Turquie
Question de :
M. François Fillon
Paris (2e circonscription) - Les Républicains
Question posée en séance, et publiée le 21 octobre 2015
ADHÉSION DE LA TURQUIE À L’UNION EUROPÉENNE
M. le président. La parole est à M. François Fillon, pour le groupe Les Républicains.
M. François Fillon. Dimanche dernier, la Chancelière allemande, à l'occasion d'un déplacement à Istanbul, a proposé au Président Erdogan d'accélérer le processus d'adhésion de la Turquie à l’Union européenne en échange d'une meilleure coopération sur la question des réfugiés syriens.
Monsieur le Premier ministre, le gouvernement français soutient-il cette initiative ? Mme Merkel parlait-elle au nom de l’Union européenne ? Si ce n'est pas le cas, le gouvernement français a-t-il demandé des explications à la Chancelière allemande ?
Un député du groupe Les Républicains. Ça m'étonnerait !
M. François Fillon. Mme Merkel ne peut pas, après avoir grand ouvert aux réfugiés les portes de l'Allemagne, et donc de l'Europe, sans la moindre concertation avec ses partenaires, tenter de rattraper cette erreur en proposant un marchandage sur une adhésion de la Turquie à l’Union européenne qui n'est ni possible, ni souhaitable.(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Roman. Pourquoi les vôtres n'en parlent-ils pas au Parlement européen ?
M. François Fillon. Depuis 2005, grâce notamment à l'initiative du Président Chirac, un référendum est nécessaire en France pour valider toute adhésion nouvelle. Chacun sait donc que le moment venu, la France opposera son veto à l'entrée de la Turquie dans l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. François Rochebloine. Très bien !
M. François Fillon. Dans ces conditions, je considère qu'il est dangereux de laisser ce marchandage se perpétuer. La Turquie est un grand pays, un pays avec lequel l'Europe doit compter. Mais je pense que ce n'est pas rendre service à la Turquie, ni à l'Europe d'ailleurs, que de lui mentir sur son avenir.
M. Jean-Christophe Cambadélis. Pourquoi alors n'avez-vous pas arrêté les négociations quand vous étiez aux responsabilités ?
M. François Fillon. Monsieur le Premier ministre, c'est une question essentielle qui concerne l'avenir du continent européen et de la civilisation européenne : je vous demande de clarifier devant l'Assemblée nationale la position de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député (« Monsieur le Premier ministre ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains), la Turquie (Mêmes mouvements.)…
M. le président. Mes chers collègues !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains)…Mesdames, messieurs les députés de l'opposition, je débats suffisamment avec François Fillon, et de manière courtoise, pour que vous me permettiez de lui répondre, d'autant plus que c'est une question lourde.
M. Patrick Balkany. M. Fillon a été Premier ministre ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. « Dehors ! » sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Bruno Le Roux. Voyou !
M. le président. Mes chers collègues, nous écoutons M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est une question lourde, disais-je, et je vais y répondre précisément.
La Turquie, vous l'avez dit, est un grand pays et un partenaire stratégique de la France et de l’Union européenne, notre allié au sein de l'OTAN depuis 1952 et engagé depuis plusieurs années dans un processus de rapprochement avec l’Union européenne. La Turquie se trouve au cœur d'enjeux stratégiques majeurs, notamment s'agissant du conflit syrien. Elle est soumise à d'importantes pressions, qu'il s'agisse du flux de réfugiés – elle accueille aujourd'hui sur son territoire plus de 2,2 millions de personnes – ou du terrorisme – comme le drame d'Ankara l'a rappelé il y a quelques jours. La Turquie doit par ailleurs clarifier ses objectifs par rapport à ce qui se passe en Syrie.
