substances illicites
Question de :
M. Pierre Morel-A-L'Huissier
Lozère (1re circonscription) - Les Républicains
M. Pierre Morel-A-L'Huissier attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur le rapport sur l'évaluation de la lutte contre l'usage de substances illicites. Il préconise de lutter contre les nouvelles drogues de synthèse en développant et accélérant les interdictions des nouvelles drogues de synthèse par familles de molécules et en renforçant les outils de suivi du trafic sur internet et développer les réponses pénales correspondantes. Il souhaiterait connaître son avis sur le sujet.
Réponse publiée le 10 novembre 2015
La lutte contre la drogue constitue un problème économique, sanitaire, social et sécuritaire grave. Aux côtés d'autres acteurs publics (Douanes, ministère de la justice, ministère de la santé, etc.), les services du ministère de l'intérieur sont activement engagés dans ce combat, notamment dans la répression du trafic de stupéfiants qui nourrit les phénomènes de criminalité organisée et d'économie souterraine. Les forces de l'ordre sont par ailleurs en première ligne pour appréhender les effets concrets de la consommation de drogue (overdoses, accidents de la circulation routière, troubles à l'ordre public, etc.). L'importante consommation de substances psychoactives (notamment de cannabis) par les mineurs et les jeunes adultes français et leur entrée en consommation précoce par rapport à leurs voisins européens plaident en faveur d'un renforcement des actions de prévention et de réduction de la demande, parallèlement à la poursuite des actions répressives. Les recommandations du rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre l'usage de substances illicites, présenté le 20 novembre 2014 par les députés Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli, ont donc naturellement retenu toute l'attention du ministère de l'intérieur. S'agissant de la proposition n° 1, le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 prévoit d'évaluer, d'actualiser et d'uniformiser la formation initiale des policiers formateurs anti-drogue (PFAD) et des formateurs relais anti-drogue de la gendarmerie (FRAD). Elle s'est déjà traduite par la signature d'une convention entre la police et la gendarmerie le 21 février 2013, en vertu de laquelle les formations initiale et continue de PFAD dispensées à l'Institut national de formation de la police nationale ont été ouvertes à des FRAD. Un colloque réunissant 80 PFAD et FRAD en novembre dernier a par ailleurs permis de consolider leurs compétences pédagogiques, tout en favorisant les échanges et l'identification de pistes d'optimisation du dispositif. A sa suite, un groupe de travail commun, piloté par la Mission de lutte anti-drogue (MiLAD), structure mixte police-gendarmerie placée sous la double tutelle des directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale, s'attachera au cours de l'année 2015 à moderniser et à améliorer le dispositif. Le constat, établi dans le rapport parlementaire, du caractère hétérogène de la répartition géographique des interventions des PFAD et des FRAD et de la nécessité d'une meilleure coordination à l'échelle départementale et nationale sera pris en considération. Ce renforcement de l'animation et du suivi des actions de prévention se traduira par un travail accru de coordination, sous l'égide des préfets de département, relais locaux chargés de l'action interministérielle de prévention animée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. L'objectif vise à rationaliser l'emploi des formateurs anti-drogue. Si les moyens humains de la police et de la gendarmerie en matière de formateurs ne permettent pas d'envisager la sensibilisation de l'ensemble des élèves, le développement de cette coordination permettra de définir des priorités d'action adaptées aux problématiques locales. Concernant la proposition n° 3, il convient en premier lieu de souligner que, majoritairement produits par des laboratoires localisés en Chine et en Inde puis vendus par internet et acheminés par fret postal, les nouvelles drogues de synthèse (NDS) ou nouveaux produits de synthèse (NPS) produisent des effets psychotropes analogues à ceux des substances illicites classiques et présentent sur le plan sanitaire des risques avérés de perturbations graves et potentiellement mortelles du système nerveux central, d'overdoses ou de troubles psychiques pouvant conduire à des accidents ou à des suicides. Leurs effets à moyen et long termes demeurent également inconnus. Les structures chimiques inédites de ces substances permettent toutefois aux acteurs de ce trafic de contourner la législation applicable aux produits stupéfiants entre le moment de l'apparition de ces substances sur le marché et la date de leur éventuelle inscription sur la liste des produits stupéfiants ou psychotropes, après détection et confirmation de leur caractère dangereux au regard des critères définis par l'Organisation mondiale de la santé. A cet égard, l'accélération des procédures d'interdiction et le recours au classement des nouvelles drogues de synthèse par famille de molécules constituent une approche souhaitable. Ce principe a précisément prévalu dans la publication de l'arrêté du 27 juillet 2012 du ministre de la santé pénalisant l'ensemble du groupe de substances appartenant à la famille des cathinones. Une proposition de règlement relatif au contrôle des NPS est par ailleurs en cours de discussion au sein des institutions de l'Union européenne, prévoyant notamment une accélération du processus de mise sous contrôle. Si la décision et le processus de classement d'une substance incombent en France à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, il convient de souligner l'implication des laboratoires de l'Institut national de police scientifique et de l'Institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale dans le processus de détection des NDS, d'identification et d'alerte sanitaire (analyses d'échantillons de produits saisis, recherche de traces de NDS dans les prélèvements sanguins effectués sur des personnes décédées ou sur certains auteurs de crimes et délits...). L'Institut national de police scientifique