armée
Question de :
M. Gérard Charasse
Allier (3e circonscription) - Radical, républicain, démocrate et progressiste
M. Gérard Charasse attire l'attention de M. le Premier ministre sur le système de dédommagement des victimes ou des familles de victimes de l'exposition aux essais nucléaires ayant été menés de 1960 à 1996 au Sahara puis en Polynésie. Des personnels, civils et militaires ont été exposés sans véritable protection ; les quatorze premières années, les bombes ont explosé à l'air libre. Un grand nombre sont décédés des suites de maladies radio-induites contractées, laissant pour certains une veuve et des enfants à charge, une autre part d'entre eux souffre encore de pathologies, souvent cancéreuses. L'omerta a, pendant 30 ans, masqué cette tragédie aux yeux des Français, mais la loi 2012-2 du 5 janvier 2010, dite loi Morin, est venue mettre un terme à ce silence. Cette loi est cependant déficiente ; sur les 618 demandes examinées au 30 novembre 2012, 98,5 % des dossiers ont été rejetés par la CIVEN, et seulement 9 modestes indemnités ont été accordées. Ces rejets sont en majeure partie dus à l'application de l'article 4-II, introduisant la notion de risque négligeable. La probabilité de risque relatif supérieur ou non à 1 % déterminée par le logiciel NIOSH-IREP est utilisée comme base pour l'application de cet article par la CIVEN, mais cette disposition a été sanctionnée, le 22 juin 2012, par le TA de Papeete, qui a par la même occasion annulé les 6 décisions de rejet décidées par le ministre. Le CIVEN, disposant de 10 millions d'euros par an, en a distribué 900 000 sur les deux dernières années, soit moins de 5 % de la somme dont il a disposé. De plus, les victimes n'ont pu percevoir que 412 500 euros, le CIVEN ayant décidé de rendre prioritaire le remboursement d'organisme ayant déjà indemnisé les victimes. Il souhaiterait connaître la position du Gouvernement vis-à-vis de cette injustice, et les mesures qu'il a l'intention de mettre en place pour la réparer, en particulier la modification de l'article 4-II de la loi Morin.
Réponse publiée le 2 juillet 2013
Le Gouvernement suit avec la plus grande attention le dossier relatif aux conséquences sanitaires des essais nucléaires français et a, notamment, décidé l'indemnisation des personnes atteintes de maladies radio-induites provoquées par les essais nucléaires réalisés par la France, entre 1960 et 1996, au Sahara et en Polynésie française. La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, et le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris pour son application, ont ainsi créé un régime de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes des essais nucléaires français, quel que soit leur statut (civils ou militaires, travailleurs sur les sites d'expérimentations et populations civiles, ressortissants français ou étrangers). Ce cadre juridique permet à toute personne atteinte d'une pathologie radio-induite figurant parmi les vingt-et-une maladies listées en annexe du décret du 11 juin 2010 de constituer un dossier de demande d'indemnisation. Cette liste des pathologies a été élaborée à l'aide des travaux les plus récents, menés par le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). La demande doit comporter les éléments attestant de la présence du requérant, au cours de périodes déterminées, dans l'une des zones géographiques de retombées de rayonnements ionisants, conformément à l'article 2 de la loi précitée. Les délimitations précises de ces zones sont fixées par l'article 2 du décret du 11 juin 2010 et l'article 1er du décret du 30 avril 2012, sur la base de calculs scientifiques. Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Cet organisme, dont les membres ont été nommés par arrêtés du 3 août 2010 et du 21 mars 2011, est présidé par une présidente de section honoraire du Conseil d'État et composé notamment d'experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Le comité instruit au cas par cas les dossiers de demande d'indemnisation afin d'éviter d'instaurer une automaticité de la réparation, contraire au droit de la responsabilité. Si les conditions de l'indemnisation sont réunies, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Pour mener à bien sa mission, le CIVEN a élaboré une méthode d'examen s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et l'ensemble de la documentation scientifique disponible relative aux effets de l'exposition aux rayonnements ionisants. La méthode