielle des accélérateurs, que vous avez évoquée, et offrir de nouvelles opportunités à nos laboratoires. Il s'agit à présent de savoir les saisir.

Le LLB remplit ainsi une mission essentielle de coordination de la construction d'instruments scientifiques, éléments stratégiques de la contribution française en nature à l'ESS.

Au-delà du respect de nos engagements internationaux, cette contribution française est la meilleure façon de s'approprier – en partie – la nouvelle machine de l'ESS et, ainsi, de maintenir la neutronique française au meilleur niveau mondial.

Par ailleurs, le LLB, en tant que centre de recherche d'excellence, poursuivra ses travaux après l'arrêt d'Orphée en accédant aux différentes sources européennes de neutrons. Nous savons, à cet égard, que des négociations – qui sont également en cours avec d'autres sources de neutrons – ont abouti avec l'ILL.

Quant à la deuxième partie de votre question, monsieur le député, soyons bien clairs : la stratégie de recherche en matière de sources de neutrons a été élaborée avec une vision à vingt ans.

Dans le contexte budgétaire que vous connaissez, et alors que d'autres projets nationaux d'infrastructures ambitieux se préparent, il ne peut être envisagé que soit construite, à brève ou moyenne échéance, une nouvelle source de neutrons à des fins de recherche, en lieu et place du site d'Orphée.

En revanche, nous savions, au moment où la décision d'arrêter le réacteur a été prise, que des industriels bénéficiaient de la source d'Orphée pour réaliser différents diagnostics critiques pour leurs activités : c'est notamment le cas dans le secteur de l'aéronautique.

Il est possible qu'une petite source de neutrons compacte, que vous avez également évoquée, réponde de façon adaptée à ces besoins industriels. En effet, une telle source pourrait être réalisée à partir de l'injecteur de protons à haute intensité construit dans le cadre d'une collaboration entre le CEA, le CNRS et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN. Cet équipement est en cours de test. Il faut donc suivre avec la plus grande attention les réflexions qui sont en cours.

Vous comprendrez aisément qu'il n'est pas du rôle de mon ministère de financer la construction d'installations à caractère industriel même si, bien entendu, le savoir-faire très pointu requis pour la construction de telles infrastructures pourrait être apporté par les ingénieurs de très haut niveau en poste dans nos laboratoires.

Mme la présidente. Monsieur Rogemont, le temps imparti a été dépassé de plus d'une minute et demie, ce qui ne me permet pas de vous redonner la parole. Je rappelle à chacun que nous disposons de six minutes au total pour la question et la réponse du Gouvernement.