14ème législature

Question N° 158
de M. Sergio Coronado (Écologiste - Français établis hors de France )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Affaires étrangères
Ministère attributaire > Affaires étrangères

Rubrique > politique extérieure

Tête d'analyse > Amérique du Sud

Analyse > relations bilatérales.

Question publiée au JO le : 19/02/2013 page : 1656
Réponse publiée au JO le : 01/03/2013 page : 2433

Texte de la question

M. Sergio Coronado attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur les relations de la France avec le continent latino-américain. M. le ministre a participé vendredi 18 janvier 2013 à Bercy à une table ronde sur la diplomatie économique, aux côtés de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Il y a alors défini la diplomatie économique comme le soutien aux entreprises françaises à l'international et le développement des investissements étrangers au bénéfice de l'emploi et de l'activité en France. Le concept de diplomatie économique bouleverse le cadre d'action des services diplomatiques et des cellules internationales de tous les ministères. Se contente-t-elle de désigner comme priorité pour la diplomatie française l'action économique au bénéfice de la France ? Quelle distinction concrète entre la solidarité internationale et la promotion des intérêts économiques français? Où se situe l'écologie dans cette nouvelle diplomatie ? Concernant le continent latino-américain, comment articule-t-il cette diplomatie économique avec l'action commerciale menée par l'Union européenne, notamment vis-à-vis des accords de libre-échange ? Comment envisage-t-il les relations de la France avec ce continent en profonde mutation et tout en divergences ? En effet, le Brésil devient le « champion des émergents », notamment suite au sommet de Rio + 20, tandis que le Paraguay fut victime d'un coup d'État. Les pays d'Amérique centrale, à l'instar du Mexique, se trouvent face à une multiplication des conflits et des tensions liée au narcotrafic, qui déstabilise leurs systèmes économiques, politiques et juridiques, comme on a pu le voir dans l'affaire Cassez. Alors même que le continent accueillera les évènements internationaux que sont la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux olympiques en 2016, que la France et l'Europe sont des partenaires importants pour une région qui tend à s'ouvrir au Pacifique, notamment dans le domaine de l'énergie et des matières premières, nous n'avons toujours pas entendu de discours fondateur de la relation transatlantique, avec chacun des pays, ou avec ses zones d'intégration régionale. Les entreprises françaises sont de plus en plus investies en Amérique latine, mais le continent mérite mieux qu'un intérêt purement économique. Il demande quelle est cette vision de la France que nous appelons de nos voeux.

Texte de la réponse

lign='center'>RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L'AMÉRIQUE DU SUD

