Question de : M. Thierry Lazaro
Nord (6e circonscription) - Les Républicains

M. Thierry Lazaro attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la publication par la Cour des comptes, le 11 mars 2015, d'un référé sur la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales. L'exercice des missions de police judiciaire se caractérise notamment par une coopération encore insuffisante entre services de police et entre ceux-ci et unités de gendarmerie, par une grande disparité entre ces services dans l'élucidation des crimes et des délits et par une répartition territoriale déséquilibrée des effectifs par rapport au nombre et à la gravité des faits à traiter. Il souhaite donc connaître la suite qu'il entend réserver à la recommandation de la Cour visant à améliorer la répartition territoriale des effectifs entre les services d'enquêtes de la sécurité publique, d'une part, et les unités de la gendarmerie départementale, d'autre part, de façon à remédier à la grande dispersion du taux d'élucidation des faits de délinquance.

Réponse publiée le 5 juillet 2016

Le ministre de l'intérieur et ses services ont pris connaissance avec attention du référé du 22 décembre 2014 de la Cour des comptes relatif à la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales. Le ministre de l'intérieur a communiqué ses observations à la Cour le 20 février 2015, par un courrier consultable sur le site internet de la Cour. S'agissant de la recommandation no 1, le ministre de l'intérieur partage l'avis de la Cour des comptes sur la nécessité de développer l'échange de renseignements opérationnels entre les services d'enquête de la police nationale et, les unités d'enquête de la gendarmerie nationale. Il y a lieu toutefois de souligner que cette recommandation s'inscrit dans la continuité des mesures importantes déjà prises depuis plusieurs années aussi bien au sein de la police nationale (actions transversales menées par la direction centrale de la police judiciaire, par exemple en matière de police technique est scientifique…) qu'entre la police et la gendarmerie (mutualisation du fichier d'antécédents judiciaires, structures communes telles que les cellules anti-cambriolages, etc.). La Cour ne souligne pas suffisamment ou sous-estime les apports des évolutions déjà enregistrées, quoiqu'elle en évoque certaines. La structuration d'une véritable filière de l'information criminelle est en cours. Ces orientations ont d'ailleurs été poursuivies en 2014 par la constitution de groupes de travail associant la police nationale (direction centrale de la police judiciaire de la direction générale de la police nationale et direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris) et la gendarmerie nationale (sous-direction de la police judiciaire) afin, d'une part, d'étudier la place des instances de coordination au niveau stratégique et opérationnel et, d'autre part, de réviser la charte de diffusion de l'information entre police nationale et gendarmerie nationale. Enfin sur la base du fichier national des objectifs en matière de stupéfiants (FNOS), un fichier national des objectifs basé sur un périmètre territorial et non plus sur un type d'infractions pourrait être constitué, suite à une expérimentation en 2015 d'une telle extension du FNOS en Corse et aux Antilles-Guyane. S'agissant de la recommandation no 2 (« Arrêter un protocole cadre national sur une répartition indicative des compétences judiciaires entre les services de la police et les unités de la gendarmerie, décliné à travers des protocoles locaux, afin de limiter les effets de la concurrence dispendieuse entre les deux forces dans la lutte contre la grande délinquance »), elle relève avant tout de l'appréciation du ministre de la justice, que la Cour des comptes a également saisi. Le ministre de l'intérieur souligne toutefois que s'il partage évidemment le souci d'éviter des concurrences, inopportunes au plan opérationnel et potentiellement coûteuses, il n'en convient pas moins de se garder de toute construction rigide qui ne s'appuierait pas sur les domaines d'excellence de chaque service et briderait l'émulation. En revanche, le ministre serait favorable à un protocole de coordination plus structurée des services, établissant plus clairement les modalités d'échanges d'information, d'alimentation et de partage du renseignement criminel. Dans le prolongement de la première recommandation insistant sur la coopération opérationnelle, la cosaisine constitue une solution pragmatique de coopération judiciaire évitant par la même les effets de concurrence dispendieuse, dans le cadre de phénomènes impactant tant la zone de compétence de la gendarmerie que de la police. Le ministre de l'intérieur est opposé à la recommandation no 3 (« Adopter, dans les services de sécurité publique, un référentiel d'emploi pour les services d'enquêtes judiciaires (sûretés et brigades urbaines), complémentaire de celui appliqué aux directions départementales et aux circonscriptions »), qui créerait un critère surabondant dans la répartition des effectifs. Dans les services de la direction centrale de la sécurité publique en particulier, la répartition des effectifs du corps d'encadrement et d'application est effectuée sur la base d'un effectif départemental de fonctionnement annuel (EDFA), couplé à un référentiel des officiers de police judiciaire qui intègre des données judiciaires plus précises que l'EDFA. Pour autant, il est évidemment nécessaire de progresser dans le pilotage fin de la répartition des effectifs. Mais des indicateurs adéquats – autres que ceux proposés par la Cour – doivent être adoptés, par exemple l'accroissement des moyens dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP). Il est essentiel par ailleurs de ne pas revenir sur le pouvoir dont dispose un chef d'unité de déployer les effectifs à disposition