Question au Gouvernement n° 4342 :
États-Unis

14e Législature

Question de : Mme Élisabeth Guigou
Seine-Saint-Denis (6e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

Question posée en séance, et publiée le 10 novembre 2016


ÉLECTION DE DONALD TRUMP À LA PRÉSIDENCE DES ÉTATS-UNIS

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le Premier ministre, les citoyens américains ont élu cette nuit leur quarante-cinquième président.

M. Franck Marlin. Ne vous en déplaise.

Mme Élisabeth Guigou. Nous prenons acte de ce vote, nous respectons le peuple américain et gardons notre confiance dans ce grand pays qui a toujours été notre allié. Nous devons cependant comprendre les conséquences de cette élection qui constitue un choc mondial (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains), sur le plan économique et financier, on le voit déjà, mais surtout sur le plan politique.

M. Jacques Myard. C'est l'apocalypse !

Mme Élisabeth Guigou. Des conséquences d'abord pour les États-Unis, où les fractures vont s'aggraver.

M. Jacques Myard. Ce n'est pas votre affaire !

Mme Élisabeth Guigou. Ensuite, pour nous-mêmes, Français et Européens. Une fois de plus, dans une démocratie, les citoyens ont écouté ceux qui leur proposent de rompre avec le système. Une fois de plus, les laissés-pour-compte de l'économie, les oubliés de la mondialisation, les victimes de l'ultralibéralisme – d'ailleurs hérité d'un autre président américain, Reagan – celles et ceux qui ont peur de l'évolution du monde et des sociétés ont rejeté les élites, qu'elles soient démocrates ou républicaines.

Enfin cette élection fait craindre un monde plus dangereux ; des tensions avec l'Amérique du Sud et en particulier le Mexique ; plus de complaisance envers la Russie ; moins de coopération avec la Chine ; plus d'insécurité en mer de Chine et en Asie ; la remise en cause de l'accord nucléaire avec l'Iran ainsi que de l'accord de Paris sur le climat, ce qui serait évidemment gravissime.

Nous allons devoir traiter avec une Amérique encore moins disposée à s'engager pour la sécurité de l'Europe et celle de ses proches voisins.

Monsieur le Premier ministre, ce qui arrive aux États-Unis peut-il arriver en France ? Pensez-vous que l'Europe aura le ressort suffisant pour prendre en main son destin et affronter le défi de sa propre sécurité ? Quelles conclusions tirez-vous aujourd'hui de cette élection, pour la France, pour l'Europe et pour le monde ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, Donald Trump a été élu – des félicitations lui ont été adressées par le Président de la République – et c'est une décision souveraine du peuple américain.

Jean-Marc Ayrault vient de le rappeler, depuis plus de deux siècles les États-Unis sont des alliés de la France et à de multiples reprises, nous nous sommes retrouvés côte à côte pour défendre la liberté. Le général de Gaulle et ses successeurs ont installé cette relation dans l'indépendance de notre diplomatie et de nos forces armées, y compris dans le cadre de l'Alliance atlantique, dans l'affirmation de nos valeurs et de notre identité.

Face à cette nouvelle donne mondiale, où le temps des deux blocs et de l'après Yalta, et même le temps de l'après-guerre, est totalement révolu, avec des bouleversements y compris pour les familles politiques – c'est vrai outre Atlantique mais c'est vrai aussi en Europe et en France – l'enjeu déterminant est de préserver et de renforcer la relation transatlantique, une relation qui nous permet d'aborder, dans le respect de notre indépendance, les défis majeurs de nos sociétés respectives.

L'Europe dans son ensemble doit répondre à ces enjeux : le défi terroriste et celui du changement climatique et de la protection de l'environnement – de ce point de vue, le respect de l'accord de Paris est évidemment essentiel ; les crises qui menacent la paix et la sécurité, en particulier au Moyen-Orient ; l'impératif d'une régulation de la globalisation, notamment dans le domaine du commerce international, sans jamais perdre de vue, vous l'avez rappelé, la défense des intérêts français car la mondialisation n'est ni heureuse ni naïve.

Sur tous ces sujets, nous souhaitons bien sûr établir très vite avec Donald Trump et sa future administration une relation forte, franche et fondée sur la confiance.

Dans ce monde si troublé, puisque vous m'invitez à tirer si vite les leçons de cette élection, que nous dit, même si chacun bien sûr a son analyse, la démocratie américaine ? Le besoin de frontières ; le besoin de réguler l'immigration ; la nécessité bien sûr – et nous sommes en première ligne – de combattre le terrorisme et de nommer le totalitarisme islamique ; le besoin aussi, vous l'avez souligné, de mieux redistribuer les richesses ; le besoin de protection pour les couches populaires et les classes moyennes qui vivent ce sentiment de déclassement.

Oui, le monde, vous le savez parfaitement, est plein de défis, de troubles et de peur. Dans le concert des nations, alors même que les États-Unis semblent revenir sur leur volonté de s'impliquer dans les affaires du monde, la force de la France, permettez-moi de vous le dire, est de tenir son rang, de faire entendre son rayonnement et ses valeurs : une conception démocratique et équilibrée des relations internationales – et nous devons être attentifs aux sujets que vous avez évoqués : la relation avec le Mexique ou le traité avec l'Iran, pour ne citer que ces exemples ; une vision humaniste de la société, qui ne peut pas accepter le racisme et le rejet de l'autre et qui affirme le respect de la femme et l'égalité entre la femme et l'homme ; une certaine idée du modèle social ; une place déterminante donnée à la culture ; une vision mondiale du défi climatique.

La force de la France dans ces moments où chacun s'interroge, où chacun est sans doute troublé, c'est de faire en sorte que l'Europe se prenne en main, qu'elle construise son autonomie stratégique en se donnant les moyens d'agir collectivement à l'extérieur de nos frontières. Avec le retour des grandes nations – l'Iran, la Turquie, l'Inde, la Chine, la Russie bien sûr – c'est la réponse européenne qui s'impose ; c'est faire que l'Europe réponde aux exigences des peuples.

Pour conclure je veux dire trois choses, peut-être plus personnelles.

Je ne crois pas au triomphe de la peur, mais au triomphe de la lucidité. Il faut toujours nommer les problèmes, parce que c'est le seul moyen de les transcender, mais pour y apporter des solutions conformes à nos principes et à nos valeurs.

Je ne crois pas au triomphe du simplisme ou de la démagogie, je crois au triomphe de l'intelligence des peuples. Il faut toujours respecter leurs choix, mais il faut les éclairer, il faut leur indiquer une voie, il faut donner du sens. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Enfin je ne crois pas à la fatalité car la fatalité triomphe dès lors que l'on croit en elle – et ce risque existe : nous l'avons vu en Grande-Bretagne et nous savons, madame la présidente, que la France n'est pas à l'abri de ce risque.

Rien n'est jamais écrit d'avance et notre responsabilité, car j'ai ma part à y prendre, est de travailler sans relâche au service des Français pour leur redonner de la fierté et l'espoir d'y croire – parce que plus que jamais, je crois que les Français attendent de l'espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Données clés

Auteur : Mme Élisabeth Guigou

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 novembre 2016

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