Question orale n° 1054 :
Interdiction des coupes rases dans les forêts publiques et privées

15e Législature

Question de : Mme Mathilde Panot
Val-de-Marne (10e circonscription) - La France insoumise

Mme Mathilde Panot alerte Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur la question des coupes rases dans les forêts publiques et privées. Que ce soit sur le plateau de Millevaches, dans le Morvan, dans la forêt de Mormal, forestiers, citoyens, membres d'association s'élèvent contre la pratique des coupes rases. Celles-ci tassent les sols et provoquent leur érosion, libèrent du carbone stocké dans les sols, détruisent la biodiversité et délogent les animaux et les mammifères. Elles appauvrissent les sols et empêchent une régénération naturelle de la station forestière. Les territoires évoqués désignent des sites classés en parcs naturels régionaux, c'est-à-dire des sites dont le patrimoine naturel et culturel est censé être protégé et valorisé. Pourtant, le modèle « coupe rase, plantation, monoculture » industriel s'y répand sans obstacle. Dans le Morvan, 50 % des forêts de feuillus ont été remplacées par des plantations de résineux. Ce modèle est contraire à des principes écologiques qui voudraient que la forêt soit un bien commun à protéger. Il maltraite les femmes et les hommes qui travaillent en forêt, et plus particulièrement celles et ceux qui assurent le service public forestier. Combien de forestiers de l'ONF sont accablés par la pression économique et la demande croissante de bois à court terme alors que leurs missions étaient initialement d'intérêt général ? Les forêts françaises ne sont pas de simples gisements de bois. Elles sont indispensables pour lutter contre le réchauffement climatique. Il faut mettre fin à cette pratique qui consiste à convertir des forêts de feuillus, diversifiées, plus résilientes au changement climatique, en monocultures de résineux, vulnérables aux incendies, aux maladies, aux aléas climatiques et exclusivement destinées à l'industrie. D'autres pays l'ont fait avant la France : la Suisse a interdit les coupes rases en 1876. En Allemagne, l'ensemble des Länder a voté des législations restrictives sur la surface maximale des coupes. En Autriche, toute coupe de plus de 2 hectares est interdite et celles inférieures à 0,5 hectare doivent faire l'objet d'une autorisation spéciale. En France, aucun seuil de surface maximale de coupes rases n'est défini dans la loi. Les plans simples de gestion des forêts privées sont agréés par le Centre national de la propriété forestière, dont les effectifs fondent comme peau de chagrin. Les seuils de coupe définis par les départements peuvent être enjambés par une simple demande d'autorisation. La seule contrainte qui pèse sur les propriétaires forestiers est d'assurer la régénération de leur parcelle dans les cinq ans qui suivent la coupe rase. La France doit définir une législation claire et des interdictions. Sinon, les forêts et les générations futures seront léguées au marché et à l'industrie. Elle souhaite l'interroger sur la mise en place d'une interdiction des coupes rases sauf en cas d'impasse sanitaire avérée.

Réponse en séance, et publiée le 9 décembre 2020

COUPES RASES EN FORÊT
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Panot, pour exposer sa question, n°  1054, relative aux coupes rases en forêt.

Mme Mathilde Panot. Que ce soit dans le Morvan, sur le plateau de Millevaches, dans les Landes de Gascogne ou dans la forêt de Mormal, forestiers, citoyens et associations s'élèvent contre la pratique des coupes rases. Celles-ci libèrent une partie du carbone stocké dans la terre, tassent les sols, les fragilisent et empêchent leur bonne régénération. Elles détruisent également les habitats des mammifères, des oiseaux ou des insectes.

Les territoires que j'ai évoqués désignent des sites classés en parcs naturels régionaux, dont le patrimoine naturel est censé être protégé et valorisé. Pourtant, le modèle combinant monoculture, coupes rases et plantations s'y répand sans obstacle : en l'état de la réglementation, même les parcs naturels régionaux n'ont pas leur mot à dire. Dans le Morvan, où je me trouvais voilà quelques mois, 50 % des forêts de feuillus ont déjà été remplacées par des plantations monospécifiques de résineux.

Les forêts françaises ne sont pas de simples gisements de bois. Elles sont, entre autres choses, indispensables pour lutter contre le réchauffement climatique et assurer la filtration des eaux. Nous devons cesser de convertir des forêts de feuillus diversifiées en monocultures de résineux, exclusivement destinées à l'industrie et plus vulnérables aux événements extrêmes comme les incendies, les tempêtes ou la prolifération d'insectes. L'épidémie de scolytes qui ravage les forêts françaises nous incite, là encore, à changer de modèle.