pour prendre en compte telle ou telle évolution de la délinquance. Le ministre de l'intérieur est opposé à la recommandation no 4 ("mettre en place au sein de la gendarmerie nationale, un référentiel de répartition des effectifs entre régions de gendarmerie, groupement de gendarmerie departementaux, et unités de base (brigade de recherches – brigades territoriales), qui identifie les différents paramètres représentatifs de leur niveau d'activité."). La mise en place d'un référentiel de répartition des effectifs, au regard du seul niveau d'activité des unités en police judiciaire,  ne semble pas réalisable en raison de la logique de subsidiarité fonctionnant en gendarmerie. Toutefois, les brigades territoriales et les brigades de recherches disposent, à ce jour,  d'un référentiel de répartition des effectifs permettant de définir leur socle en effectif (socle minimum de 4 ETP). Celui-ci est basé d'une part pour les unités territoriales,  sur le nombre d'habitants mais aussi les points d'intérêts vitaux, les transfèrements et le nombre de faits constatés et, d'autre part, pour les brigades de recherches, unités spécialisées,  sur le niveau de crimes et délits. Ce mode de calcul multicritères permet de prendre en compte l'ensemble des missions et de repondre aux nécessités du service. S'agissant de la « rationalisation […] du réseau des antennes de police judiciaire implantées dans des villes dotées d'une sûreté urbaine ou dans des départements où une large part de la délinquance est enregistrée en zone de gendarmerie » (recommandation no 5), elle doit être étudiée finement, selon des critères différents de ceux évoqués par la Cour. Pour autant, le ministre de l'intérieur rejoint la Cour sur la nécessité de continuer à faire évoluer le maillage local, qui doit être adapté à la délinquance, à la fois en termes de structure et de volume. Cependant, la répartition géographique des compétences entre services atteint ses limites lorsque, ne se substituant par les uns aux autres, ils travaillent de manière complémentaire. La redéfinition du réseau doit donc s'appuyer sur la cohérence opérationnelle. Cette recommandation no 5 de la Cour des comptes ("amplifier le mouvement de rationalisation de l'implantation des brigades de gendarmerie et des brigades de recherches dont l'activité est la plus faible"), rejoint l'analyse et la mise en application de cette dernière par la gendarmerie nationale. Le mouvement d'adaptation du maillage territorial est constant pour répondre du mieux possible aux enjeux de sécurité. Ainsi, depuis 2009, 230 brigades territoriales ont été dissoutes. Par ailleurs, "l'autonomisation" des unités est déjà en oeuvre, les communautés de brigades étant progressivement transformées en brigades autonomes. Concernant les brigades de recherches à faible taux d'activité, la rationalisation des implantations apparaît plus difficile à réaliser. Quel que soit le volume de leur effectif, elles apportent régulièrement leur aide aux unités territoriales en prenant notamment à leur compte les affaires judiciaires les plus importantes. Leur action en subsidiarité assure un fonctionnement optimisé de la police judiciaire. En ce sens, leur suppression pénaliserait les brigades territoriales qui verraient augmenter leur charge, les sections de recherches ne se saisissant que des affaires liées à la grande délinquance. Cependant, chaque fois que la configuration opérationnelle locale le permet, des réorganisations ont lieu. Ainsi, dans le Gers, la Creuse et le Territoire de Belfort il existe une seule brigade de recherches. Enfin, s'agissant de la recommandation no 6 (« Améliorer la répartition territoriale des effectifs entre les services d'enquête de la sécurité publique, d'une part, et les unités de la gendarmerie départementale, d'autre part, de façon à remédier à la grande dispersion du taux d'élucidation des faits de délinquance »), elle ne semble pas pertinente sous cette forme, la dispersion alléguée des taux d'élucidation des faits de délinquance n'étant pas un constat partagé par le ministère de l'intérieur. En effet, les résultats obtenus par la Cour pour établir ses constats et ses préconisations sont fondés sur une méthode de calcul du taux d'élucidation globale qui ne prend pas en compte l'organisation des services et la structure de la délinquance et qui, par conséquent, ne permet pas des comparaisons pertinentes entre services. Ces observations ne remettent pas en cause l'objectif de meilleure adéquation des effectifs aux besoins en sécurité assigné au directeur général de la police nationale. C'est d'ailleurs dans cette optique que, pour la gestion 2015, a été mis en place, entre la direction générale de la police nationale et les directions actives de police, un dialogue de gestion pour les ressources humaines afin de développer de nouveaux outils permettant une meilleure répartition des effectifs en termes quantitatifs et qualitatifs. Il convient par ailleurs de souligner que les redéploiements sont d'abord guidés par des critères d'optimisation de l'organisation et de l'emploi des moyens de la police et de la gendarmerie sur des territoires homogènes et dans le respect des équilibres entre les deux forces. Dans ce cadre, la police judiciaire est effectivement prise en compte, ce qui doit permettre de réduire les écarts constatés. Pour autant, le taux d'élucidation tient à des facteurs multiples liés à la typologie de la délinquance, à l'expérience des personnes, à l'environnement géographique et sociologique… En tout état de cause, il ne saurait constituer le seul critère d'organisation des unités territoriales. 

Données clés

Auteur : M. Thierry Lazaro

Type de question : Question écrite

Rubrique : Sécurité publique

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 7 avril 2015
Réponse publiée le 5 juillet 2016

partager