Question orale n° 219 :
amiante

14e Législature

Question de : M. Jean-Pierre Decool
Nord (14e circonscription) - Les Républicains

M. Jean-Pierre Decool attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la tenue de procès pénaux de l'amiante, que les victimes et leurs familles attendent depuis des années. L'amiante, interdite en France en 1997, est responsable de 10 % à 20 % des cancers du poumon et pourrait provoquer 100 000 décès d'ici à 2025, selon les autorités sanitaires. Alors que la justice italienne, lors d'un procès du drame de l'amiante, a condamné, en février 2012, à seize ans de prison deux anciens dirigeants de la société Eternit, jugés responsables de la mort de plusieurs milliers de personnes, en France, les premières plaintes pénales de travailleurs exposés à l'amiante, datant de 1996, n'ont toujours pas abouti. Les décisions contradictoires de Turin et Paris ont mis en lumière l'incapacité flagrante et choquante de la justice française à établir des responsabilités pénales dans les affaires d'amiante. Les victimes et leurs familles sont désemparées et doutent de la volonté publique de garantir la réalité du traitement en justice des dossiers emblématiques de l'amiante. Il est essentiel aujourd'hui de donner à l'instruction du pôle judiciaire de santé publique, les moyens nécessaires pour identifier les chaînes de responsabilités des affaires de santé publique. Le principe constitutionnel de l'inamovibilité des juges, garant essentiel de leur indépendance, se doit également d'être appliqué rigoureusement dans notre pays. Il convient ainsi de maintenir le juge d'instruction du pôle judiciaire de santé publique de Paris afin que le travail d'investigation des dossiers en cours puisse être mené à son terme. L'impunité pénale dans les affaires d'amiante ne doit pas être une fatalité. Il lui demande donc de tout mettre en oeuvre pour lever les obstacles à la tenue d'un procès pénal de l'amiante dans notre pays et donner de véritables moyens à la justice française pour mener à bien les enquêtes.

Réponse en séance, et publiée le 20 mars 2013

MISE EN JEU DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE
DANS LES CAS D'EXPOSITION À L'AMIANTE

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour exposer sa question, n° 219, relative à la mise en jeu de la responsabilité pénale dans les cas d'exposition à l'amiante.
M. Jean-Pierre Decool. Ma question porte sur la tenue d'un grand procès pénal de l'amiante, que les victimes et leurs familles attendent désespérément depuis des années.
Alors que, lors d'un grand procès de l'amiante en février 2012, la justice italienne a condamné à seize ans de prison deux anciens dirigeants de la Société Eternit jugés responsables de la mort de plusieurs milliers de personnes, les premières plaintes au pénal de travailleurs exposés à l'amiante en France, datant de 1996, n'ont toujours pas abouti.
Les décisions contradictoires de Turin et de Paris ont mis en lumière l'incapacité flagrante et choquante de la justice française à établir des responsabilités pénales dans les affaires liées à l'amiante. Les victimes et leurs familles sont désemparées et doutent de la volonté des pouvoirs publics de garantir un réel traitement judiciaire des dossiers emblématiques de l'amiante.
Madame la ministre, il convient de donner enfin à l'instruction du pôle judiciaire de santé publique de réels moyens pour identifier les chaînes de responsabilités.
En outre, il nous faut défendre vigoureusement le principe constitutionnel de l'inamovibilité des juges, qui est la garantie essentielle de leur indépendance. N'oublions pas : un magistrat qui part, c'est une bibliothèque qui brûle. Or, madame la garde des sceaux, vous avez décidé hier de décharger la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy de ses fonctions au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, où elle instruisait les affaires de l'amiante. Je vous demande donc de revenir sur cette décision lourde de conséquences, afin que la juge d'instruction en place, qui connaît parfaitement les dossiers, puisse mener à terme son travail d'investigation.
L'impunité pénale dans les affaires d'amiante ne doit pas être une fatalité dans notre pays. Ma question est donc simple : madame la garde des sceaux, vous engagez-vous à lever tous les obstacles pour la tenue, dans les meilleurs délais, d'un grand procès pénal de l'amiante, et à donner de véritables moyens à la justice française pour mener à bien les enquêtes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député Jean-Pierre Decool, je partage votre impatience concernant ce procès pénal de l'amiante que nous attendons. Comme vous, je partage aussi l'impatience des familles et des parties civiles, parce qu'elle exprime leurs souffrances et leurs angoisses. Nous savons que l'amiante va encore tuer.
J'ai reçu le mois dernier une délégation conduite par le président de l'association nationale de défense des victimes de l'amiante, à qui j'ai confirmé mon intention de faire en sorte que le pôle santé du tribunal de grande instance de Paris ait les moyens de conduire cette instruction et que nous voyions ce procès pénal se tenir dans les meilleurs délais possibles et raisonnables. Vous savez que nous ne donnons pas d'instructions individuelles, mais je veille à donner à la justice les moyens de fonctionner.
Dans les grands dossiers emblématiques de l'amiante, des personnes morales et physiques ont été mises en examen - quatorze dans le dossier Jussieu, dix-sept dans le dossier Condé-sur-Noireau et six dans le dossier Eternit. Des personnes mises en examen ont choisi de saisir la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris, qui se prononcera le 17 mai prochain. Une fois que la chambre d'instruction aura rendu ces décisions, le procès tant attendu par les parties civiles, par nous-mêmes et par l'opinion publique devrait pouvoir s'ouvrir.
Vous avez raison, monsieur le député : le travail de justice a été long, mais je veille aujourd'hui à ce qu'il avance. La chambre d'instruction a décidé le 10 mai 2012 qu'il n'y avait pas lieu de regrouper les dossiers. Cependant, j'ai tenu à anticiper : depuis septembre, j'ai renforcé le pôle santé du TGI de Paris, en y ajoutant deux magistrats instructeurs - ils sont désormais cinq, assistés de trois médecins - et une inspectrice du travail. Ces assistants spécialisés apportent aux magistrats leur expérience professionnelle.
Concernant Mme la juge d'instruction Bertella-Geffroy, je ne me suis pas contentée de l'avis du Secrétariat général du Gouvernement : à sa demande, j'ai saisi le Conseil supérieur de la magistrature qui a confirmé que les dispositions de l'article 28-3 de l'ordonnance statutaire s'appliquaient à son cas. J'ai donc effectivement transmis un projet de décret de mutation au Président de la République, qui en sera signataire. Cependant, j'ai pris des dispositions : dans le cadre d'un contrat d'objectifs, je consolide le pôle santé en pérennisant les nominations de magistrats instructeurs et en renforçant ceux-ci par des assistants. Ce contrat d'objectifs sans précédent permettra de s'assurer que le pôle santé aura les moyens de faire avancer l'instruction et, je l'espère, d'organiser très vite ce procès pénal.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la garde des sceaux, je vous remercie et je prends acte de votre volonté de tout mettre en oeuvre pour répondre aux attentes des victimes, des familles et des associations.
Vous connaissez les chiffres, mais je veux simplement rappeler que les autorités sanitaires prévoient 100 000 décès liés à l'amiante d'ici dix ans. Aujourd'hui, l'exposition à l'amiante est responsable de près de 20 % des cancers du poumon.
Madame la garde des sceaux, merci de l'attention que vous portez à ces personnes qui sont vraiment dans la douleur.

Données clés

Auteur : M. Jean-Pierre Decool

Type de question : Question orale

Rubrique : Produits dangereux

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 mars 2013

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