Question au Gouvernement n° 4025 :
peines

14e Législature

Question de : M. Alain Tourret
Calvados (6e circonscription) - Radical, républicain, démocrate et progressiste

Question posée en séance, et publiée le 8 juin 2016


COHÉRENCE DES SANCTIONS PÉNALES

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

Le 22 décembre 2012, Charlotte Landais, âgée d'une vingtaine d'années, brillante étudiante en pharmacie, était tuée dans la région de Montpellier par un chauffard dans les circonstances suivantes : celui-ci roulait en ville à plus de 100 kilomètres-heure dans une zone limitée à 50 ; il projeta à douze mètres le corps de la jeune fille et commit un délit de fuite en prétendant qu'il avait pensé heurter une poubelle ; son permis de conduire était annulé depuis 2010 à la suite de multiples infractions au code de la route et il n'avait donc pas d'assurance ; interpellé chez lui douze heures après les faits, son taux d'alcoolémie était de 1,14 gramme par litre de sang, ce qui correspond à 2,4 grammes par litre lors de l'accident ; un dépistage de stupéfiants a démontré qu'il était par ailleurs sous l'empire du cannabis au moment des faits.

Cet individu est un véritable criminel. Il a été jugé par le tribunal correctionnel.

Notre code pénal est en effet rédigé de manière contradictoire : il punit de dix ans d'emprisonnement l'homicide involontaire lorsque celui-ci comprend au moins deux circonstances aggravantes ; il condamne, au titre de l'article 223-1, à un an d'emprisonnement la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ; mais il retient une peine de quinze ans d'emprisonnement lorsqu'il y a des violences ayant entraîné la mort sans intention de l'avoir donnée. À l'évidence, le chauffard qui a tué Charlotte Landais n'est pas un simple délinquant ; c'est un criminel, mais qui n'a pas pu être jugé comme tel et renvoyé devant une cour d'assises.

Aussi suis-je amené à vous demander, monsieur le ministre, si vous seriez prêt à soutenir une modification législative ou, encore mieux, à la porter vous-même, afin de criminaliser les faits commis par des chauffards ayant entraîné la mort d'autrui avec un certain nombre de circonstances aggravantes.

Un crime, c'est la cour d'assises – et c'est devant la cour d'assises que doivent répondre de leurs forfaits les criminels de la route ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et sur quelques bancs du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous comprendrez que je ne commente pas une affaire aussi douloureuse et révoltante. Je m'en tiendrai à vous répondre sur la question de la cohérence de l'échelle des peines ; je le ferai avec la plus grande précision, ce qui rendra ma réponse quelque peu aride, mais vous comprendrez que vu la gravité des faits, je sois extrêmement précis.

La loi prévoit une différence de traitement entre l'auteur qui a voulu causer le dommage et celui qui ne l'a pas cherché. S'agissant des infractions que vous citez, dans les deux cas, le comportement de l'auteur a provoqué la mort de la victime. Cependant, il existe une différence importante tenant à la volonté de porter atteinte directement à l'intégrité physique de la victime. Cela justifie la distinction opérée par le code pénal.

L'homicide involontaire, à l'occasion de la conduite d'un véhicule, résulte ainsi du manquement délibéré à des obligations de sécurité, mais sans que le conducteur ait à aucun moment eu la volonté de porter atteinte à l'intégrité physique de la victime. En revanche, la qualification de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » implique la volonté de leur auteur de blesser la victime et un résultat dépassant son intention.

Dans l'hypothèse où un conducteur utilise son véhicule dans l'intention de blesser la victime et cause son décès, ce comportement doit recevoir une qualification criminelle. S'il viole les obligations de sécurité que lui imposent la loi et les règlements, mais sans intention de porter atteinte à la vie de quiconque, son comportement relève de la qualification délictuelle d'homicide involontaire. Lorsque l'homicide involontaire est aggravé de plusieurs circonstances aggravantes, la peine prévue est de dix ans d'emprisonnement.

Il est logique que notre droit prévoie la graduation cohérente des sanctions, tenant compte à la fois de la valeur à laquelle il est porté atteinte – la vie d'autrui – et de l'intention d'y porter atteinte. Je ne crois pas qu'il y ait de lacune dans notre législation. Il n'est dès lors pas envisagé de modifier cette disposition. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. Alain Tourret. C'est dommage !

Données clés

Auteur : M. Alain Tourret

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Droit pénal

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 juin 2016

partager