Question au Gouvernement n° 1124 :
affaire Benalla

15e Législature

Question de : M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants

Question posée en séance, et publiée le 25 juillet 2018


AFFAIRE BENALLA

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le Premier ministre, respectueux des travaux de notre Assemblée nationale et de sa commission d'enquête, le groupe UDI, Agir et indépendants attendra la fin des auditions pour tirer les conclusions qui s'imposeront quant aux responsabilités individuelles dans cette affaire.

Cela ne nous empêche pas de nous étonner, au gré des premières auditions, du fait que tout le monde savait, mais que tout le monde pensait qu'il revenait aux autres d'activer l'article 40 du code de procédure pénale et de saisir le procureur de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, LR et NG.)

Cependant, nous connaissons d'ores et déjà la source de cette crise : le déséquilibre des pouvoirs et l'hypertrophie du pouvoir présidentiel sous la Ve République.

De tous les pays occidentaux, la France est celui dans lequel le Président concentre le plus de pouvoirs et dans lequel il a face à lui le moins de contre-pouvoirs, notamment parce que le Parlement y est le plus faible de tout l'Occident. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, NG et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.)

M. Éric Straumann. Eh oui !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pourtant, en quarante ans, notre pays ne s'est pas plus réformé que les autres : il s'est moins réformé.

Mme Frédérique Meunier. Ça fait mal !

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais, en quarante ans, de nombreux scandales, dus à des abus de pouvoir, ont éclaté depuis l'Élysée. Je rappelle pour mémoire les plus célèbres : les écoutes de l'Élysée, sous François Mitterrand, ou les Irlandais de Vincennes.

C'est le déséquilibre de nos institutions qui en est la cause : chaque fois, des gens travaillant à l'Élysée pensent qu'ils sont au-dessus des lois, et, chaque fois, la chaîne hiérarchique et politique ferme les yeux, par crainte de la réaction de l'Élysée.

C'est avec ce déséquilibre, et avec ce monde-là, monsieur le Premier ministre, qu'il faut en finir. Lorsqu'une crise éclate, il faut s'élever et revenir à nos fondamentaux.

« C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser, disait Montesquieu. […] Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Monsieur le Premier ministre, il faut donc une réponse institutionnelle à cette crise.

Puisque vous nous avez annoncé que nous poursuivrons la réforme constitutionnelle en septembre, nous vous demandons de faire en sorte qu'elle rééquilibre désormais les pouvoirs, qu'elle garantisse la stabilité de la Ve République et qu'elle mette fin à son opacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LR. – Mme Emmanuelle Ménard et M. Louis Aliot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Lagarde, vous avez placé votre question dans une perspective historique en brossant un tableau rapide – heureusement rapide – des quarante dernières années, et en faisant état des questionnements, des interrogations et parfois des scandales qui les avaient émaillées et qui mettaient en cause soit – rarement, Dieu soit loué – le Président de la République lui-même, soit son entourage.

Mme Marie-Christine Dalloz. Dorénavant, il y aura celui-là !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Je partage volontiers, président Lagarde, votre constat : au cours de ces quarante dernières années, il y a eu matière.

M. Pierre Cordier et M. Éric Straumann . Il y a encore matière !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . J'observe, et j'espère que vous partagerez mon observation, que la dérive d'un chargé de mission qui se trouvait employé à la Présidence de la République et qui pouvait se prévaloir de la proximité du Président a donné lieu à des comportements inacceptables. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Laurent Furst. Chef de cabinet adjoint !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Ces mêmes comportements ont été sanctionnés dans les trois jours qui ont suivi.

M. Christian Jacob. Cela a été contesté !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Peut-être cela vous agace-t-il, mais c'est un fait. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Michel Herbillon. Il faut une vraie sanction !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Ensuite, les trois pouvoirs – vous avez cité Montesquieu – qui s'équilibrent et qui sont indispensables à la garantie de la liberté et de la démocratie se sont saisis de cette affaire avec une rapidité inconnue jusqu'alors pour des faits dont l'origine remontait à l'Élysée.

M. Pierre Cordier. Vous n'y croyez pas vous-même !

M. Michel Herbillon. Et l'octroi des privilèges, monsieur le Premier ministre ?

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Je ne dis pas que tout est parfait : je dis que la réaction a été immédiate.

M. Éric Straumann. Deux mois après.

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Cette réaction montre notre volonté de ne rien cacher et de tout assumer.

Monsieur le président Lagarde, vous en déduisez un propos plus général sur la nature constitutionnelle des équilibres qu'il faudrait construire. Or il se trouve que, dans les équilibres de la Ve République, que nous ne voulons pas transformer au point de passer à une VIe République ou de revenir à ce qu'était la IVe République, le Parlement ne s'immisce ni dans le fonctionnement ni dans le contrôle de la Présidence de la République – et peut-être y a-t-il là un sujet sur lequel nous devons réfléchir.

M. Christian Jacob. L'article 20 vous rend responsable !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Il s'immisce en revanche dans le fonctionnement et dans le contrôle du Gouvernement : c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je réponds cet après-midi à toutes vos questions, mais pas dans celui du fonctionnement de la Présidence.

M. Marc Le Fur. Dirigez l'administration !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Il ne peut en outre pas mettre en cause la responsabilité du Président de la République.

M. Maurice Leroy. C'est bien le sujet !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Monsieur le Président Lagarde, j'entends que nous avons un désaccord sur ce point et que vous avez envie de faire évoluer notre système institutionnel.

M. Michel Herbillon. Pour mettre fin aux privilèges ?

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Heureusement, nous pourrons en parler. Je ne suis pas d'accord avec vous, et je ne suis pas sûr que la majorité le soit plus. Mais nous pouvons en parler et en discuter : c'est à cela que sert un projet de révision constitutionnelle.

Quelle tristesse, monsieur le président Lagarde, que nous n'ayons pas eu l'occasion de le faire pleinement, dans le détail, ces deux dernières semaines ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Christian Jacob. Ça devient un peu dur, non ?

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Je suis cependant sûr qu'une telle occasion se représentera et je me réjouis de pouvoir la saisir avec vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Ordre public

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 juillet 2018

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