retenue fait l'hypothèse d'une relation dose-effet, sans seuil, et assure ainsi au demandeur le bénéfice d'une vraisemblable surévaluation du risque. La probabilité qu'une maladie constatée soit liée à une exposition aux rayonnements ionisants ou « probabilité de causalité » est calculée à partir d'éléments comme la nature de la maladie, les doses reçues, mesurées ou évaluées à partir des éléments du dossier, de manière réaliste et favorable à la victime, la nature des rayonnements, l'âge au moment de l'exposition, le délai d'apparition de la maladie, etc. Des formules mathématiques adaptées aux différentes affections permettent d'évaluer le risque relatif (RR), c'est-à-dire le rapport entre le nombre des maladies apparaissant dans une population exposée aux rayonnements ionisants et celui qui apparaît dans une population équivalente non exposée. Chaque fois que cela est possible, le comité utilise le logiciel de calcul mis au point aux États-Unis par le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH-IREP), lui-même élaboré et régulièrement tenu à jour, conformément aux recommandations de l'AIEA. Le comité retient comme probabilité de causalité la valeur médiane calculée au moyen de ce logiciel. Une probabilité de causalité supérieure ou égale à 1 % conduit à la décision de retenir la demande. Enfin, dans les dossiers présentant un cancer primitif non défini, les scientifiques du CIVEN ont parfois retenu le modèle du cancer pulmonaire primitif du fait de sa plus forte radiosensibilité pour le calcul de la probabilité, mais sans affirmer qu'il soit à l'origine des métastases retrouvées. C'est donc là aussi un calcul majorant au bénéfice du requérant. Toutes les données utilisables sont ainsi prises en considération : doses individuelles quand elles existent ; résultats d'anthropogammamétrie et de radiotoxicologie ; doses d'ambiance ; situations exceptionnelles ; ou encore limites techniques d'enregistrement des doses. Pour les populations locales, en l'absence de dosimétrie individuelle, est recherchée soit la dosimétrie d'ambiance locale, soit une dosimétrie reconstituée. Ainsi, il peut être retenu, d'une part, que la méthodologie d'évaluation des risques appliquée par le CIVEN se fonde sur une méthodologie universellement reconnue, approuvée internationalement, et appliquée par les pays les plus avancés, d'autre part, qu'il s'agit d'un modèle reposant sur les résultats scientifiques les plus aboutis, synthétisés dans les rapports du comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). En outre, eu égard à la situation du demandeur au moment des essais nucléaires, aux conditions de son exposition aux rayonnements ionisants et à sa maladie, seule une probabilité de causalité de 1 % est jugée suffisante. Enfin, les conditions de calcul sont elles-mêmes très favorables aux requérants puisque les hypothèses les plus maximalistes sont systématiquement retenues pour le niveau d'exposition pris en compte. En ce qui concerne la détermination du montant des indemnisations, un expert procède à l'évaluation des préjudices de toute nature imputables à la maladie, en se référant à la nomenclature des préjudices corporels (de la victime directe) dite « Nomenclature Dintilhac ». Cette dernière définit le « déficit fonctionnel » et instaure deux postes spécifiques d'indemnisation : le « préjudice permanent exceptionnel » et le « préjudice lié à une pathologie évolutive ». L'indemnisation est calculée poste par poste. De plus, le CIVEN s'efforce d'adapter les estimations indemnitaires au regard de la profession de la victime, de son âge, de l'incidence spécifique des faits sur sa situation sociale et ses revenus, etc. Afin d'être le plus favorable à la victime, le montant des indemnisations s'appuie également sur le référentiel de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Par ailleurs, s'agissant des préjudices économiques, qui ne sont pas pris en compte dans les référentiels ci-dessus mentionnés, le comité applique le principe de réparation intégrale et adapte le chiffrage aux preuves qui lui sont fournies. Aucune des recommandations présentées au ministre par le CIVEN ne se fonde sur la seule application mécanique de l'un de ces référentiels pris isolément. Dans ce contexte, à la date du 6 mai 2013, le CIVEN a reçu 836 demandes d'indemnisation, émanant de personnes malades ou d'ayants droit de personnes décédées, et examiné 700 dossiers complets. 