14ème législature

Question N° 872
de Mme Sophie Dion (Union pour un Mouvement Populaire - Haute-Savoie )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social
Ministère attributaire > Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social

Rubrique > industrie

Tête d'analyse > emploi et activité

Analyse > industrie du décolletage. perspectives.

Question publiée au JO le : 27/01/2015 page : 461
Réponse publiée au JO le : 04/02/2015 page : 803

Texte de la question

Mme Sophie Dion attire l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur les difficultés rencontrées par les entreprises de l'industrie du décolletage dans la vallée de l'Arve en Haute-Savoie. Ce secteur, véritable fleuron de l'industrie française connu dans le monde entier, emploie 14 000 salariés sur un total de 600 PME et devrait créer 3 000 postes en dix ans. Tous les acteurs de la filière (syndicat national du décolletage, pôle de compétitivité Mont-Blanc Industries, centre technique de l'industrie du décolletage, entreprises) se mobilisent depuis de nombreuses années pour insuffler une dynamique territoriale de valorisation des formations et des métiers industriels. Mais les entreprises peinent à recruter car, à peine formés, les employés qualifiés vont travailler chez les concurrents, en particulier en Suisse. Si le contrat d'apprentissage à durée indéterminée créé par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale apporte une sécurité pour l'avenir professionnel de ces jeunes, il ne répond pas aux attentes des chefs d'entreprises. La mise en place de mesures permettant à l'entreprise de garder le jeune apprenti pendant une durée égale à sa formation ou, en cas de départ, d'obtenir le remboursement d'une partie des charges financières engagées, comme cela existe déjà dans la fonction publique, serait une bonne solution. Elle lui demande donc quelle est la position du Gouvernement sur cette proposition et quelles mesures il entend mettre en œuvre pour lever les freins au développement de la formation professionnelle en entreprise.

Texte de la réponse

DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR LES ENTREPRISES DE DÉCOLLETAGE DE LA VALLÉE DE L'ARVE EN HAUTE-SAVOIE


M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion, pour exposer sa question, n°  872, relative aux difficultés rencontrées par les entreprises de décolletage de la vallée de l'Arve en Haute-Savoie.

Mme Sophie Dion. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, nous avons en Haute-Savoie, dans la vallée de l'Arve, un fleuron de l'industrie française : le décolletage. Ce sont 600 PME, dont le savoir-faire est mondialement reconnu, qui emploient 14 000 salariés et réalisent 65 % du chiffre d'affaires du décolletage français sur un territoire de 30 kilomètres.

En 2011, pour faire face à la crise et dynamiser ce secteur industriel, les acteurs de la filière – le Syndicat national du décolletage, le Centre technique du décolletage, le pôle de compétitivité Mont-Blanc Industrie et les entreprises – se sont dotés d'un plan stratégique baptisé Expansion 2020.

Le secteur du décolletage et de la mécatronique a besoin, chaque année, de 1 500 jeunes diplômés. Une chance pour ces jeunes de trouver un emploi en cette période d'augmentation constante et vertigineuse du taux de chômage. Toute la filière se mobilise pour valoriser les métiers de l'industrie auprès des jeunes et attirer les talents, notamment à travers le Salon des métiers industriels et de l'entreprise, SMILE, dont la septième édition accueillera, du 2 au 5 mars prochain, les 2 259 élèves de classes de quatrième et de troisième de la vallée de l'Arve.

Se former au décolletage, monsieur le ministre, c'est être assuré d'avoir un emploi demain. Plus de 80 % des apprentis trouvent un emploi à l'issue de leur formation : c'est plus que la moyenne nationale. Les entreprises de la vallée de l'Arve peinent pourtant à recruter car, à peine formés, ces jeunes employés quittent la France pour travailler chez des concurrents, en particulier en Suisse. Le poids des charges fiscales et sociales, qui réduisent de manière drastique le taux de marge des entreprises, le coût du travail, les lourdes contraintes administratives et, plus récemment, la hausse du franc suisse, ne permettent pas à ces PME d'inverser la tendance.

Or vous savez bien, monsieur le ministre, que former un jeune, pour une entreprise, c'est un pari pour l'avenir. Il faut donc soutenir les entreprises dans cette démarche. Je vous propose une solution : pourquoi ne pas prendre des mesures pour permettre aux entreprises de garder, au moins un certain temps, les jeunes apprentis ? Il faudrait pour cela un mécanisme comparable à une clause de dédit-formation, comme cela existe dans la fonction publique ou dans les grandes écoles, où l'on pratique ce que l'on appelle le pantouflage. Ce serait un bon moyen de valoriser l'apprentissage et d'inciter les jeunes à rester dans les entreprises qui les ont formés.

