politique à l'égard des handicapés
Question de :
M. Christophe Premat
Français établis hors de France (3e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain
M. Christophe Premat interroge Mme la secrétaire d'État, auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion sur l'applicabilité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux personnes en situation de handicap, dans les rapports que ces dernières entretiennent avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour le service du droit à compensation institué par l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles. En effet, les personnes en situation de handicap sont admises à présenter leur demande auprès des MDPH pour obtenir, en vertu de l'article L. 241-6 du même code, le service de divers droits destinés à rendre cette compensation effective et, notamment, la reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé (RQTH). Sur ce point, la troisième sous-section du Conseil d'État a pu juger, par un arrêt du 30 juillet 2003 (n° 230226), que toute contestation de la décision de la commission d'orientation, en ce ladite décision affecte leur garantie de ressources ainsi que leurs conditions d'accès à la vie professionnelle, porte nécessairement sur l'exercice de droits et obligations à caractère civil au sens de l'article 6 paragraphe 1er de la CEDH. Or un arrêt récent de la première sous-section du Conseil d'État, en date du 31 juillet 2015 (n° 387861), vient d'opérer un virement de jurisprudence pour le moins inquiétant, considérant que les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), en tant qu'elles se bornent à statuer sur les demandes qui leur ont été présentées sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, ne prennent pas de décisions afférentes à l'exercice de droits et obligations à caractère civil et que, partant, les garanties procédurales fondamentales que procure l'article 6 paragraphe 1er de la CEDH ne leur sont pas opposables. Une telle divergence de jurisprudence, outre l'atteinte qu'elle cause au respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime consacrés tant par le droit européen que par le droit constitutionnel, revient à disqualifier purement et simplement les personnes en situation de handicap en tant que sujets de droit, alors même que l'exigence primordiale d'égalité des droits formulée par la représentation nationale a abouti à la promulgation des lois n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Par ailleurs, si cet arrêt, rendu dans une espèce relative à une décision de RQTH, devait être considéré comme exprimant valablement le nouvel état du droit, alors sa solution serait par analogie applicable à l'ensemble des décisions d'orientation vers des établissements et services sociaux ou médico-sociaux voire à d'autres registres de l'exercice du droit à compensation, comme le service de la prestation de compensation du handicap (PCH) et des autres allocations instituées par le législateur ou encore le bénéfice des aides humaines et techniques. Au demeurant, alors même que le Gouvernement est actuellement engagé, à l'occasion du chantier qu'il consacre aux juridictions du XXIème siècle, dans des travaux de nature à refonder l'organisation et le fonctionnement des juridictions de l'action sociale, ce revirement de jurisprudence interdirait aux plaideurs d'invoquer en cette matière le bénéfice de l'article 6 paragraphe 1er de la CEDH devant les juridictions administratives de droit commun et les juridictions spécialisées que sont les tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI), la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (CNITAAT), les commissions départementales d'aide sociale (CDAS) et la Commission centrale d'aide sociale (CCAS). Ainsi ces justiciables seraient-ils privés de garanties aussi fondamentales que le droit à un procès équitable, public et impartial intervenant dans un délai raisonnable, ce qui ne saurait se concevoir dans notre État de droit. Cela serait d'autant plus grave que les juridictions de l'action sociale sont constituées selon un principe d'échevinage qui rend particulièrement opportune les exigences processuelles d'indépendance et d'impartialité, ainsi que le Conseil constitutionnel a pu le rappeler dans sa décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012 et comme, de son côté, l'ont également admis les juges du Palais royal s'agissant de la composition des juridictions de la tarification sanitaire et sociale (CE, 30 janvier 2008, association OREAG, n° 274556). Enfin, cette nouvelle orientation de la jurisprudence administrative serait le prélude à de prochaines condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme, sans préjudice d'une réprobation communautaire pleinement justifiée par une violation patente des articles 2, 3 et 6 du traité sur l'Union européenne. Au surplus, dans la mesure où cet arrêt du Conseil d'État du 31 juillet 2015 vient opportunément préserver les intérêts financiers des MDPH alors que ces dernières prennent des délais bien trop longs, tels les dix-huit mois dénoncés par le requérant qui fut pourtant débouté au cas d'espèce, pour instruire les demandes dont elles sont saisies, alors même que ces demandes présentent évidemment un caractère urgent pour les personnes en situation de handicap qui pâtissent au quotidien de ces lenteurs, il ne saurait être question de laisser prospérer une dérogation aux droits de l'Homme à ce point inique et contraire à l'intention du Parlement. Aussi, il demande les dispositions qu'elle entend prendre pour que soient complétées les dispositions législatives du code de l'action sociale et des familles relatives au droit à compensation, afin qu'il ne puisse plus être discuté que l'exercice de ce dernier, devant les MDPH comme devant l'ensemble des juridictions de l'action sociale, ressorti indubitablement à la catégorie des droits et obligations à caractère civil que l'article 6 paragraphe 1er de la CEDH garantit.
Auteur : M. Christophe Premat
Type de question : Question écrite
Rubrique : Handicapés
Ministère interrogé : Handicapés et lutte contre l'exclusion
Ministère répondant : Personnes handicapées et lutte contre l'exclusion
Date :
Question publiée le 18 août 2015