14ème législature

Question N° 3542
de M. Roger-Gérard Schwartzenberg (Radical, républicain, démocrate et progressiste - Val-de-Marne )
Question au gouvernement
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Premier ministre

Rubrique > nationalité

Tête d'analyse > déchéance

Analyse > terroristes. perspectives.

Question publiée au JO le : 27/01/2016
Réponse publiée au JO le : 27/01/2016 page : 557

Texte de la question

Texte de la réponse

DÉCHÉANCE DE NATIONALITÉ


M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le Premier ministre, Gambetta et le 4 septembre, Zola et « J'accuse », Joseph Kessel et « Le Chant des partisans » : certains de ceux qui ont fait la France et son histoire étaient d'ascendance étrangère, sinon binationaux.

Vendredi, l'Assemblée examinera le projet de révision de la Constitution. Selon ce texte, les condamnés pour crimes de terrorisme pourront être déchus de la nationalité française s'ils sont binationaux, généralement par filiation, ayant au moins un parent étranger. En revanche, ceux qui sont exclusivement Français, les Français dits parfois « de souche », seront exonérés de cette sanction.

En elle-même, cette déchéance peut se concevoir. Ceux qui tirent sur leurs compatriotes au fusil d'assaut, ceux qui renient leur pays s'excluent à l'évidence de la communauté nationale.

M. Pierre Lellouche. Article 23, alinéa 7, du code civil !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Mais l'on conçoit mal que cette déchéance concerne uniquement les binationaux car la République, c'est le principe d'égalité devant la loi sans distinction d'origine.

M. Guy Geoffroy. Bravo ! Il a raison ! (Applaudissements sur divers bancs.)

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le Premier ministre, face à une situation aussi difficile, je pense qu'il serait donc utile de ne pas établir une distinction entre deux catégories de Français, comme semble y tendre la rédaction actuelle du texte – laquelle peut sans doute évoluer.

Pour éviter une telle disparité, mieux vaudrait une autre solution : la dégradation civique, renommée « interdiction des droits civiques, civils et de famille » par le nouveau code pénal.

M. Pierre Lellouche. Et rejetée par la gauche il y a un an !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Les auteurs de crimes terroristes encourent cette peine complémentaire, qui peut s'ajouter à la réclusion criminelle. Ceux-ci ne seraient pas déchus de leur nationalité mais privés de leur citoyenneté pour l'essentiel, ce qui, symboliquement, au plan de la réprobation publique, serait une sanction analogue...

M. le président. Merci, monsieur le député. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Guy Geoffroy. Il a sa petite fiche ! Ça la fiche mal ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président Schwartzenberg, la France et les Français vivent une situation particulière qui nous oblige.

Les attaques terroristes que nous avons connues en 2015, les attentats déjoués – le ministre de l'intérieur en fait état régulièrement –, la vidéo postée ce week-end encore par l'État islamique, Daech, témoignent de la menace qui pèse sur nos compatriotes, sur notre pays et de nombreux autres. Voilà ce que nous devons avoir à l'esprit, comme tel est d'ailleurs votre cas !

En convoquant le Conseil des ministres dans la nuit du vendredi 13 novembre, en déclarant immédiatement l'état d'urgence, en rétablissant le contrôle aux frontières, en s'exprimant clairement devant les représentants de la nation à Versailles, le 16 novembre, le Président de la République a non seulement pris la mesure de la situation mais a voulu créer les conditions d'une union forte – celle de tous les Français, à travers la représentation nationale – face au terrorisme.

De nombreuses mesures ont été décidées, que je ne rappellerai pas, afin de soutenir nos forces de sécurité.

Des projets sont prévus, qui ont été préparés de longue date, et ont été engagés – je pense au projet de loi relatif à la procédure pénale et à la lutte contre la criminalité dont je ne doute pas un seul instant qu'il fera l'objet de convergences constructives avec la proposition de loi préparée par le président de la commission des lois du Sénat avec l'ancien garde des sceaux, M. Mercier. Là encore, je ne doute pas que nous puissions avancer ensemble.

Lutter contre le terrorisme, c'est aussi, bien sûr, agir sur le plan de la prévention en donnant plus de moyens aux services de renseignement et en maintenant un niveau d'alerte particulièrement élevé.

La révision constitutionnelle proposée par le chef de l'État devant le Congrès fait partie des réponses que nous devons apporter.

Elle ne comporte pas un article unique ni une seule mesure. Par son article 1er, nous concevons comme une garantie l'inscription dans la Constitution de l'état d'urgence – que nous vous proposerons par ailleurs de proroger pour trois mois supplémentaires.

M. Pierre Lellouche. Que cela soit dans la Constitution ne change rigoureusement rien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Aujourd'hui, les motifs permettant le déclenchement de l'état d'urgence ou la nécessité de l'autorisation du Parlement pour toute prorogation au-delà de douze jours relèvent de la simple loi. Désormais, ces deux garanties essentielles seront protégées par la Constitution.

Vous évoquez la question de l'article 2 relatif à la déchéance de la nationalité – nous en débattrons – et nous avez fait part à l'instant de votre réflexion, à travers des rappels historiques heureux et nécessaires, tout comme vous l'avez également fait lors des rencontres organisées à l'Elysée vendredi dernier avec les principaux responsables politiques du pays et les groupes représentés au Parlement – je remercie d'ailleurs chacun pour sa contribution à ce débat.

Je sais que vous avez vous-même beaucoup travaillé sur cette question et que votre analyse est toujours d'une extrême finesse.

Comme vous le savez, je me rendrai demain devant la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'invitation du président Urvoas – vous êtes vous-même membre de cette commission, monsieur le président Schwarzenberg.

M. Charles de La Verpillière. Et Mme Taubira, l'entendra-t-on ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est en effet à vous, parlementaires, représentants de la nation, qu'il revient de décider in fine car tel est le rôle du Parlement. Je sais que chacun sur ces bancs mesure pleinement cette responsabilité – en l'occurrence celle que confère le constituant.

Le Président de la République et le Gouvernement n'ont aucunement l'intention de viser telle ou telle catégorie de citoyens – je suis d'ailleurs à l'écoute de tous ceux qui peuvent se sentir concernés.

Je rappelle, monsieur le président Schwarzenberg, que nous ne visons au fond qu'une seule catégorie de citoyens, une seule : les terroristes dont les crimes, d'une certaine manière, déchirent le lien qu'ils ont pu établir avec la nation.

Mme Claude Greff. Ils vont avoir très peur !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Après la phase de consultation qui a eu lieu, je formulerai demain des propositions afin – c'est la mission que le Président de la République m'a donnée – de permettre le rassemblement le plus large.

Un tel rassemblement doit se faire avec le souci de respecter pleinement l'engagement que le Président de la République a pris devant les Français lors du Congrès et de faire en sorte que l'écriture de l'article 2, comme celle de l'article 1er, rassemblent le plus largement.

M. Guy Geoffroy. Ce n'est pas gagné !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Face au pays, chacun doit prendre ses responsabilités. Moi, monsieur Schwarzenberg, je les prendrai pleinement demain. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)