occupe en outre une place particulière dans ce dispositif de veille au titre de la convention qui le lie à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, organisant le partage d'informations sanitaires ainsi que le recueil et l'analyse d'échantillons de produits repérés et transmis par des correspondants de terrain afin d'assurer une détection rapide de nouvelles substances. Une seconde convention passée avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé prévoit l'alimentation par l'INPS des études DRAMES (décès en relation avec l'abus de médicaments et substances) et SouChi (soumissions chimiques). Dans le cadre des analyses en toxicologie pour des recherches des causes de la mort, ou en cas de suspicion de soumission chimique, les laboratoires signalent ainsi les éventuelles découvertes de produits toxiques et leurs caractéristiques chimiques afin de permettre, le cas échéant, le lancement d'une procédure de classement. Le classement d'une NDS sur la liste des produits stupéfiants ou psychotropes demeure quoiqu'il en soit la condition sine qua non de toute action répressive, la réglementation spécifique propre aux médicaments ne pouvant être appliquée aux NDS consommées à des fins récréatives (arrêt du 10 juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires jointes C-358/13 et C-181/14 relatives à des cannabinoïdes de synthèse). L'adoption de dispositions pénales spécifiques au trafic de NPS ne semble pas opportune, puisqu'un nouveau produit de synthèse, dès lors qu'il est classé, est assimilé à n'importe quel autre produit stupéfiant classique et visé comme tel par les mêmes incriminations. S'agissant du renforcement des outils de suivi du trafic sur internet et du développement des réponses pénales correspondantes, il apparaît effectivement, dans un certain nombre d'enquêtes, notamment celles relatives à des overdoses, que des consommateurs de stupéfiants ont acquis les produits sur des sites internet. Ces sites peuvent proposer à la vente des nouvelles drogues de synthèse mais également, de plus en plus, des produits stupéfiants référencés comme tels. Les trafiquants compliquent leur identification en répartissant dans divers pays les différentes étapes de la commercialisation des produits (hébergement du site, adresse de paiement, lieu de stockage et d'expédition des colis, etc.). S'agissant de la lutte contre le trafic sur internet et la surveillance des nombreux sites potentiellement impliqués, les services du ministère de l'intérieur disposent de différents outils. L'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication de la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité de la direction centrale de la police judiciaire administre la plate-forme PHAROS, qui recueille les signalements de contenus illicites sur internet. Ces signalements sont, chaque fois que nécessaire, transmis pour enquête aux services de police ou de gendarmerie territorialement compétents. Par ailleurs, la division de lutte contre la cybercriminalité du service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale s'est dotée d'un logiciel qui permet de faciliter la détection des contenus illicites sur internet (et sur le DarkNet) et d'engager des investigations de type cyberpatrouilles. Juridiquement, les cyber-enquêteurs de la police et de la gendarmerie sont désormais en capacité de mettre en oeuvre la procédure d'enquête sous pseudonyme (« cyber-infiltration »). En application de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, les dispositions autorisant l'enquête sous pseudonyme sont en effet désormais applicables aux infractions mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale, dont le trafic de produits stupéfiants. Ces dispositions seront en particulier utiles aux enquêteurs de l'Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants de la direction centrale de la police judiciaire, en première ligne dans la lutte contre le trafic de drogue. Enfin, il y a lieu de noter que c'est l'ensemble de la chaîne pénale qui se mobilise face aux dangers d'internet en la matière : en témoignent la création en 2014 d'un pôle de lutte contre la cybercriminalité au sein du parquet du tribunal de grande instance de Paris et du parquet du tribunal de grande instance de Nanterre, ainsi que la mise en place en février 2015 d'une mission cybercriminalité au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice. S'agissant, enfin, de la proposition n° 12, il convient à titre liminaire de rappeler que les statistiques du ministère de l'intérieur correspondent à la comptabilisation de la totalité du nombre de personnes mises en cause par les forces de l'ordre. Il s'agit de personnes interpellées par les services de police ou de gendarmerie, à l'encontre desquelles ont été réunis des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis le délit d'usage de produits stupéfiants. Ainsi, la différence relevée entre le nombre de personnes mises en cause par les forces de l'ordre et le nombre de dossiers orientés par les parquets s'explique par des modalités de comptabilisation propres à chacune de ces institutions. La situation mise en lumière par le rapport parlementaire s'explique notamment par des problèmes de comparabilité des nomenclatures de collecte, de codification et d'unité de compte. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure du ministère de l'intérieur, en association étroite avec son homologue du ministère de la justice, entame une analyse approfondie sur plusieurs années afin d'expliquer l'origine de ces écarts. Les évolutions récentes des systèmes d'information utilisés par les deux ministères permettent de disposer désormais d'une nomenclature commune d'infractions en lien direct avec le code pénal. Ce rapprochement devrait faciliter l'harmonisation des statistiques des ministères de l'intérieur et de la justice et la définition d'indicateurs communs permettant une réelle analyse comparative.
Auteur : M. Pierre Morel-A-L'Huissier
Type de question : Question écrite
Rubrique : Drogue
Ministère interrogé : Affaires sociales, santé et droits des femmes
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 7 juillet 2015
Réponse publiée le 10 novembre 2015