cinéma
Question de :
M. Philippe Briand
Indre-et-Loire (5e circonscription) - Les Républicains
M. Philippe Briand attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur l'évolution de la politique de soutien public à la production cinématographique et audiovisuelle, conçue à la fin des années 1950 pour le cinéma et dans les années 1980 pour l'audiovisuel. Ce sujet a récemment fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes, à l'aune de l'émergence du numérique, l'apparition de nouveaux diffuseurs et de nouveaux modes de consommation. Cette évolution a principalement consisté en une augmentation très forte des aides publiques (+ 88 % au cours de la dernière décennie, soit quatre fois plus que les dépenses de l'État), sans remise en cause ni révision du modèle, et sans que les résultats obtenus ne permettent d'en attester aujourd'hui la complète pertinence. Compte tenu de ce constat, la Cour des comptes a formulé 21 recommandations, visant notamment à élaborer, par la voie d'un accord interprofessionnel, un devis-type de la production d'oeuvres audiovisuelles, faisant apparaître la rémunération du producteur. Il souhaite savoir si le Gouvernement entend donner suite à cette préconisation.
Réponse publiée le 2 septembre 2014
Le rapport public thématique de la Cour des comptes, relatif à la politique de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle, met en lumière les « résultats indéniables » d'une politique conduite en France avec vigueur et constance depuis plus de 65 ans. Cette politique repose avant tout sur un mode de financement dont la Cour souligne avec raison l'originalité : c'est un financement mutualiste et solidaire, qui ne pèse pas sur le budget général de l'État, et dans lequel une partie des revenus générés par les succès de l'exploitation des contenus audiovisuels est prélevée et « épargnée » pour être réinvestie dans la création originale française et européenne. C'est donc le principe même du fonds de soutien que d'évoluer non pas suivant la trajectoire du budget général de l'État, mais suivant la trajectoire économique des secteurs de la diffusion audiovisuelle. La Cour souligne à juste titre la révolution sans précédent que connaît le secteur de l'image animée sur la dernière décennie : le développement de l'Internet haut débit, la multiplication du nombre de chaînes de télévision, l'apparition de nouveaux modes de réception des contenus audiovisuels. Toutes ces évolutions ont considérablement accru la demande de programmes, tout en facilitant l'accès à des oeuvres venues du monde entier. Seule une politique publique dynamique peut permettre aux entreprises françaises, et aux oeuvres qu'elles produisent, de prendre toute leur place dans ce nouvel environnement. C'est tout le sens de la position française sur l'exception culturelle qui vise à exclure du droit commun des accords commerciaux internationaux l'audiovisuel et le cinéma. A défaut, seuls les opérateurs étrangers seront en situation de créer et de diffuser des contenus en quantité et en qualité suffisantes pour répondre à une demande en croissance très rapide. La Cour souligne d'ailleurs les risques qui apparaissent déjà aujourd'hui à ce sujet. La ministre de la culture et de la communication est donc très attachée à ce mode de financement et à sa nécessaire modernisation pour l'adapter à la nouvelle donne numérique, en particulier la réforme de la Taxe sur les services de télévision (TST - distributeurs et éditeurs) et la réforme de la taxe sur la vidéo à la demande pour y assujettir les opérateurs étrangers déployant une activité en France. Il ne lui semble donc pas pertinent de mettre en place de façon artificielle des plafonnements pluriannuels de dépenses, qui sont contraires à la logique même du fonds de soutien et des taxes affectées. La ministre est en revanche attentive à ce que le niveau du fonds de soutien corresponde à une part raisonnée d'intervention publique dans ce secteur. La ministre note par ailleurs les recommandations de la Cour sur les autres dispositifs fiscaux qui concourent à la politique de soutien à la production cinéma et audiovisuelle, en particulier l'importance de revitaliser le dispositif des Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA), préconisation qui reprend celles exprimées par les rapports Lescure et Bonnell. S'agissant des crédits d'impôt, elle constate pour sa part qu'ils ont eu un effet réel de diminution sur le taux de délocalisation des tournages. C'est précisément pour