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour exposer sa question, n° 158, relative aux relations entre la France et l'Amérique du Sud.
M. Sergio Coronado. Je suis vraiment ravi que ce soit la ministre chargée des Français de l'étranger, dont je suis l'un des représentants, qui réponde à ma question ce matin.
Point n'est besoin d'avoir lu Le Siècle des Lumières d'Alejo Carpentier pour savoir que l'Amérique latine fut un réceptacle extrêmement fertile des idées révolutionnaires, et qu'après la guerre, notamment après la révolution cubaine, elle fut à la fois un centre d'intérêt et une destination privilégiée pour nombre de nos intellectuels et de nos politiques. La France fut à son tour, aux périodes les plus noires des dictatures latino-américaines, une destination, une terre d'accueil pour de nombreux exilés.
Paradoxalement, le retour du continent latino-américain à la démocratie, à la stabilité économique et politique et même à la croissance, et l'installation au pouvoir des gauches latino-américaines se sont traduits par une forme d'indifférence de la France à l'égard de ce continent.
La France, nous dit-on, y est désormais de retour. C'est une bonne nouvelle. Nous sortons en effet d'une période où l'indifférence, les crispations, parfois même les maladresses, ont caractérisé notre relation au continent latino-américain.
Lundi dernier, au cours de sa visite latino-américaine que j'ai eu l'honneur d'accompagner, Laurent Fabius s'est adressé, à Bogotá, à un parterre d'étudiants de l'université Externado. Dans un discours important, il a tenté de synthétiser ce nouveau partenariat avec l'Amérique latine, fondé sur la question des enjeux globaux.
Madame la ministre, comment la France entend-elle aborder ces enjeux globaux, notamment celui de la drogue, l'un des plus importants qu'affronte aujourd'hui le continent latino-américain ? Rappelons que la zone située entre les États-Unis et le nord du Brésil est l'une des plus violentes au monde et que, tirant les leçons de l'échec de la lutte contre les drogues, les gouvernements concernés ont changé de politiques.
Comment la France articule-t-elle ce nouveau partenariat avec l'Union européenne et les politiques de l'Union à l'égard du continent latino-américain, notamment les accords de libre marché ?
Pourriez-vous me préciser la manière dont le partenariat économique est désormais envisagé ? Les pays latino-américains ne sont pas uniquement des marchés, et nos relations culturelles sont extrêmement denses, comme en témoignent le nombre des centres de l'Alliance française et des lycées français. Nous pouvons aider les grandes entreprises françaises dont la présence ancienne ne parvient pas à masquer le déficit du commerce courant.
Enfin, quelle est la nature des relations qu'un gouvernement de gauche peut établir avec les gauches actuellement au pouvoir en Amérique latine, qui ont fait du retour de l'État, dans l'économie notamment, l'une des principales caractéristiques de la période ?
Les Français qui habitent le continent ont besoin d'avoir des éclaircissements. Ils sont heureux du retour de la France en Amérique latine, mais les déclarations ne suffisent pas forcément à construire le nouveau récit nécessaire à la relation entre la France et l'Amérique latine.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des Français de l'étranger.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger. Vous avez raison de souligner, monsieur le député, que l'Amérique latine a profondément changé au cours des dernières années.
Débarrassée des rigueurs des politiques d'ajustement structurel, attentive aux aspirations des peuples à la justice et au progrès social, cette région presque entièrement acquise à la démocratie connaît depuis quelques années une croissance et un développement soutenus. L'Amérique latine s'affirme aussi de plus en plus sur la scène internationale, où sa voix porte en particulier sur les enjeux globaux, qu'il s'agisse du développement durable, du climat, de la gouvernance mondiale ou de la lutte contre le trafic de drogue.
C'est à tous ces titres que le Gouvernement a souhaité en faire " un objectif majeur de notre politique étrangère ", pour reprendre les propos du ministre des affaires étrangères publiés la semaine dernière, à la veille de sa première tournée dans trois pays de ce continent : le Pérou, Panamá et la Colombie.
C'est à l'occasion de ce déplacement, où vous étiez présent comme vous venez de le rappeler, que M. Fabius a prononcé le discours fondateur que vous appelez de vos voeux. Il l'a d'ailleurs fait devant les élèves et les professeurs d'une grande université de Bogotá que vous connaissez, je crois, fort bien, monsieur le député.
Pour résumer son propos, notre nouvelle approche de l'Amérique latine est à la fois continentale, en ce qu'elle n'exclut aucun pays de la région, et partenariale car nous traitons d'égal à égal avec des États souverains qui sont confrontés aux mêmes difficultés que nous dans ce monde globalisé.
Elle est donc bien, d'abord, politique. C'est pour l'expliquer et pour renouer les fils d'un dialogue quelque peu distendu ces dernières années que le Président de la République, le Premier ministre, le président du Sénat et pas moins de neuf membres du Gouvernement se sont rendus dans la région au cours des neuf derniers mois.
C'est en effet un intérêt soutenu et continu que nous souhaitons manifester à ce continent. Ce dialogue politique pourra être prolongé au sein des organisations régionales dont vous avez raison de souligner l'importance. La France siège déjà dans plusieurs d'entre elles : l'Organisation des États américains, la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes, l'Organisation des États de la Caraïbe et le Système d'intégration de l'Amérique centrale. Les collectivités françaises des Amériques sont désormais candidates à plusieurs de ces organisations, avec le soutien du Gouvernement.
Mais nous souhaitons également parler d'économie. Nos grandes entreprises sont présentes depuis des décennies en Amérique latine, où elles ont lourdement investi. Sait-on assez que les investissements français au Brésil sont plus importants que nos investissements en Russie, en Inde et en Chine réunies ? Sait-on que nous sommes le premier investisseur européen en Amérique latine ?
Notre commerce courant et nos parts de marché restent néanmoins trop faibles, même si notre balance commerciale avec cette région est positive et si nous y sommes bien placés dans nos secteurs d'excellence, à commencer par ceux en relation avec la croissance verte et solidaire, c'est-à-dire notamment les transports urbains et les énergies alternatives.
Il nous faut faciliter l'accès de ces marchés à nos PME, encourager les investissements croisés, promouvoir notre modèle de responsabilité sociale des entreprises, autant de missions qui reviennent bel et bien à notre nouvelle diplomatie économique.
Enfin, le Gouvernement veut encourager les échanges entre nos sociétés. Déjà très vivaces, ceux-ci passent notamment par les partenariats interuniversitaires et de recherche dont nous voulons maintenir le dynamisme. Il s'appuie aussi sur notre réseau de coopération fort de ses trente-sept lycées et de ses 275 centres de l'Alliance française où 160 000 Latino-Américains étudient notre langue. Ces atouts seront préservés.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Merci, madame la ministre. Vous avez raison de souligner que la nouvelle relation entre la France et le continent latino-américain est de nature politique. À cet égard, le fait que les principaux gouvernements au pouvoir en Amérique latine aient tourné le dos aux politiques d'ajustement structurel doit peut-être nous conduire à réfléchir à nos propres politiques.
Vous avez aussi raison de souligner la nature des enjeux globaux que nous devons affronter de manière conjointe. Nous devons conduire une nouvelle réflexion sur la lutte contre les trafics, puisque les gouvernements latino-américains ont acté l'échec de la politique de guerre totale contre les drogues.
Concernant le changement climatique, la France se doit en effet de donner une réponse aux questions émergentes en Amérique latine, comme celle de la ville durable. Mais elle doit aussi répondre aux initiatives lancées par certains gouvernements, comme celui de l'Équateur en ce qui concerne le parc naturel de Yasuni.
Au-delà des déclarations de principe, qui sont tout à fait utiles et qui permettent d'éclaircir la nouvelle relation de la France avec l'Amérique latine, il faut construire ce partenariat au jour le jour.