442 décisions ont été rendues par le ministre, 11 d'entre elles ayant été favorables à l'indemnisation du demandeur. Le nombre limité des indemnisations accordées à ce jour résulte de l'absence ou de la très faible quantité de doses de rayonnement reçues par la quasi-totalité des requérants. Au titre de ces 11 indemnisations, une somme d'un montant total de 485 500 euros a été allouée aux victimes. 498 243 euros ont en outre été remboursés aux caisses de sécurité sociale ; les frais d'expertise s'élevant pour leur part à 4 400 euros. A cet égard, il convient de préciser que la créance des organismes de sécurité sociale n'est ouverte que lorsque les victimes ou leurs ayants droit acceptent l'offre d'indemnisation qui leur est faite et renoncent à tout recours ultérieur contre le ministère de la défense pour le même objet. L'assertion selon laquelle ces caisses sont indemnisées avant les demandeurs n'apparaît donc pas juridiquement fondée. Associée à ce dispositif, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, prévue par l'article 7 de la loi du 5 janvier 2010, a pour mission d'examiner les mesures tendant à faire évoluer le processus d'indemnisation issu du décret du 11 juin 2010. Cette commission est composée de représentants de chacun des ministres chargés de la défense, de la santé, de l'outre-mer et des affaires étrangères, du président du Gouvernement de la Polynésie française, du président de l'Assemblée de la Polynésie française, de deux députés, de deux sénateurs, de cinq représentants des associations représentatives de victimes des essais nucléaires, ainsi que de quatre personnalités scientifiques qualifiées. Depuis sa création, la commission s'est réunie à trois reprises sous la présidence du ministre de la défense. Ses travaux, fondés sur les données scientifiques les plus récentes et la prise en compte des remarques du CIVEN, se sont notamment concrétisés par la parution au Journal officiel du décret n° 2012-604 du 30 avril 2012 qui a permis d'élargir la liste des maladies radio-induites figurant en annexe du décret du 11 juin 2010, et d'étendre le périmètre géographique des zones de l'atoll de Hao et de celles de l'île de Tahiti dans lesquelles le demandeur doit avoir résidé ou séjourné pour pouvoir bénéficier d'une indemnisation. Par ailleurs, ce texte a simplifié les démarches administratives des demandeurs, d'une part, en facilitant le choix de l'expert devant évaluer les préjudices dans l'hypothèse d'une indemnisation, qui n'est désormais plus restreint aux seuls experts près des cours d'appel, d'autre part, en prévoyant que toutes les demandes d'indemnisation, y compris celles qui ont fait l'objet d'un rejet par le ministre, soient réexaminées, sans qu'il soit nécessaire de déposer un nouveau dossier. S'agissant des populations algériennes, le service des anciens combattants d'Alger est à leur disposition pour les aider à constituer les dossiers et, si nécessaire, traduire en français ou faire authentifier les pièces destinées au secrétariat du CIVEN. De même, s'agissant des populations polynésiennes, une aide est apportée par les services du Haut-commissaire de la République en Polynésie française, chef de la subdivision administrative des îles Tuamotu-Gambier, et par un médecin militaire qui veillent à la bonne circulation de l'information relative au dispositif d'indemnisation et à la réception des courriers par la population concernée. Enfin, depuis juillet dernier, les frais de transport engagés par les Polynésiens convoqués pour une expertise médicale sont pris en charge par avance. Lors de sa 3e réunion, le 11 décembre dernier, la commission a en particulier approuvé les modalités générales d'une étude épidémiologique sur la Polynésie, dont la réalisation sera confiée à un organisme spécialisé et indépendant. Le ministre de la défense a de plus indiqué qu'il n'existait aucune raison nouvelle, tant d'un point de vue scientifique que juridique, de remettre en cause le dispositif d'indemnisation existant. Il a néanmoins demandé qu'un travail d'évaluation sur l'application de la loi soit réalisé par les autorités de contrôle du ministère, avec le concours du ministère de la santé, afin d'analyser les procédures actuelles et de renforcer la transparence des modalités d'application de la loi.
Auteur : M. Gérard Charasse
Type de question : Question écrite
Rubrique : Défense
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Défense
Dates :
Question publiée le 16 avril 2013
Réponse publiée le 2 juillet 2013