D'autres pays l'ont fait : la Suisse a interdit les coupes rases dès 1876. En Allemagne, tous les Länder ont voté des législations restreignant la surface maximale des coupes. En Autriche, toute coupe de plus de 2 hectares est interdite. En France, aucun seuil de surface maximale de coupe rase n'est défini par la loi. Les seuils de coupe fixés par les départements peuvent être contournés par une simple demande d'autorisation à la préfecture. Ce vide juridique accroît la prédation sur nos forêts. Les grosses coopératives qui produisent des plans, conduisent des travaux forestiers et commercialisent du bois ont tout intérêt à recommander une coupe rase aux propriétaires, pour augmenter leurs gains.

Il est temps de rattraper notre retard en définissant une législation claire et des interdictions. La forêt est notre bien commun. Comme le disait Aldo Leopold, un écologiste et forestier : « J'ai lu de nombreuses définitions de ce qu'est un écologiste, et j'en ai moi-même écrit quelques-unes, mais je soupçonne que la meilleure d'entre elles ne s'écrit pas au stylo, mais à la cognée. La question est : à quoi pense un homme au moment où il coupe un arbre, ou au moment où il décide de ce qu'il doit couper ? Un écologiste est quelqu'un qui a conscience, humblement, qu'à chaque coup de cognée il inscrit sa signature sur la face de sa terre. ».

À nous de choisir quelle signature nous voulons inscrire sur la face de nos forêts : celle du marché qui les épuise pour plus de bois et maltraite les êtres humains qui y travaillent, ou celle de l'intérêt général, qui en prend soin pour le bien de toutes et tous ? Ma question est donc simple : êtes-vous favorable à un seuil national d'interdiction des coupes rases ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Merci pour votre question, madame Panot : je connais votre engagement réel pour la forêt, et je sais combien vous travaillez sur ce thème. Votre question est très importante, et je la prends comme telle. Je suis prêt à évoluer dans ce domaine, comme le reste du Gouvernement.

La forêt française est diverse, elle est riche de son contexte géographique : la France ne compte pas une forêt, mais des forêts, en fonction qu'on se trouve dans la Meuse ou dans le Sud-Ouest, par exemple dans les Landes. Ces lieux géographiques divers obéissent aussi à des contextes économiques et sanitaires variables. Vous avez évoqué la terrible épidémie de scolytes, contre laquelle le Gouvernement a déployé un plan – sur lequel je ne reviens pas, ayant déjà eu l'occasion de répondre à une de vos questions à ce propos.

Nos forêts remplissent plusieurs fonctions : la lutte contre l'érosion, l'amélioration de la qualité de l'eau, la préservation de la biodiversité, l'accueil du public – qui reste important, même s'il a été réduit depuis trois mois – et la production de bois. La ressource bois, naturelle et renouvelable, a toute sa place dans le modèle d'économie décarbonée que la société appelle de ses vœux. Nous voulons agir en ce sens, car il n'est pas normal que le bois des forêts françaises ne soit pas exploité en France. La politique forestière se fonde sur une gestion durable et multifonctionnelle des forêts et garantit la qualité de l'ensemble des services rendus. Il ne faut pas opposer la forêt et la filière bois.

Vous m'interrogez plus précisément sur les coupes rases. Je rappelle que ce terme désigne une coupe suivie d'une plantation, le plus souvent d'essence résineuse. Force est de constater que cette modalité de gestion sylvicole n'est pas majoritaire en France : si elle était la règle du temps du fonds forestier national, moins de 15 % des surfaces en régénération font aujourd'hui l'objet de plantations résineuses. Ainsi, comme le montre l'inventaire forestier national, la forêt française ne subit aucune régression sur les forêts de feuillus, lesquels forment les deux tiers de la forêt métropolitaine.

Néanmoins, la question des forêts revêt une dimension transversale : il s'agit à la fois d'un enjeu environnemental, comme vous l'avez souligné, d'un enjeu économique, mais aussi, parce de plus en plus de nos concitoyens s'en soucient, d'un enjeu de société. C'est pourquoi la Cour des comptes a remis, la semaine dernière, un rapport sur la structuration de la filière forêt-bois à la commission des finances de l’Assemblée nationale. C'est pourquoi six ONG ont décidé de mettre en commun leurs réflexions au sein d'un récent rapport. C'est pourquoi j'ai demandé, en octobre dernier, aux professionnels de construire une feuille de route pour l'adaptation des forêts au changement climatique, qui devrait m'être remise prochainement.

C'est également pourquoi le Premier ministre a confié à votre collègue Anne-Laure Cattelot la mission de mener une réflexion sur les enjeux liés à la forêt et aux coupes rases. Ses recommandations seront rendues avant l'été, et je m'engage à rencontrer ceux qui sont impliqués dans ce dossier, et peut-être vous-même, pour définir la direction que nous pourrons prendre dans les semaines et les mois à venir.

Données clés

Auteur : Mme Mathilde Panot

Type de question : Question orale

Rubrique : Bois et forêts

Ministère interrogé : Transition écologique et solidaire

Ministère répondant : Agriculture et alimentation

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 juin 2020

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