14ème législature

Question N° 89866
de M. Hervé Féron (Socialiste, républicain et citoyen - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Finances et comptes publics
Ministère attributaire > Économie et finances

Rubrique > impôts et taxes

Tête d'analyse > évasion fiscale

Analyse > rapport. stratégie du Gouvernement.

Question publiée au JO le : 06/10/2015 page : 7542
Réponse publiée au JO le : 11/04/2017 page : 2933
Date de changement d'attribution: 07/12/2016
Date de renouvellement: 26/04/2016

Texte de la question

M. Hervé Féron attire l'attention de M. le ministre des finances et des comptes publics sur les pratiques d'évasion fiscale des sociétés dites de l'« économie du partage ». À l'heure où l'on parle volontiers de la distorsion de concurrence que génèrent ces nouveaux acteurs pour les services traditionnels (taxis, hôtellerie, vente par correspondance), ils restent peu montrés du doigt pour leur comportement face à l'impôt. Pourtant, ils profitent comme les géants du numérique (Amazon, Apple, Google et Facebook) « des failles des systèmes fiscaux nationaux et des accords bilatéraux pour pratiquer une optimisation fiscale réduisant drastiquement leur taux d'imposition » (note d'analyse de l'organisme de réflexion France stratégie, rattaché aux services du Premier ministre). À titre d'exemple, Ebay, Paypal et Netflix ont toutes choisi d'implanter leur siège européen au Luxembourg, paradis fiscal notoire au taux de TVA avantageux : 15 % contre 20 % en France et au Royaume-Uni, ou 19 % en Allemagne. Celui d'Airbnb se trouve en Irlande, qui pratique un taux d'impôt sur les sociétés (IS) de seulement 12,5 % (contre 33 % en France) ; quant à sa maison-mère, elle est domiciliée dans l'État américain du Delaware, qui compte plus d'entreprises que d'habitants en raison de conditions d'anonymat et de fiscalité particulièrement avantageuses ! Mais les stratégies d'évitement face à l'IS et la TVA ne sont pas les seules responsables dans les choix de domiciliation fiscale de ces entreprises. Avec la médiatisation du dossier « LuxLeaks », on s'est rendu compte que les autorités luxembourgeoises avaient pris l'habitude de négocier des accords secrets avec plusieurs centaines de multinationales pour alléger les impôts de celles-ci via des tax ruling. Avec ces taux réduits, une entreprise comme Ebay a pu économiser 555 millions de dollars d'impôts en 2014, qui se sont ainsi retrouvés aux mains des actionnaires de la société plutôt que dans les caisses publiques. Refuser de payer correctement leurs impôts dans les pays où ces groupes réalisent de larges profits est d'autant plus choquant que bien des états européens auraient besoin de cet argent pour réduire leurs dettes publiques et relancer le pouvoir d'achat des citoyens. Dans un rapport rendu public le 17 septembre dernier, la commission des finances du Sénat s'est notamment penchée sur la question de la fraude à la TVA. Bien que les entreprises européennes qui réalisent plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires en France soient censées s'enregistrer auprès du fisc et payer la TVA française, très peu le font aujourd'hui. Les sénateurs ont ainsi proposé d'instaurer un prélèvement de la TVA à la source sur les achats en ligne, qui serait automatiquement reversé sur le compte du trésor public. Il souhaite connaître son avis sur les propositions contenues dans le rapport du Sénat, et plus largement la stratégie du Gouvernement pour contraindre les sociétés de l' « économie du partage » à contribuer par l'impôt aux infrastructures des pays au sein desquels elles prospèrent.

