14ème législature

Question N° 3476
de M. Franck Gilard (Les Républicains - Eure )
Question au gouvernement
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Premier ministre

Rubrique > politique extérieure

Tête d'analyse > Turquie

Analyse > attitude de la France.

Question publiée au JO le : 17/12/2015
Réponse publiée au JO le : 17/12/2015 page : 10764

Texte de la question

Texte de la réponse

TURQUIE


M. le président. La parole est à M. Franck Gilard, pour le groupe Les Républicains.

M. Franck Gilard. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, les affres de la guerre civile syrienne appellent des solutions urgentes et concrètes, tant humanitaires que militaires. La diplomatie, chacun le sait, est l'art de concilier l'inconciliable ; les efforts se font sentir jusqu'en Europe avec les images spectaculaires de migrants, syriens ou non, forçant par dizaines de milliers les frontières de notre continent.

Cependant, on peut s'interroger sur l'instrumentalisation de ces migrants à la suite des déclarations et des ambiguïtés des autorités turques. Celles-ci ont entretenu des rapports équivoques avec l'État islamique, faits de trafics tolérés et de collaborations diverses, dictés par une commune détestation du régime de Bachar Al-Assad. Les preuves en sont multiples et le régime de M. Erdogan emprisonne les journalistes qui en parlent. Dès lors, pouvons-nous vraiment faire confiance à M. Erdogan pour s'engager dans la lutte contre Daech ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Non !

M. Franck Gilard. La Turquie se propose d'entretenir 2 millions de réfugiés syriens contre 3 milliards d'euros versés par l’Union européenne, et Bruxelles s'engagerait à exempter de visa les 76 millions de citoyens turcs dans notre espace Schengen alors que celui-ci abrite déjà, je vous le rappelle, plus de 3,6 millions de citoyens turcs ou binationaux, soit pratiquement le double de la vague migratoire dont nous sommes menacés.

Enfin, j'appelle aussi votre attention sur le fait que le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a déclaré : « Nous allons forger la destinée du continent européen. »

Monsieur le ministre, est-il exact que nous allons reprendre les négociations avec la Turquie pour baliser son entrée au sein de l'Union malgré une opposition très forte des opinions publiques ? Quelle est la position du gouvernement français sur cette importante question ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le député, il est normal, s'agissant d'une séance consacrée aux sujets européens avant le Conseil européen qui se tiendra à la fin de la semaine, que des questions portent sur la Turquie. Ces questions sont légitimes.

Harlem Désir a rappelé que nous avons, depuis très longtemps d'ailleurs, un rapport particulier avec la Turquie ; on pourrait évoquer les alliances entre Soliman le Magnifique et François Ier contre Charles Quint, et sans remonter jusque-là, rappeler que ce pays est un allié stratégique, doté de la deuxième armée de l'Alliance atlantique – à laquelle votre majorité d'alors a demandé une intégration bien plus importante que celle que le général de Gaulle avait prévue.

Encore une fois, toutes ces questions sont légitimes, mais ne les posons pas uniquement par rapport à la démocratie. En effet, ceux-là mêmes – pas vous, j'en suis convaincu – qui critiquent le régime turc, pour toute une série de raisons parfaitement compréhensibles, notamment ses ambiguïtés vis-à-vis de Daech, sont parfois les mêmes qui nous expliquent qu'il faut soutenir le régime de Bachar Al-Assad, être des alliés du régime de M. Poutine, lequel n'a incontestablement, je suppose, rien à se reprocher concernant la liberté de la presse et la démocratie, et qui nous poussent à soutenir l'Iran – nous allons d'ailleurs accueillir le président Rohani qui, de ce point de vue, n'a sans doute lui non plus rien à se reprocher.

Par conséquent, si on pose uniquement le débat en ces termes, je vous le dis tout de suite : nous n'aurons aucun allié, nous ne pourrons discuter avec personne dans la région.

J'entendais tout à l'heure un autre honorable parlementaire expliquer qu'il était temps de discuter et de négocier avec le président Poutine, mais je tiens à rappeler que c'est le Président de la République française et Laurent Fabius qui ont été au cœur de la discussion avec Angela Merkel et le président Poutine pour trouver une solution concernant l'Ukraine. J'ajoute qu'à chaque fois que le président Hollande l'a rencontré, cela a été aussi pour évoquer la question de la Syrie, et il a fallu attendre ces dernières semaines pour qu'il y ait une intervention russe, et surtout l'attentat odieux contre un avion d'une compagnie russe au-dessus du Sinaï pour qu'enfin, après que le président Poutine l'a reconnu, des bombardements aient lieu sur les sites stratégiques de Daech – même si nous savons, ce qui fait partie des discussions en cours, que Moscou bombarde aussi l'opposition modérée syrienne.

M. Guy Teissier. Ça n'a rien à voir !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais nous pouvons tous nous mettre d'accord sur l'essentiel.

Premièrement, l'ennemi commun, c'est Daech, et la coalition, unique ou coordonnée, doit avoir pour seul objectif de détruire cette organisation qui nous mène une guerre effrayante. Chacun doit se sentir concerné, et c'est le sens de toutes les initiatives diplomatiques en cours, à Vienne et à New York, auxquelles évidemment la France participe.

Deuxièmement, il faut que les choses soient claires : s'il y a une aide de l’Union européenne s'agissant des réfugiés, il n'y a pas pour autant de contrepartie ou je ne sais quel troc. J'ai déjà eu l'occasion de m’exprimer sur le sujet.

Troisièmement, et le secrétaire d'État chargé des affaires européennes le rappelait, les chapitres ouverts avec la Turquie l'ont été au cours du quinquennat précédent.

M. Jacques Myard. Ça, c'est vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quatrièmement, de toute façon, c'est le peuple français qui aurait à se prononcer sur cette question.

Par conséquent, pas de faux procès sur la Turquie. Les choses sont claires. Chacun doit assumer ses responsabilités dans la région : tous les États doivent détruire Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jacques Moignard. Très bien !