Question de : Mme Sophie Rohfritsch
Bas-Rhin (4e circonscription) - Les Républicains

Mme Sophie Rohfritsch attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les termes du décret du 13 août 2013 qui privent le contentieux social du double degré de juridiction. En effet, le décret en question applicable au 1er janvier 2014 dispose que les jugements rendus par un juge unique et non plus en collégialité par les tribunaux administratifs en matière notamment de prestations, d'allocations ou de droits sociaux ou de logement ne pourront plus faire l'objet d'un appel devant les cours administratives d'appel. Ce décret ajoute une injustice à la précarité et crée une inégalité de droits selon les types de contentieux. Certains d'entre eux bénéficieront du double degré de juridiction et les autres en seront privés constituant ainsi une discrimination en raison de la situation sociale des personnes concernées, souvent les plus pauvres et les plus fragiles de notre société. Aussi et considérant que la rationalisation des procédures administratives contentieuses ne saurait légitimer cette différence de traitement, elle lui demande si elle a l'intention de retirer ces dispositions qui privent les personnes défavorisées du droit à un recours effectif constitutionnellement et conventionnellement reconnu.

Réponse publiée le 2 septembre 2014

A titre préliminaire, il doit être rappelé que le double degré de juridiction ne constitue ni un principe général du droit (CE 17 décembre 2003, Meyet et autres, n° 258253) ni un principe de valeur constitutionnelle (CC, 12 février 2004, Loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française, n° 2004-491 DC, cons.4) ni même un principe reconnu par la Cour européenne des droits de l'homme pour la matière civile, au sens de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention, dont relève le contentieux administratif (CEDH 26 octobre 1984, de Cubber c/ Belgique, n° 9186/80). Le décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du code de justice administrative instaure une procédure contentieuse dérogatoire au droit commun pour le traitement des contentieux sociaux. La réforme de la procédure relative à ces contentieux a pour but de pallier les défauts de la procédure actuellement en vigueur. D'une part, le taux d'appel constaté dans cette matière est très faible : 4,08 %, soit près d'un cinquième du taux d'appel moyen (19,7 %) en 2012. D'autre part, plus de la moitié des procédures d'appel donne lieu à des ordonnances de rejet (52 % en 2010). La procédure de droit commun prévue antérieurement n'était donc pas adaptée. Ainsi, le décret du 13 août 2013 a instauré, à compter du 1er janvier 2014, une procédure équilibrée, qui doit être appréciée dans sa globalité. Elle vise à adapter l'office du juge pour offrir aux justiciables un meilleur accès au prétoire dans le cadre d'un contentieux qui concerne souvent des personnes se trouvant dans une situation économique et sociale difficile. Elle s'articule autour de deux évolutions. D'une part, il s'agit de renforcer les droits des requérants et l'oralité de la procédure. En effet une requête présentée sans avocat ne pourra être rejetée pour défaut ou insuffisance de motivation « qu'après que le requérant a été informé du rôle du juge administratif et de la nécessité de lui soumettre une argumentation propre à établir que la décision attaquée méconnaît ses droits ». Le juge pourra, en outre, exiger de l'administration défenderesse qu'elle lui transmette l'ensemble du dossier constitué pour l'instruction de la demande. Surtout, il est prévu que « la procédure contradictoire peut être poursuivie à l'audience sur les éléments de fait », l'instruction n'étant close qu'après que les parties ou leurs mandataires ont formulé des observations orales. La clôture pourra même être différée pour permettre aux parties de verser des pièces complémentaires. L'ensemble de ces innovations tient compte des difficultés que peuvent rencontrer les justiciables lorsqu'ils se trouvent confrontés à une procédure complexe au cours de laquelle ils ne parviennent pas nécessairement à faire valoir leurs droits. D'autre part, les dérogations procédurales introduites sont destinées à tenir compte de la particularité des contentieux sociaux. Compte tenu du très faible taux d'appel et du recours massif des cours aux ordonnances de rejet, l'intervention du juge d'appel ne s'impose pas. En outre l'attribution de ce contentieux à un magistrat statuant seul, à l'instar des autres matières visées par l'article R. 222-13 du code de justice administrative, qui sera en outre doté d'outils procéduraux adaptés, n'entraînera nullement un abaissement de la qualité des décisions rendues. Enfin, il sera toujours loisible aux justiciables insatisfaits de la décision rendue en premier et dernier ressort de saisir le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation. L'argument du caractère coûteux de cette procédure, fondé sur l'obligation de recourir à un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ne peut être retenu. En effet, tout requérant peut solliciter l'aide juridictionnelle, y compris en cassation, dès lors que ses revenus sont insuffisants. En outre, si le contrôle de cassation ne porte que sur le droit applicable et non sur les faits du litige, il convient de rappeler que le Conseil d'Etat, saisi en cassation, demeure toujours attentif aux faits des affaires qui lui sont soumises et opère un contrôle de leur dénaturation éventuelle. Ainsi, appréciée de manière globale, la nouvelle procédure, prévue par le décret du 13 août 2013, offre des garanties nouvelles aux justiciables les plus vulnérables pour rendre plus efficace leur action en justice tout en rationalisant le traitement de ces contentieux. Une telle réforme devrait se traduire par une baisse du nombre d'ordonnances de rejet, par l'enrichissement du débat contradictoire et finalement par un meilleur traitement des requêtes. Elle ne méconnaît nullement l'égalité devant la justice ni le droit au recours et traduit au contraire une prise en compte plus effective de la spécificité du contentieux social. Il n'y a donc pas lieu de revenir sur son adoption.

Données clés

Auteur : Mme Sophie Rohfritsch

Type de question : Question écrite

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 28 janvier 2014
Réponse publiée le 2 septembre 2014

partager