les adapter à la nouvelle donne internationale - la Cour relève à juste titre la concurrence fiscale existant en la matière - qu'ils ont été modifiés en 2012 et 2013, à l'issue d'études précises et détaillées qui ont montré leur perte de compétitivité par rapport aux autres dispositifs concurrents mis en place dans les autres pays européens ou extra-européens (Canada notamment). Si la ministre ne peut que déplorer, comme la Cour, la surenchère à laquelle se livrent les États membres, elle observe que celle-ci repose précisément sur le constat partagé par l'ensemble des États des bénéfices économiques induits par la localisation de tournages, bénéfices mis en lumière, en France, par l'étude indépendante Greenwich, et au Royaume-Uni, par l'étude Oxford Economics. Compte tenu de cet impact économique direct pour l'emploi, la croissance, et pour les recettes fiscales et sociales de l'État, il ne lui semble pas pertinent de revenir sur les réformes adoptées en 2012 et 2013, qui viennent à peine d'entrer en vigueur, sous peine d'incohérence de la politique publique, et avec un effet dévastateur sur les choix d'investissement des entreprises. S'agissant des dispositifs de soutien, la ministre partage l'avis de la Cour sur la nécessité de les réformer en profondeur pour les adapter au nouvel environnement numérique. Ce travail est d'ores et déjà largement engagé. Il a permis d'accompagner avec succès la numérisation des salles de cinéma, la création audiovisuelle pour les nouveaux médias, ou bien encore, de façon plus modeste, la numérisation du patrimoine cinématographique. Cette modernisation se poursuit, dans le prolongement des rapports Lescure et Bonnell, qui ont permis d'établir un diagnostic précis et partagé des défis des secteurs de l'image animée. Il ne semble donc pas à la ministre qu'on puisse parler de « risque d'essoufflement ». Les préoccupations de la Cour des comptes relatives au soutien au cinéma sont également celles identifiées dans la lettre de mission de Monsieur René Bonnell en 2013. Les recommandations de la Cour sont cohérentes avec les thèmes qui structurent aujourd'hui le travail engagé par les professionnels, sous l'égide du CNC : la réforme du financement, pour un meilleur équilibre entre un préfinancement qui reste essentiel à la diversité de la création et un financement selon une logique d'investissement ; la transparence et le partage des risques ; la diffusion et la distribution, enjeux majeurs mis en avant par la Cour. Par ailleurs, si le régime de diffusion des films à la télévision devait, comme le préconise la Cour, être modifié, il conviendrait d'envisager cet examen dans le cadre d'une réflexion globale tenant compte notamment d'éventuelles évolutions du régime de contribution des chaînes à la production cinématographique. La concertation menée en 2011 par le ministère de la culture et de la communication sur les « jours interdits » avait en effet mis en avant la forte disparité des attentes des diffuseurs à l'égard d'une évolution du régime ainsi que les enjeux liés à l'équilibre global du financement et de l'exposition du cinéma qui en découlent. S'agissant du soutien à la production audiovisuelle, la réforme des décrets « production » qui interviendra, suite au rapport remis par Monsieur Laurent Vallet en 2014, ainsi que les réformes conduites par le CNC, notamment celle du documentaire annoncée par la ministre en janvier dernier, lui semblent de nature à répondre aux enjeux mis en lumière par la Cour, qu'il s'agisse d'un meilleur équilibre entre les producteurs et les diffuseurs, d'une plus grande structuration du secteur de la production ou d'une plus grande transparence. Il faut, lui semble-t-il, souligner que les résultats de cette politique sont depuis 2012 en nette amélioration, qu'il s'agisse des succès d'audience, des succès critiques (en témoigne notamment le récent palmarès du Festival international des programmes audiovisuels à Biarritz, qui a consacré des oeuvres françaises en fiction comme en documentaire) ou de l'exportation. Le renforcement des aides à l'écriture et au développement de programmes, annoncé en janvier dernier, doit conforter ce renouveau et contribuer à le pérenniser. En revanche, la ministre n'est pas favorable à la prise en compte d'un critère d'audience dans le calcul du soutien automatique à la production audiovisuelle : elle note que la Cour elle même rappelle les effets pervers qu'engendrerait une telle démarche, qui ont été soulignés par le CNC