Texte de la réponse

L'importance croissante des technologies numériques conduit des entreprises à développer de nouveaux modèles économiques qui leur permettent d'agir sur un marché sans avoir besoin d'y être présentes physiquement. Cette situation peut s'accompagner de pratiques d'optimisation et, de ce fait, porter un fort préjudice aux finances des États et occasionner des distorsions de concurrence entre entreprises. Forte de ce constat, et faisant de l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales une priorité, la France s'implique fortement pour que le plan d'action contre l'optimisation fiscale des entreprises (Base Erosion and Profit Shifting - BEPS) du G20 et de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) traite des défis spécifiques posés par le développement de l'économie numérique. Dans cette perspective, la Task Force sur l'économie numérique (TFDE), co-présidée par les Etats-Unis et la France, s'attache à proposer des pistes à même de relever ces derniers. Les travaux de la TFDE ont conduit à ce que le plan d'action issu du projet BEPS, dont les résultats ont été approuvés par les membres du G20 au sommet d'Antalya des 15 et 16 novembre 2015, tienne compte de cette dimension. Ils ont également préconisé de poursuivre jusqu'en 2020 les réflexions sur les évolutions des standards fiscaux internationaux nécessaires pour traiter de ces questions. Ce nouveau cycle de discussions, amorcé au second semestre de 2016, est l'occasion pour la France de relayer la position novatrice qu'elle prône depuis plusieurs années. Ainsi, elle insiste sur le rôle prédominant joué par les internautes, à travers les données qu'ils transmettent, dans la création et la localisation de la valeur, tel que cela a été mis en évidence par un rapport de 2013 de la mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique. Au vu des modèles d'affaires en cours, la collecte massive et systématique de ces données pourrait caractériser ce qu'il conviendrait d'appeler une « présence fiscale numérique » de l'entreprise non-résidente, suffisamment significative pour donner à l'État l'appartenance de ces internautes un droit d'imposition. S'agissant des impôts indirects, dans son rapport rendu public le 17 septembre 2015, la commission des finances du Sénat a fait part de ses constats concernant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) associée aux activités de e-commerce et a avancé des propositions afin de lutter contre la fraude fiscale liée à ce type de commerce. Ce rapport propose notamment de prélever la TVA au moment du paiement via un mécanisme de paiement scindé dans le cas où la transaction porte sur la vente d'un bien ou d'un service à un particulier par Internet. Un système d'information serait mis en place, « Le Central », qui permettrait aux banques de savoir quand effectuer le prélèvement et à quel niveau. Le prélèvement serait effectué par défaut sauf si le vendeur n'est pas assujetti à la TVA ou que la transaction n'est pas imposable. Cette proposition représente un bouleversement important du mode de liquidation de la TVA. Outre les difficultés liées au signalement au « Central » du non assujettissement de certaines transactions, les modifications induites par la mise en place d'une telle mesure nécessiteraient d'amender plusieurs dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, et ne peut donc s'inscrire que dans la perspective de négociations européennes. De plus, la question du statut et des missions du « Central » nécessiteraient des expertises approfondies sur les coûts en matière d'investissement, de fonctionnement et de normalisation pour les établissements financiers, sur le traitement automatisé des données personnelles qui devrait être mis en place et sur l'exercice du droit de communication. Cela étant, la préconisation des rapporteurs d'abaisser le seuil au-delà duquel la TVA est due en France par les vendeurs étrangers de biens matériels (régime dit des ventes à distance) de 100 000 à 35 000 € a été adoptée dès la loi de finances pour 2016. Cette mesure a permis d'aligner le seuil français sur le seuil applicable dans la plupart des autres États de l'Union européenne (UE), et de réduire les distorsions de concurrence. Par ailleurs, la Commission européenne a présenté le 7 avril 2016 un plan d'action sur la TVA intitulé « Vers un espace TVA unique dans l'Union – L'heure des choix » visant à adapter le système de TVA à l'économie numérique et à lutter plus efficacement contre la fraude fiscale. Cette initiative est pleinement soutenue par le Gouvernement. Ainsi, la Commission souhaite notamment étendre le principe de destination et le système du mini-guichet, applicable depuis le 1er janvier 2015 aux services fournis par voie électronique, aux ventes à distance de biens matériels. Ce système du mini-guichet permet aux entreprises de ne plus s'enregistrer dans chaque État membre de consommation mais de s'immatriculer à la TVA dans un seul État membre de l'Union et d'acquitter ainsi la taxe en une seule fois. Le Gouvernement souscrit à cette démarche d'extension du mini-guichet au e-commerce qui devrait permettre d'améliorer le taux de recouvrement de la TVA de l'État de consommation sur les transactions de cette nature. De même, la Commission propose de supprimer l'exonération de TVA pour l'importation des petits colis en provenance de fournisseurs établis hors de l'UE. Enfin, le rapport sénatorial proposait d'instituer une cellule permanente de veille et de prospective chargée de réfléchir aux évolutions futures de la fiscalité du numérique. À cet égard, il convient de rappeler qu'au sein du ministère des finances a déjà été créée une « task force » TVA qui effectue un travail de veille afin d'alimenter la réflexion et de proposer des solutions opérationnelles permettant de mettre en place des schémas de collecte de la TVA mieux adaptés aux enjeux de l'économie numérique et qui limitent les pratiques frauduleuses. Toutes ces mesures attestent de la détermination du Gouvernement à lutter contre la fraude fiscale et à mettre en œuvre des règles garantissant une égalité de traitement entre opérateurs.