14ème législature

Question N° 1666
de Mme Valérie Fourneyron (Socialiste, écologiste et républicain - Seine-Maritime )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Économie et finances
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > collectivités territoriales

Tête d'analyse > domaine public

Analyse > ports maritimes. droit domanial. réforme.

Question publiée au JO le : 07/02/2017
Réponse publiée au JO le : 15/02/2017 page : 967

Texte de la question

Mme Valérie Fourneyron interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur la question de la domanialité portuaire. En vertu de l'article 34 de la loi Sapin II, une ordonnance portant réforme de la domanialité publique est en préparation. Celle-ci vise, fort légitimement, à simplifier le droit domanial. Cependant, le projet en cours inquiète fortement les acteurs portuaires et les élus dont le territoire accueille un port, ce qui est le cas de la députée. Le droit domanial en vigueur ne subordonne la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public à aucune obligation de publicité ou de mise en concurrence préalables. Le projet d'ordonnance pourrait remettre en cause la souplesse dont bénéficient aujourd'hui les gestionnaires du domaine public portuaire pour favoriser l'implantation et le développement d'activités économiques et industrielles dans ces emprises. Or la mise en œuvre obligatoire et systématique d'une procédure de mise en concurrence préalable, non exigée par la réglementation européenne et inadaptée au secteur portuaire, constituerait un frein majeur à l'attractivité et à la compétitivité des ports français. En effet, si cette réforme est légitime pour les acteurs qui utilisent quelques mois des entrepôts portuaires sans investissements majeurs, elle serait en revanche irréaliste et catastrophique pour la compétitivité d'acteurs qui ont réalisé des investissements pérennes conséquents depuis des années sur des infrastructures d'envergure, comme des terminaux et des silos céréaliers. L'ordonnance, si elle est publiée telle qu'envisagée, serait donc de nature à déstabiliser durablement le tissu économique et industriel de certains complexes portuaires. C'est notamment le cas à Rouen, premier port céréalier d'Europe de l'Ouest, où l'incertitude que fait peser ce projet d'ordonnance conduit déjà un certain nombre d'acteurs à renoncer à leurs investissements infrastructurels. Ce sujet d'inquiétude serait également en contradiction avec les recommandations des rapports parlementaires sur la compétitivité des ports maritimes français rendus au Gouvernement en juillet 2016. Elle souhaite donc savoir où en est l'ordonnance en préparation, si celle-ci comportera des exceptions au principe de mise en concurrence préalable, justifiées par les spécificités du domaine public portuaire, et si elle permettra de trouver les conditions d'obtention de droits réels.

Texte de la réponse

DOMAINE PUBLIC PORTUAIRE


M. le président. La parole est à Mme Valérie Fourneyron, pour exposer sa question, n°  1666, relative au domaine public portuaire.

Mme Valérie Fourneyron. Ma question devait être posée à M. le ministre de l'économie et des finances mais je l'adresse avec plaisir au secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics. Elle concerne les évolutions en cours en matière de domanialité portuaire publique.

Faciliter l'implantation des acteurs économiques sur les quais, dans le périmètre immédiat des ports, en simplifiant les procédures d'aménagement des terrains portuaires est essentiel pour répondre aux enjeux de compétitivité des ports français face à leurs concurrents d'Europe du Nord.

C'était d'ailleurs le sens des recommandations que nous avons, avec plusieurs parlementaires, présentées au Gouvernement en juillet 2016, à l'issue de la mission visant à identifier les freins et les leviers de l'attractivité des ports français que nous avait confiée le Premier ministre.

L'article 34 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est venu ouvrir une réflexion sur la domanialité publique qui vise à aller vers plus de simplification, via une habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance.

Si cette démarche est en soi la bienvenue, de nombreux acteurs portuaires et les élus dont le territoire accueille un port – je suis de ceux-là – s'inquiètent des dispositions actuelles du projet d'ordonnance qui prévoient une mise en concurrence préalable à la délivrance des titres d'occupation du domaine public, y compris portuaire. En remettant en cause la relative souplesse dont bénéficient aujourd'hui les gestionnaires du domaine public portuaire pour favoriser l'implantation et le développement d'activités économiques et industrielles dans ces zones, une ordonnance ainsi rédigée constituerait un frein majeur à l'attractivité et à la compétitivité des ports français, donc de la France elle-même. Les acteurs ayant réalisé des investissements conséquents, depuis des années, dans des infrastructures d'envergure comme des terminaux et des silos céréaliers s'en trouveraient profondément et négativement impactés. Le tissu économique et industriel de certains complexes portuaires en serait durablement déstabilisé.