et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Cependant, la prise en compte de l'exportation, également suggérée, est une piste intéressante et déjà mise en oeuvre dans le cadre de la réforme du soutien au documentaire. La ministre souhaite par ailleurs que, de façon générale, la qualité des programmes soit davantage valorisée, au lieu d'une focalisation exclusive sur la mesure quantitative de l'audience, et c'est la raison pour laquelle elle a demandé à l'Institut national de l'audiovisuel de travailler à un instrument de mesure de cette nature. S'agissant des commandes de programmes de l'audiovisuel public, la Cour prend acte des engagements pris par France Télévisions dans son avenant 2013-2015 au contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2015 en matière de déontologie et de transparence dans les relations avec les producteurs. Elle fait néanmoins observer que le groupe public doit veiller à la formalisation rigoureuse des procédures d'achats de programmes de stock. La ministre partage pleinement cette préoccupation et elle est très attachée à ce que France Télévisions, en cohérence avec les objectifs de son avenant au COM, mette en oeuvre des mécanismes visant à éviter les conflits d'intérêt et à favoriser une mise en concurrence transparente des producteurs de programmes. En conséquence, un groupe de travail composé de France Télévisions, de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et du CNC sera prochainement réuni pour proposer des mesures précises. S'agissant des obligations d'investissement des sociétés audiovisuelles publiques, la ministre précise que l'article 9 du cahier des charges de France Télévisions dispose qu'elles sont déterminées en proportion du chiffre d'affaires annuel net de référence de l'exercice précédent. L'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit par ailleurs que, dans le COM, ces obligations d'investissement soient exprimées en valeur absolue. Ces montants en valeur absolue sont donc déterminés en fonction de la trajectoire de ressources que l'État et l'entreprise conviennent d'inscrire dans le plan d'affaires du COM. La Cour souligne enfin la nécessité de davantage structurer une offre française délinéarisée qui soit capable de rivaliser avec les grands opérateurs étrangers, notamment américains. Cette ambition est aussi celle de la ministre de la culture et de la communication. La mise en place d'un soutien automatique à la vidéo à la demande, à l'instar de ce qui existe pour la vidéo physique, dont la ministre note que la Cour estime qu'il « répond au besoin de structuration du secteur », est malheureusement depuis plusieurs années à l'examen de la Commission européenne, alors qu'il s'agit là encore d'un dispositif nécessaire et urgent pour renforcer les industries européennes de la diffusion, au bénéfice non seulement de la croissance et de l'emploi en Europe, mais aussi de la diversité culturelle et des publics européens, qui auront ainsi davantage de choix au sein d'une offre variée, plutôt que dominée par quelques acteurs extra-communautaires. Si l'évolution du cadre de régulation français est en effet nécessaire, il faut souligner, peut être davantage que ne le fait la Cour, l'importance d'une évolution concomitante des règles communautaires, pour réaffirmer l'appartenance pleine et entière des services culturels numériques au champ de l'exception culturelle. C'est tout le sens du combat mené par la France, sous l'impulsion du Président de la République et du Premier ministre, avec le soutien des professionnels du cinéma et de l'audiovisuel et celui des CNC européens, lors de l'adoption du mandat de négociation de la Commission européenne pour le traité de libre-échange transatlantique. La question de l'application de la règle du pays de consommation en matière de régulation des services de télévision et de services de médias à la demande, et la question de la concurrence fiscale doivent également être abordées, pour éviter les distorsions de concurrence qui affaiblissent avant tout les opérateurs européens, au détriment de la création et de la culture française et européenne. La modernisation que la Cour appelle avec justesse de ses voeux passe nécessairement par ces évolutions.
Auteur : M. Philippe Briand
Type de question : Question écrite
Rubrique : Arts et spectacles
Ministère interrogé : Culture et communication
Ministère répondant : Culture et communication
Dates :
Question publiée le 13 mai 2014
Réponse publiée le 2 septembre 2014