Question orale n° 341 :
salariés agricoles

14e Législature

Question de : Mme Sophie Rohfritsch
Bas-Rhin (4e circonscription) - Les Républicains

Mme Sophie Rohfritsch attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur les distorsions de concurrence entre la France et l'Allemagne s'agissant du coût de la main-d’œuvre saisonnière pour les productions de fruits et légumes, et tout particulièrement les cultures de fraises et d'asperges. Au cours des quinze dernières années, les surfaces cultivées ont diminué de 30 % en France. Le régime fiscal de la main-d’œuvre saisonnière est beaucoup plus avantageux en Allemagne, ce qui entraîne une distorsion de concurrence. Le coût de l'emploi saisonnier est au minimum 1,5 fois plus cher en France qu'en Allemagne. Dans un contexte d'augmentation du chômage, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles mesures le Gouvernement prévoit de prendre afin de favoriser l'embauche dans les bassins de production sur des postes de travail pérennes. Par ailleurs, afin que les maraîchers français ne souffrent plus de la concurrence déloyale de leurs voisins allemands, elle lui demande quelle actions seront entreprises au niveau de l'Union européenne pour harmoniser les législations sociales.

Réponse en séance, et publiée le 26 juin 2013

COÛT DE LA MAIN-D'ŒUVRE SAISONNIÈRE DANS LE SECTEUR DES FRUITS ET LÉGUMES


Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch, pour exposer sa question, n° 341, relative au coût de la main-d'œuvre saisonnière dans le secteur des fruits et légumes.

Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire, ma question concerne les distorsions de concurrence qui pénalisent nos producteurs de fruits et légumes. Vous le savez, pour certaines productions de fruits et légumes, le coût de la main-d'œuvre peut représenter jusqu'à 70 % des coûts de production. Ce sont des coûts incompressibles dans la mesure où la mécanisation est totalement impossible. C'est le cas en Alsace, et notamment dans le Bas-Rhin, pour la production d'asperges, que je connais bien, où le travail de récolte est très important et nécessite beaucoup de main-d'œuvre.

Le problème rencontré par nos producteurs s'explique par le différentiel du coût de la main-d'œuvre saisonnière entre la France et ses voisins européens, notamment l'Allemagne. Les professionnels de la filière « fruits et légumes » qualifient littéralement de dumping social ces pratiques. En effet, les exploitations agricoles allemandes réalisent l'essentiel des travaux saisonniers en embauchant des personnels qui bénéficient déjà d'un régime de protection sociale – demandeurs d'emploi, saisonniers rattachés à leur conjoint, salariés en congés payés –, ce qui leur permet une exonération quasi totale des charges. En outre, ces exploitations allemandes sont autorisées à embaucher 90 % de salariés étrangers sans avoir à payer de taxes du type OFII. En prenant toujours pour exemple la production d'asperges, qui nécessite 1 200 heures de travail par hectare, le producteur allemand, compte tenu d'un régime fiscal tout à fait favorable, peut économiser 6 000 euros par hectare par rapport à son homologue français, notamment alsacien.

Si l'on ajoute les questions de SMIC horaire et de flexibilité du temps de travail, on constate que les producteurs de fruits et légumes sont en mesure d'inonder nos marchés de produits frais de qualité, à des prix tout à fait impossibles à concurrencer pour nous, Français : une salade allemande vaut, par exemple, 50 centimes d'euros, alors qu'une salade française vaut au minimum 70 centimes. La première conséquence de cette situation est le recul de la production de fruits et légumes en France, déjà amorcé depuis quinze ans. On constate ainsi une diminution des surfaces cultivées d'au moins 15 %, alors que ces surfaces ont pu augmenter d'au moins 30 % chez nos voisins allemands.