C'est notamment le cas à Rouen, premier port céréalier d'Europe de l'Ouest, où l'incertitude que fait peser ce projet d'ordonnance pourrait conduire des acteurs à renoncer à des investissements infrastructurels dont la durée d'amortissement dépasserait la durée des autorisations d'occupation transitoire restant à courir. La situation est rendue encore plus complexe par le fait que certains de nos fleurons industriels sont à cheval sur du foncier public et du foncier privé.

Je souhaite donc savoir où en est l'élaboration de cette ordonnance et si celle-ci comportera des exceptions au principe de mise en concurrence préalable, justifiées par des spécificités telles que celles du domaine public portuaire.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics. Madame la députée, vous m'interrogez sur l'état d'avancement de l'ordonnance portant réforme de la domanialité publique. À cette question très technique, je m'efforcerai d'apporter des réponses précises.

Vous soulevez le risque de déstabilisation du secteur portuaire et indiquez que des investissements pourraient être différés, notamment à Rouen. Vous avez à ce propos rappelé les travaux que vous avez conduits avec d'autres parlementaires sur la question des ports.

Ce que je veux vous dire en premier lieu, c'est que cette ordonnance vise à simplifier le droit domanial. Le droit domanial en vigueur ne subordonne la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public à aucune obligation de publicité ou de mise en concurrence préalables.

En deuxième lieu, cette question des obligations de mise en concurrence et de publicité présente une actualité certaine, non pas seulement du fait de l'adoption de l'article de la loi dite « Sapin 2 », que vous avez évoqué, mais plus encore en raison de l'évolution du cadre jurisprudentiel issue du prononcé par la Cour de justice de l'Union européenne de l'arrêt dit « Promoimpresa », le 14 juillet 2016. Alors que la jurisprudence administrative française, encore confirmée en 2010 par la décision du Conseil d'État dite « Jean Bouin », ne dégageait aucune obligation générale de mise en concurrence et de publicité, la Cour de Luxembourg a jugé, sous l'empire tant de la directive « Services » que de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'une telle obligation pèse sur le gestionnaire du domaine public dans deux hypothèses principales.

La première est celle où un titre d'occupation s'analyse comme un régime d'autorisation visant à permettre le déroulement d'activités économiques qui exigent l'utilisation de ressources naturelles et où le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables.

La deuxième hypothèse est celle où la délivrance d'une autorisation d'occupation domaniale permet à son titulaire d'occuper « une zone domaniale en vue d'une exploitation économique » et que le droit d'occupation ainsi conféré présente un intérêt transfrontalier au sens du droit de l'Union européenne.

Tel est donc aujourd'hui, sans même attendre l'édiction de l'ordonnance, l'état du droit en vigueur, l'arrêt Promoimpresa devant être lu comme explicitant l'état des règles.

Le travail engagé par le Gouvernement sur le fondement de l'habilitation que le Parlement lui a accordée doit permettre de clarifier l'état du droit en ce domaine. II est conduit dans le cadre d'une large concertation, tant avec les opérateurs économiques qu'avec les collectivités. Des échanges nourris sont d'ores et déjà intervenus, notamment avec les opérateurs portuaires et les gestionnaires de ports. Ces échanges visent en particulier à ce que le projet d'ordonnance en cours de préparation permette d'expliciter, dans le respect du droit de l'Union européenne, les hypothèses dans lesquelles, soit du fait de la nature des activités dont le déploiement est subordonné à l'autorisation domaniale, soit pour des motifs inhérents à la sécurité publique, l'organisation d'une procédure de sélection ne se justifierait pas. Sont également examinées les hypothèses et conditions dans lesquelles la prolongation d'une autorisation existante – vous avez évoqué ce cas – peut se concevoir sans remise en concurrence.

Tels sont l'esprit et la lettre du travail mené par le Gouvernement. Vous me pardonnerez d'avoir été un peu long, monsieur le président, mais le sujet et très technique.