Je souhaite, monsieur le ministre, savoir quel est votre sentiment à propos de cette situation, et quelle est votre position sur ces propositions. Elles permettraient de lever les freins au développement de l'apprentissage et contribueraient à atteindre l'objectif de 500 000 apprentis en 2017, objectif qui a été fixé, je le rappelle, par votre gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, il s'agit là d'un problème très précis, lié – là encore – à des problèmes frontaliers, cette fois-ci avec la Suisse. Vous dénoncez, si j'ai bien compris, le fait que la formation des apprentis en France serve, ensuite, aux entreprises suisses. Vous avez également évoqué la question des parités monétaires. La forte appréciation du franc suisse a conduit la Banque nationale suisse à intervenir pour la limiter, faute de quoi l'économie suisse ferait face à de graves difficultés.

Pour répondre précisément à votre question, sachez que la liberté de circulation des travailleurs français est reconnue par le droit interne, européen, et international du travail. Elle interdit, en principe, la mise en place d'une contrepartie au fait d'avoir suivi une formation. Au passage, je vous ferai remarquer que la France, bien qu'elle ait un très haut niveau de formation, profite parfois de compétences acquises par des formations à l'étranger. Je pense en particulier aux médecins qui s'installent dans nos zones rurales, et qui ont été formés en Roumanie ou dans les pays d'Europe centrale. Cela pose des problèmes importants d'harmonisation à l'échelle européenne. Quoi qu'il en soit, la liberté de circulation interdit d'instituer des contreparties directes.

Ainsi, la clause dite de dédit-formation, qui permet à un employeur de se faire rembourser les frais d'une formation non obligatoire dispensée dans le cadre d'un contrat de travail de droit commun, est sévèrement encadrée par la jurisprudence. Elle constitue en effet une dérogation à ce principe, et ne doit pas être un frein à la mobilité – il faut prendre la mesure de cette liberté de mobilité.

En ce qui concerne le contrat de professionnalisation, cette clause est légalement interdite en cas de rupture du contrat de travail. Pour le contrat d'apprentissage, il convient de rappeler que si l'apprentissage se déroule dans le cadre d'un contrat de travail, il s'inscrit avant tout dans le cadre de la formation initiale. L'objet même de ce contrat est l'obtention d'un diplôme. Par ailleurs, l'engagement de demeurer au service d'un employeur pendant un temps donné et contre une formation reçue est contraire au principe précité, comme la Cour de justice de l’Union européenne l'a rappelé, et ce quel que soit le pays dans lequel le ressortissant français souhaite aller travailler.

Si le Gouvernement est sensible à la situation particulière des entreprises frontalières, qui peuvent souffrir de la concurrence salariale d'autres pays, il ne saurait introduire dans le régime juridique de l'apprentissage la possibilité de telles contreparties, au détriment du jeune en formation. En revanche, la loi du 5 mars 2014 permet de conclure un contrat d'apprentissage à durée indéterminée : cela constitue une réponse appropriée. La mise en œuvre de ce nouveau contrat devra d'ailleurs être évaluée : c'est ce que propose M. le ministre de l'emploi.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Dion.

Mme Sophie Dion. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Malheureusement, vous ne répondez pas vraiment à ma question ! Il est vrai que M. le ministre du travail n'est pas là, mais je vous fais toute confiance ; je suis certaine que vous connaissez parfaitement ces questions. Vous me répondez qu'il faut respecter la liberté de circulation : oui, je suis d'accord. Mais alors, qu'en est-il des mécanismes qui existent dans la fonction publique, comme ceux concernant le pantouflage ? Donner aux entreprises la possibilité de garder leurs jeunes apprentis ne serait pas, à mon avis, contraire à la liberté de circulation.

Vous avez également évoqué le contrat de professionnalisation, mais ce n'est pas le sujet. Pardonnez-moi, mais ce contrat à durée indéterminée est prévu dans l'intérêt du salarié, pour lui éviter d'avoir un contrat précaire.

Le problème que j'ai évoqué est un vrai problème. Vous savez bien qu'aujourd'hui, le taux de chômage est très élevé. Comment inciter les entreprises à former des jeunes, dans ces conditions ? Cela leur coûte de l'argent, et leur prend du temps. Les employeurs doivent être disponibles, et se consacrer pleinement à leurs apprentis. C'est cela, l'apprentissage !

Votre gouvernement – plus précisément : le ministre du travail – vient de nous envoyer une lettre pour nous dire : « il faut que les apprentis restent dans les entreprises ». Je vous invite donc, encore une fois, à réfléchir avec les partenaires sociaux pour trouver une solution. Sans cela, pourquoi les entreprises continueraient de former des jeunes, si au bout de dix-huit mois ils s'en vont ? C'est une vraie question. Je regrette que vous n'ayez pas pris la mesure de ce problème, et que vous n'ayez pas répondu à ma question.