M. Pierre Lellouche. Absolument.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Le contexte politique en Turquie est sensible à l'approche des élections législatives du 1er novembre, et personne ici ne méconnaît la situation actuelle et les débats qui ont lieu au sein de la société turque. Notre intérêt commun est de poursuivre le dialogue engagé depuis plusieurs années et de la soutenir dans l'effort qu'elle fournit aujourd'hui pour l'accueil des réfugiés syriens. Car si nous ne la soutenons pas, ainsi que d'autres pays que je ne veux pas oublier – le Liban et la Jordanie –, nous savons que la crise des réfugiés que nous connaissons en Europe sera encore plus dramatique et plus grave. C'est pourquoi le Conseil européen du 15 octobre a décidé la mise en place d'un plan d'action entre l’Union européenne et la Turquie afin d'approfondir notre coopération. Il s'agit de garantir des conditions de vie dignes et humaines aux réfugiés accueillis sur le sol turc, de lutter contre les réseaux de passeurs et de renforcer le contrôle des frontières extérieures. De son côté, l’Union européenne apportera également un soutien financier accru à la Turquie pour l'aide humanitaire et sous forme de fonds qui permettront de développer l'hébergement, l'insertion professionnelle et la formation des réfugiés. Cette aide est également nécessaire au Liban et en Jordanie.
Vous l'avez dit, la Turquie est un grand pays, et nous savons que quand il faut chercher une solution pour la Syrie, nous avons besoin, comme vous le rappelez souvent, de discuter avec toutes les grandes puissances, notamment avec les pays voisins de la Syrie, ce qui est son cas. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. Sylvain Berrios. Soutenez-vous l'initiative de Mme Merkel ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. L'engagement de l'Europe est à cet égard indispensable. Il ne modifie cependant pas notre position vis-à-vis de la Turquie pour avancer dans la libéralisation des visas et dans le processus de négociation de l'adhésion. En tant que pays candidat, la Turquie est engagée dans une négociation selon des règles qu'elle a elle-même acceptées. Nous souhaitons que les pourparlers avancent dans les domaines où elle est prête.
Depuis 2005, quatorze chapitres sur trente-cinq ont été ouverts, et un a été fermé. Même si ce n'était pas votre question, je rappelle que onze des chapitres ouverts l'ont été sous la présidence de Nicolas Sarkozy, quand vous étiez Premier ministre, et un seul l'a été depuis l'arrivée de François Hollande à la Présidence de la République. Le Chef de l'État l'a rappelé : l'issue de ces négociations est incertaine, la question de l'adhésion turque reste une perspective de long terme qui devra, le moment venu, être approuvée par le peuple français. Il ne peut donc y avoir aucun marchandage, aucun chantage, mais il y a nécessité d'apporter une aide à ce pays.
M. Jean-François Lamour. Bien sûr que si ! C'est lié !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Enfin, et je vous réponds encore très directement, monsieur Fillon, monsieur le Premier ministre : l'Allemagne est soumise à un défi considérable, c'est en grande partie – mais pas seulement – son choix ; la France est solidaire dans de tels moments. Nous n'avons pas la même approche, ne proposons pas les mêmes réponses, n'ayant pas par ailleurs le même afflux de réfugiés. Mais devant cette assemblée, et parce que c'est une constante de la politique française, j'affirme que pour avancer en Europe, y compris pour apporter une réponse au problème que vous avez soulevé, mais aussi au défi des réfugiés, et bien sûr aux autres défis que connaît l'Europe, la solidarité et le lien avec l'Allemagne sont indispensables.
M. Hervé Mariton. Vous n'avez pas répondu à la question.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne participerai pas pour ma part, alors que Mme Merkel appartient à la même formation politique que vous au niveau européen, le PPE (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), à une mise en cause de ce pays, pour des raisons qui dépassent peut-être ce qui se passe dans cet hémicycle. C'est une constante importante. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
J'ai rappelé quelle était la position de la France par rapport à la Turquie et à son adhésion. Quant au lien et à la solidarité avec l'Allemagne, nous les revendiquons. C'est une constante. Nous n'en changerons pas au gré des campagnes électorales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)
Auteur : M. François Fillon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 octobre 2015