Vous connaissez la problématique : beaucoup d'élus et de professionnels vous ont à maintes reprises interrogé à ce sujet. Vous avez répondu en stigmatisant systématiquement l'absence de salaire minimum en Allemagne comme cause principale de la situation. Mais vous savez que ce n'est pas la seule. Il serait urgent d'agir, en portant, comme l'a fait votre collègue belge, par exemple, un recours devant la Commission européenne, et en agissant réellement pour que l'instauration d'un SMIC européen vienne apaiser cette situation, plutôt que de procéder par simples incantations. Au lieu de cela, nos producteurs de fruits et légumes assistent pour l'instant à l'augmentation de leurs charges, qu'un éventuel crédit d'impôt compétitivité emploi ne viendrait adoucir qu'en 2014, à condition qu'ils aient suffisamment de masse salariale pour y prétendre.

Avec mes collègues alsaciens, que j'associe à cette question et qui vous ont déjà interrogé à ce sujet, nous souhaiterions savoir quelles sont les mesures que vous envisagez dans l'immédiat pour soutenir nos producteurs de fruits et légumes et quelles sont les solutions qui peuvent être trouvées avec nos voisins européens pour remettre en ordre ce problème de distorsion européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.

M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire. Vous m'interrogez, madame la députée, sur les difficultés réelles rencontrées par les filières fruits et légumes face à la concurrence européenne. Il est vrai que la question du coût du travail est très importante pour des filières qui emploient beaucoup de main-d'œuvre. Aussi, dès son entrée en fonction, dès juin 2012, le Gouvernement a-t-il pris plusieurs mesures. Tout d'abord, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances pour 2013, nous avons maintenu le dispositif TODE – travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi – qui exonère de charges sociales les agriculteurs qui emploient des travailleurs saisonniers sur leur exploitation : cela correspond à plus de 500 millions d’euros pour 2012. Ensuite, nous avons mis en place le CICE, non pas uniquement en 2014, madame la députée, mais dès 2013. Ce dispositif permettra de réduire le coût de la masse salariale de 4 % en 2013 et de 6 % en 2014. Au total, ce sont plus de 20 milliards d'euros qui sont ainsi dégagés par la solidarité nationale.

La conjugaison des dispositifs CICE et TODE aura pour conséquence de faire baisser le coût du travail, sur les emplois saisonniers mais aussi sur les emplois permanents. En même temps – et vous le savez aussi bien que moi, madame la députée –, la compétitivité ne se résume pas exclusivement à une question de coût du travail : cela va beaucoup plus loin. Nous travaillons aujourd'hui avec la BPI sur l'innovation et sur le financement de l'investissement en faveur de l'agriculture et de l'agroalimentaire, et donc aussi en faveur des filières fruits et légumes. Je constate d'ores et déjà – et vous le constaterez avec moi – que les investissements réalisés, en particulier pour l'asperge, ont permis de retrouver des niveaux de production tout à fait corrects. Quant à la fraise, on note une augmentation sensible de la quantité produite en France ces dernières années.

S'agissant de la question de l'harmonisation sociale européenne, chacun sait qu'elle ne se traite pas uniquement entre Français. Un travail de conviction est mené vis-à-vis de l'ensemble de nos partenaires. D'ailleurs, nos amis et partenaires allemands veulent également poser la question du salaire minimum : Mme Merkel elle-même en a fait état au cours de la campagne législative en Allemagne. Enfin – et vous l'aurez également noté –, la semaine passée, au cours de la Conférence sociale, le Président de la République a lancé le débat sur la directive relative au détachement des travailleurs, ou plutôt sur les abus de l'utilisation de cette directive, afin qu'un terme soit mis aux pratiques les plus contestables. Vous voyez, madame la députée, que notre Gouvernement n'est pas dans l'incantation, comme vous le disiez, mais bien dans l'action. Notre volonté est claire : nous voulons protéger nos filières pour protéger nos emplois.

Données clés

Auteur : Mme Sophie Rohfritsch

Type de question : Question orale

Rubrique : Agriculture

Ministère interrogé : Agriculture, agroalimentaire et forêt

Ministère répondant : Agriculture, agroalimentaire et forêt

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 juin 2013

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